Veille effectuée par Jean-Gabriele de Cambourg, chargé de mission chez Geopragma.

Du 21/03/2021 au 09/06/2021

 

Chronologie :

24/03 : Le gouvernement parallèle de l’Est libyen a officiellement remis le pouvoir au nouvel exécutif unifié du Premier ministre de transition, Abdlehamid Dbeibah à Benghazi.

30/03 : L’ambassadeur de Chine en Libye, Li Zhiguo, a déclaré que la République populaire de Chine souhaitait réouvrir son ambassade à Tripoli dès que possible lors d’une réunion avec le chef adjoint du Conseil présidentiel, Abdullah Al-Lafi

06/04 : L’avocate et directrice du Lawyers for Justice in Libya, Elham Saudi, démissionne du comité juridique du Forum de dialogue politique libyen en dénonçant les compromis juridiques de la Mission de l’ONU en vue du déroulement des élections en décembre 2021.
Le Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, a confirmé que son pays avait rétabli les relations diplomatiques avec la Libye et accru sa représentation diplomatique. L’ambassade grecque était fermée depuis juillet 2014.

10/04 : Les forces de Tripoli déclarent avoir repéré des avions de combat du groupe russe Wagner survoler Syrte et Tamenhent de façon répétée, ce qui serait une violation des accords de la Commission militaire 5+5 et du cessez-le-feu signé à Genève en octobre dernier.

12/04 : Le président turc Erdogan et le Premier ministre libyen Dbeibah ont réaffirmé leur attachement à l’accord signé en novembre 2019 entre les deux pays concernant leurs frontières maritimes, non reconnu par les autres États de la Méditerranée.

Le même jour a été signée entre les deux partenaires une série d’accords visant à renforcer leur coopération économique.
Le président turc a promis la livraison de 150 000 doses de vaccin pour assister la Libye dans la crise de COVID-19 et la réouverture du Consulat turc à Benghazi dès que possible.

20/04 : Les organisations du Quartet (ONU, Ligue des Etats arabes, Union africaine et UE) ont salué dans un communiqué conjoint, les “progrès significatifs” du Forum de dialogue politique libyen.
Les Premiers ministres égyptien et libyen ont réaffirmé l’importance d’une coordination et de rapprocher leurs positions notamment au sujet de l’unité et de la souveraineté territoriale libyennes.

21/04 : Le président de la Société nationale pétrolière libyenne (NOC), Mustafa Sanallah, s’est entretenu mardi à Tripoli avec le directeur général de la compagnie pétrolière française TOTAL, Patrick Pouyanné et sa délégation, pour resserrer les relations bilatérales et élargir le champ de la coopération mutuelle.
Les deux parties ont discuté des moyens d’augmenter les taux de production selon des plans à court, moyen et long termes. La NOC affirme « chercher à atteindre ces objectifs vitaux avec son partenaire TOTAL, afin de faire progresser le secteur pétrolier libyen, qui est le principal et le seul soutien de l’économie nationale ».

22/04 : Le souhait d’une ouverture prochaine des ambassade et consulat égyptiens à Tripoli et à Benghazi a été annoncé lors d’une réunion du président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi avec son Premier ministre Mustafa Madbouly.

26/04 : Le nouveau gouvernement a été obligé d’annuler un Conseil des Ministres prévu à Benghazi inaugurant la visite de M. Dbeibah dans l’Est car les services de sécurité ont été refoulés à l’aéroport de Benghazi.

30/04 : Le Conseil de Sécurité de l’ONU a tenu une session à huis clos à la demande de ses membres africains (Kenya, Niger et Tunisie) au sujet du risque de dispersion des mercenaires présents en Libye. Le nombre de mercenaires sur le sol libyen est aujourd’hui estimé entre 20 000 à 25 000, dont 13 000 venant de Syrie et 11 000 du Soudan voisin.
Washington fait de nouveau pression sur Tripoli pour rouvrir la route côtière à l’est de Syrte contrôlée par les forces du général Haftar.

03/05 : Le gouvernement libyen d’unité nationale a appelé la Turquie à coopérer pour le départ des mercenaires et forces étrangères présentes en Libye, tout en participant au renforcement du cessez-le-feu entre forces rivales. Lors d’une conférence de presse à Tripoli la Ministre libyenne des Affaires étrangères Najla al-Mangoush a rappelé “ l’importance de la contribution de la Turquie à la cessation des combats et à la stabilisation du cessez-le-feu dans tout le pays « en sous-entendant le rôle prépondérant de la Turquie dans la présence des milices non-gouvernementales dans le pays.
Son homologue turc Mevlut Cavusoglu a rétorqué que l’intervention et la coopération turque aux côtés de Tripoli avait été déterminante dans l’élaboration de la stabilisation du pays depuis l’accord militaire signé en novembre 2019 et a contesté l’assimilation des forces turques à du mercenariat. Le ministre turc a rappelé le rôle de la Turquie dans la mise en place du cessez-le-feu.

