Billet du lundi 14 avril 2025 rédigé par Gérard Chesnel membre fondateur et membre du Conseil d’administration de Geopragma.
Classé dernier pays du monde par le PNUD en termes d’Indice de Développement Humain (IDH), le Soudan du Sud coche toutes les cases des situations les plus catastrophiques. Sur une population de 12,5 millions d’habitants, 8 millions, soit les deux tiers souffrent de malnutrition aiguë, dans un pays par ailleurs riche en ressources agricoles et surtout minières (pétrole et gaz). A la mauvaise gestion et à la corruption courantes dans ce genre de pays, s’ajoutent des guerres sans fin, guerre d’indépendance et guerres civiles. Et la situation vient encore de s’aggraver très récemment avec l’arrestation, par le Président de la République Salva Kiir, de son vice-Président et principal opposant Riek Machar.
Le Soudan du Sud est vraiment né sous de mauvais auspices. Dès l’indépendance du Soudan (dont il faisait partie) en 1956, les tensions et conflits armés ont commencé entre le Nord, musulman, et le Sud, majoritairement chrétien. Diverses tentatives de rapprochement n’ont abouti, en 2011, qu’à la sécession du Sud, d’ailleurs très rapidement reconnue par la communauté internationale. Mais alors qu’on aurait pu espérer l’établissement d’une paix durable, les tensions, latentes, entre les divers groupes ethniques, principalement les Dinka (ethnie du Président Kiir) et les Nuer (ethnie du vice-Président Machar) se sont aggravées et ont abouti à de nombreux actes de violence dont, comme d’habitude, la population a fait les frais. Et ce, malgré un accord de paix qui, en 2018, prévoyait un système de gouvernance partagée. Après avoir dû se réfugier en Ouganda puis au Soudan, Riek Machar put revenir à Djouba, la capitale, en 2020, mais dut partager la Vice-présidence avec 4 autres personnalités.
Tout récemment les « incidents » ont pris une nouvelle ampleur. Des personnes déplacées de l’ethnie Nuer ont été attaquées par les forces gouvernementales et le gouverneur de la province de Western Equatoria (appartenant à l’opposition) a dû s’enfuir. Plusieurs personnalités de l’opposition, parmi lesquelles le vice-Président Machar lui-même, ont été arrêtées. Celui-ci était d’ailleurs affaibli, au sein de son propre parti, pour son manque d’efficacité et est tenu pour responsable de l’effondrement de l’accord de 2018.
Mais de son côté, le Président Kiir doit lui aussi faire face à de nombreuses critiques. Craignant d’être dépossédé de son pouvoir au sein de son parti, il a procédé à une série d’arrestations et mis à l’écart ses principaux rivaux potentiels. C’est ainsi qu’il a remplacé le secrétaire général de son parti par son propre gendre, Bol Mel, accusé de corruption par le gouvernement américain, et jugé trop jeune et inexpérimenté par les principaux responsables de l’armée et du parti au pouvoir.
La situation internationale vient encore compliquer les choses. Le Président Kiir apparaît de plus en plus comme un obligé du gouvernement ougandais, qui l’a soutenu dans sa lutte contre les troupes Nuer. Le fils du Président ougandais Museveni, qui est le chef des forces de défense, n’a pas hésité, dans un tweet sur X, à présenter son pays comme le « Mlinzi wa Kimya » (« protecteur silencieux » en swahili) de son voisin du Nord. Avec le Soudan, la situation est encore plus embrouillée. Alors que les oléoducs du Soudan du Sud doivent traverser le Soudan jusqu’à Port Soudan, d’où le pétrole est acheminé vers le Emirats Arabes Unis, Djouba a accepté les capitaux des EAU pour la construction, à la frontière avec le Soudan, d’un hôpital où seraient soignés des combattants des RSF (Rapid Support Forces) qui se battent contre l’armée soudanaise. Et voilà le Soudan du Sud accusé de double jeu et engagé dans un nouveau conflit, qui n’est pas le sien. Et pendant ce temps, Djouba multiplie les arrestations et les exactions dans la communauté Nuer.
A l’heure où les victimes du conflit russo-ukrainien ou des bombardements sur Gaza se comptent par centaines de milliers, il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la guerre civile au Soudan du Sud a provoqué deux millions de morts et quatre millions de déplacés ou réfugiés. Et toutes les conditions sont réunies pour que la guerre reprenne.
Ce Billet se fonde en grande partie sur un article de Mme Clémence Pinaud, associate professor au Département d’études internationales de l’Université d’Indiana, et auteur du livre « War and Genocide in South Sudan ».
Bernard CORNUT X, expert M-Orient et énergie