Chronique internationale du Figaro du mardi 8 juin 2021 par Renaud Girard

 Le président des Etats-Unis s’apprête à faire un grand voyage en Europe. Du 11 au 13 juin 2021, il assistera à un sommet du G-7 en Cornouailles, où quatre autres grandes démocraties ont été invitées : la Corée du Sud, l’Inde, l’Australie et l’Afrique du sud. Le 14 et le 15, il sera à Bruxelles, pour un sommet de l’OTAN et pour rencontrer les dirigeants du Conseil et de la Commission de l’Union européenne. Enfin, le 16 juin, il s’entretiendra avec Vladimir Poutine à Genève.

 

 Pour expliquer les buts de cette substantielle tournée diplomatique, Joe Biden a publié, le 5 juin dernier, une tribune dans le Washington Post. Elle est riche d’enseignements.

Le président ne considère pas les Etats-Unis comme un pays comme un autre. Comme du temps de Wilson et de Roosevelt – mais pas de Coolidge ou de Trump -, l’Amérique est présentée dans son texte comme une nouvelle Jérusalem devant guider le monde, face aux dangers qui le menacent. Et ce leadership, précise Biden, doit s’exercer « depuis une position de force ».

 Envers ses alliés européens de l’Otan, le président réitère un engagement absolu de l’Amérique à les défendre au cas où ils seraient agressés de l’extérieur. Trump avait flouté cet engagement, figurant à l’article 5 de la Charte de l’Alliance atlantique ; Biden le rétablit.

 

Dans cette tribune, adressée aussi bien aux Européens qu’aux Américains, le leader Biden se pense en chef d’une vaste coalition mondiale des démocraties à économie de marché, devant contenir deux menaces, l’une structurelle, l’autre conjoncturelle.

 La menace structurelle, c’est la course vers la suprématie mondiale du régime communiste chinois. En l’espace de trente ans, pour les stratèges américains, la Chine est passée par quatre statuts successifs : 1) pays exotique dont il fallait aider le développement ; 2) partenaire économique privilégié avec qui on pouvait envisager un G-2 ; 3) rival commercial qu’il fallait ramener à l’équilibre ; 4) adversaire géopolitique qu’il faut désormais contenir à tout prix, technologiquement, militairement, économiquement, financièrement, culturellement.

La Russie, pays beaucoup plus faible économiquement que la Chine, ne représente aux yeux de Biden qu’une menace conjoncturelle, du fait des expéditions militaires limitées qu’a lancées Poutine dans les Etats tampons de la Russie que sont la Géorgie et l’Ukraine. Biden aime sermonner le Kremlin sur sa prétention à rétablir un peu de l’Empire russe du 19ème siècle, et sur son indifférence aux droits de l’homme.  Mais cela reste un jeu de rôles. Biden peut proclamer son amitié aux Ukrainiens, il ne fera jamais la guerre pour la Crimée ou le Donbass. Ce qu’il cherchera à Genève, c’est une paix armée avec Poutine. Avant d’envisager, beaucoup plus tard, si les circonstances le permettent, une triangulation avec la Russie contre la Chine.

Dans la préparation de sa tournée européenne, le président américain a su intelligemment faire des gestes forts. En levant les sanctions contre le chantier du gazoduc North Stream 2 reliant directement le territoire russe à l’allemand, Joe Biden a fait d’une pierre deux coups : il a prouvé à Poutine qu’il ne comptait nullement lui faire la guerre économique (contrairement à la Chine) et il a offert un cadeau à Angela Merkel, qui est devenue une alliée difficile, attachée à son commerce avec les Chinois, même si elle a renoncé à coopérer avec eux sur la 5-G.

A l’ensemble de l’UE, Biden vient de faire un autre gros cadeau, en acceptant que les entreprises américaines paient un minimum de 15% d’impôts sur les bénéfices réalisés dans les pays étrangers où elles opèrent, afin d’éviter le dumping fiscal. De surcroît, il propose à ses alliés un accord sur les normes, domaine clef d’expansion chinoise. A ceci s’ajoute son retour au sein de l’accord de Paris sur le climat.

Il y a cependant dans sa tribune quelques oublis préoccupants. Biden ne dit rien sur l’expansionnisme turc en Méditerranée et sur les intentions américaines face à l’autoritarisme d’Erdogan. Il semble aussi ignorer que l’Europe subit directement la menace d’une nouvelle expansion du djihadisme dans la bande sahélienne et au Moyen-Orient. Il passe sous silence son retrait précipité d’Afghanistan, qui risque fort d’y provoquer le chaos, et de pousser vers l’Europe des millions de réfugiés, fuyant l’obscurantisme islamique taliban.

Adepte du multilatéralisme et d’une diplomatie policée, la France sera plus à l’aise avec Biden qu’elle ne l’a été avec Trump. Mais il ne faudrait pas qu’elle soit dupée par ses bonnes manières et ses grands principes. Il faudrait qu’elle ait le courage de lui dire à Bruxelles : « Monsieur le président, nous apprécions beaucoup vos intentions, mais c’est sur vos actes que nous vous attendons ! »

 

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