03-04/05 : A la suite de sa visite en Libye, le Ministre de l’Intérieur turc Hulusi Akar a rappelé l’inflexibilité de la Turquie quant aux frontières maritimes entre la Libye et la Turquie dont toute contestation, notamment de la part de la Grèce, serait considérée comme une menace envers la Turquie.

04/05 : Le chef de l’Etat de transition Aguila Saleh a assuré à l’Envoyé spécial des Nations-Unies pour la Libye Jan Kubis, que les élections parlementaires et présidentielles se dérouleront dans les temps (24 décembre). Kubis a quant à lui transmis sa proposition en faveur d’une base constitutionnelle pour les prochaines élections à la session plénière du Forum de dialogue politique libyen (FDPL).
La rencontre entre le ministre d’Etat aux Affaires économiques libyen Salama al Ghwail, et l’ambassadeur italien en Libye Giuseppe Buccino a conclu à la réouverture du Comité économique italo-libyen en vue de redynamiser les échanges économiques et les investissements entre les deux pays. Cela fait suite à l’annonce faite le 25 avril de la réouverture de consulats italiens en Libye et de la réouverture de l’espace aérien.

05/05 : Le Koweït et la Libye ont entamé des pourparlers pour renouer leurs relations bilatérales en suspens depuis 2010, ce qui inclut la réouverture de l’ambassade koweïtienne et la reprise des vols entre les deux pays.

07-08/05 : Démonstration de force durant la nuit du 7 au 8 mai par des dizaines d’hommes armés ayant fait irruption dans l’hôtel de Tripoli servant de siège au Conseil présidentiel pour protester contre l’appel lancé par la Ministre des Affaires étrangères Najla al-Mangoush aux forces turques de quitter le pays.

12/05 : 78 prisonniers de l’ANL ont été libérés après une cérémonie organisée devant la prison de Jedaida à Tripoli sur le thème de la réconciliation.

16/05 : Entretien entre l’envoyé du gouvernement tchadien de transition Abdul-Karim Idris et la ministre soudanaise des Affaires étrangères Mariam al Mahdi au sujet du retrait de Libye des milices des deux Etats.

18/05 : L’Union africaine a appelé au retrait des forces étrangères en Libye

01/06 : Le Président Emmanuel Macron a reçu à l’Elysée le Premier ministre libyen de transition Abdelhamid Dbeibah, a renouvelé le souhait de la France de participer à la reconstruction du pays et a réaffirmé l’importance du départ des mercenaires comme convenu dans les accords de cessez-le-feu d’octobre.

06/06 : Un attentat à la voiture piégée fait deux morts chez les forces de l’ordre. L’attaque revendiquée le lendemain par Daesh serait la première attaque du groupe en Libye depuis un an.

Décryptage :

 Le gouvernement de Dbeibah, après avoir obtenu la confiance de la Chambre des représentants, doit maintenant gagner celle de la “communauté internationale” occidentale et composer avec les puissances étrangères lui étant hostiles et toujours présentes en Libye.

 Depuis que le gouvernement de l’Est a reconnu la légitimité du GUN et avant cela depuis la débâcle militaire récente lors de l’opération Dignité, le maréchal Haftar n’a plus le vent en poupe comme au printemps 2019. Il est isolé politiquement et ne peut plus compter autant sur sa force militaire pour faire peser ses intérêts bien qu’il maintienne sa domination sur le croissant pétrolier. Progressivement abandonné par les puissantes tribus de Cyrénaïque qui ne souhaitent plus envoyer leurs fils dans des opérations incertaines, le maréchal a vu également ses soutiens internationaux se faire plus discrets, l’obligeant à accentuer les manœuvres politiques au détriment des opérations militaires s’il veut rester en lice pour le pouvoir. Par exemple, le gouvernement d’al-Sissi se rend compte qu’il a misé sur le mauvais cheval avec Haftar et essaie de répartir ses œufs dans les deux paniers que sont la Tripolitaine et la Cyrénaïque limitant ainsi sa fourniture d’armes au maréchal Haftar et entretenant de nombreux contacts avec le gouvernement de Dbeibah. Les priorités égyptiennes sont la défense de la frontière et la circulation entre les deux pays des travailleurs égyptiens. Les élections de décembre 2021 seront peut-être l’occasion pour le Maréchal de faire peau neuve aux yeux tant des Libyens que des acteurs internationaux.

