Billet du lundi 14 décembre 2020 par Alexis Feertchak*


J’apprécie rarement les interventions moralisantes de Yann Barthès dans Quotidien, mais je dois avouer que sa dernière chronique au sujet des efforts du président Macron pour rendre la visite d’Etat de son homologue égyptien la plus discrète possible m’a bien fait rire. Et sa chute était cruellement drôle : «Pour la première fois, nous sommes allés sur le site d’un régime autoritaire pour savoir ce qui se passe à l’Elysée». Cocasse, vous l’avouerez, alors qu’il s’agissait précisément pour notre vertueux président de la République de ne pas trop se montrer aux côtés d’un infréquentable maréchal. Ainsi, lundi, d’après l’agenda de l’Elysée, Emmanuel Macron devait-il officiellement terminer sa journée à 18h. Et pourtant, à la télévision, les Egyptiens ont pu découvrir une soirée entre le couple Macron et le maréchal Sissi, accueilli en grande pompe devant le sapin illuminé du Château. Mais ce soir-là, point de caméra française. Reconnaissons qu’Emmanuel Macron n’est pas le seul fautif. Le président égyptien a aussi eu le droit à un entretien avec la maire de Paris, Anne Hidalgo, qui ne s’en est pas vantée. « Elle l’a accompagné devant un mur végétalisé. C’est instagrammable, merde !« , a raillé Yann Barthès.

Alors, évidemment, pour l’ancien animateur star de Canal + et le peuple des droits-de-l’hommistes, la solution est toute trouvée. Il ne faudrait pas dérouler le tapis rouge aux pieds de Sissi ni lorgner son portefeuille saoudien prêt à s’alléger de poignées de biffetons pour quelques armes françaises de plus. A condition que ce positionnement moral soit conséquent jusqu’au bout – c’est-à-dire que l’on accepte qu’in fine l’industrie d’armement française et l’indépendance de notre pays feront faillite – je le préfère encore à un « en-même-temps » qui confine à la couardise : « Bienvenue à Paris, Maréchal, mais parlez bas, il ne faudrait pas que les Français vous entendent« . Ce qui, en définitive, est aussi insultant pour les Français que pour les Egyptiens.

A vouloir être réaliste et moral, on finit par être ni l’un ni l’autre. Du côté de la morale, selon une perspective conséquentialiste, la situation des droits de l’homme en Egypte ne s’améliorera pas parce que le président français a fait un sermon à son homologue égyptien. Selon une perspective déontologique, ne pas assumer un acte que l’on juge ou dont on imagine que les autres le jugent mauvais rend doublement fautif. Quant au réalisme, c’est ne pas voir qu’en demandant au président égyptien de raser les murs tout en le décorant du grade de grand-croix de la Légion d’honneur, Emmanuel Macron commet ce que le psychologue Gregory Bateson nommait un « double bind« , soit une situation dans laquelle une personne soumet autrui à deux contraintes incompatibles. Si l’on songe à l’exemple le plus connu (une femme qui demande à son mari de la surprendre en lui offrant des fleurs), l’on comprendra aisément que le « double bind » est le signe d’une relation bilatérale qui ne file pas droit… À entendre « oui et non » à chaque réponse du Français, l’Egyptien risque de faire la même chose pour les ventes d’armes tant attendues par Paris. 

Nous avions d’ailleurs vendu à l’Egypte une FREMM (frégate européenne multi-missions) en plus des deux porte-hélicoptères Mistral prévus à l’origine pour Moscou. Mais, en 2019, après un sermon droits-de-l’hommiste de Macron à Sissi, les Egyptiens ont préféré se tourner vers l’Italien Fincantieri pour parfaire leur flotte de frégates. Depuis, le président français est allé à Canossa et Sissi à Paris, mais sans plus de succès que cela. Pourtant, dans l’affaire libyenne, Rome a toujours soutenu haut et fort la Tripolitaine pro-turque contre la Cyrénaïque du maréchal Haftar soutenue par l’Egypte quand la France jouait les « en-même-temps » avec les deux parties. Comme quoi, tenir tête n’empêche pas toujours de vendre, au contraire, puisque cela entre précisément dans la balance des négociations. Quant à une « option » évoquée pour douze Rafale supplémentaires, il n’en est – pour l’instant – plus question non plus. Le Caire a revanche acheté en toute discrétion un lot d’une vingtaine de Soukhoï Su-35 russes, Moscou ayant, dans l’affaire libyenne, mené sa politique discrète d’équilibriste jusqu’au bout, avec constance.  

Emmanuel Macron a fait du « je t’aime, moi non plus » une constante diplomatique. Cela s’est particulièrement vu dans son rapport tout schizoïde à la Russie : le président français a choisi Vladimir Poutine comme premier invité de son quinquennat, a tancé l’Etat profond et les néoconservateurs du Quai d’Orsay, a raillé une OTAN en état de mort cérébrale, a initié un « tournant russe » mais a fini par déclarer dans son entretien au Grand Continent que l’Europe devrait trouver un moyen d’encercler (sic !) la Russie (et la Turquie). Séduire et éconduire d’un côté, humilier et rassurer de l’autre. Voici l’en-même-temps présidentiel dans toute sa splendeur, comme avec la question européenne. Draguer les souverainistes en reprenant le substantif de « souverainisme », mais y accoler l’épithète « européenne » pour draguer les fédéralistes, sans que l’on ait le moindre début de commencement d’idée de la façon dont une souveraineté pourrait être européenne. A la fin, souverainistes et fédéralistes le vivront en trahison. Et ils ne seront certainement pas rassurés par l’image récente mais tragi-comique, celle du porte-avions Charles-de-Gaulles entouré de quelques frégates d’autres nations européennes, avec le sous-titre suivant de Florence Parly, notre ministre des Armées : le porte-avions est l’illustration navale de la souveraineté européenne. Nos voisins seront ravis d’apprendre qu’ils servent d’escorteurs au pavillon France ! Voici encore un terrible « double bind » tant à l’égard des Français que des Européens : « La France et l’Europe en premier« , entend-on, mais sous-entendu « que la France se dilue dans l’Europe mais que l’Europe se dilue dans la France« . Vaste programme ! 


*Alexis Feertchak est membre fondateur de Geopragma

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