 Le plus grand danger reste maintenant le maintien et le renforcement des groupes de mercenaires étrangers utilisés tant par un camp que par l’autre qui augmentent l’incertitude pour le futur du pays. Rappelons que cela contrevient complètement aux accords de cessez-le-feu du 23 octobre dernier, qui avaient décidé du départ de ceux-ci. Le maréchal Haftar a plus que jamais besoin des mercenaires tchadiens, soudanais et russes (et dans une moindre mesure syriens) pour pallier le manque d’effectifs concédés par les tribus de Cyrénaïque. De son côté Tripoli  utilise surtout les djihadistes syriens soutenus par Ankara pour composer avec les milices de Misrata dont il ne peut s’assurer la complète loyauté et compenser son manque de troupes face à la force de frappe de Benghazi, Tripoli 

  Le problème est plus généralement la présence de troupes étrangères sur le sol libyen, notamment turques et russes, mais également l’irrespect total de l’embargo sur les armes par la Turquie, des armes provenant du Golfe, de l’Egypte, de la Turquie et de la Russie alimentant régulièrement les factions adverses. Soucieux de son image notamment face à la communauté internationale occidentale et tout de même conscient du facteur déstabilisateur que représentent les mercenaires, Tripoli s’est joint à l’ONU pour appeler au départ des forces étrangères de Libye.

  L’assassinat d’Idriss Deby le 20 avril 2021 a confirmé les craintes des voisins sahéliens de la Libye d’une déstabilisation de la région par les mercenaires en raison de la porosité des frontières. De ce fait, le souhait de Tripoli de voir les forces étrangères quitter la Libye pour ne pas finir comme la Syrie n’est à l’avantage ni de ses voisins ni des forces engagées en Libye, et ce malgré les réunions récentes du CS de l’ONU visant au départ des forces étrangères de Libye.

  La fourniture de mercenaires est l’occasion pour les puissances étrangères d’influencer le cours des événements en Libye en limitant au maximum les pertes militaires et un engagement trop important qui ferait courir le risque d’un embourbement. Ainsi la Turquie a trop investi sur Tripoli pour accepter un départ de ses forces et des mercenaires, ce qui pourrait faire échapper à son emprise un gouvernement qu’elle a contribué à mettre en place. Ankara souhaite accéder au Fezzan d’où part le quart du pétrole libyen, et propager son influence au Sahel (en reprenant la méthode de l’opposant exilé Fethullah Gülen utilisant l’islamisme comme moyen d’influence). Ce projet turc rentre en totale contradiction avec celui projeté par la Russie. Celle-ci espère pouvoir obtenir un nouvel accès à la Méditerranée, pourquoi pas par l’obtention de nouvelles bases en Libye et étendre son influence en Afrique mais surtout garder son rôle d’arbitre dans le conflit. Ainsi, faire durer celui-ci à peu de frais, notamment en employant les services du Groupe Wagner, lui permet à la fois de contrer le jeu d’Ankara tout en sécurisant ses propres intérêts.

  Cependant le sujet des mercenaires et forces étrangères n’empêche pas que la formation du nouveau gouvernement ait ouvert le bal du retour des puissances régionales et internationales en Libye avec de nombreuses annonces de réouverture d’ambassades. Il est intéressant de noter que les Etats-Unis sont encore absents.

  L’Italie, qui a toujours soutenu le gouvernement de Tripoli à coloration frériste, essaie de profiter du cessez-le-feu en misant sur la stabilisation du pays pour pénétrer économiquement un pays avec lequel les liens économiques ont toujours été étroits, Rome n’ayant de toute façon pas les moyens de s’impliquer autrement. La gestion des migrants est également un enjeu prioritaire pour l’Italie qui souhaite que le gouvernement de Dbeibah s’en saisisse pleinement.

   La Grèce a également besoin d’une coopération pour les migrants, et tisser des liens plus étroits avec le gouvernement de Tripoli lui permettrait également de limiter l’influence de la Turquie. Les relations avec la Libye ne sont tout de même pas revenues au beau-fixe depuis l’expulsion de l’ambassadeur libyen d’Athènes le 6 décembre 2019 à la suite de l’accord maritime turco-libyen de novembre 2019.

  Les Etats-Unis quant à eux, sont de plus en plus hors-jeu de la scène libyenne, appelant simplement au retrait des groupes de mercenaires et à la pacification du pays.

  La France, elle, reste très ambivalente car l’Elysée préfèrerait encore que Haftar l’emporte ( des missiles français ont été retrouvés dans des arsenaux laissés durant la déroute des forces de Haftar), mais face au fait accompli, Paris commence tièdement à traiter avec Tripoli. Nous pouvons déplorer un cruel manque de ligne de conduite claire et de vision sur l’évolution de la situation, la France subissant encore une fois le cours des événements sur sa politique étrangère. L’absence de reconnaissance du rôle déstabilisateur qui fut le sien dans le démembrement du pays en 2011 n’aide pas au rétablissement de sa crédibilité.v

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