Billet du lundi 19 décembre rédigé par Christopher Th. Coonen, membre du Conseil d’administration de Geopragma.

Le sujet du nucléaire abreuve nos discours électoraux, nos préoccupations, nos médias et les actualités géopolitiques du moment. Il a bien sûr été mis aussi sur le devant de la scène suite aux santions contre la Russie et la guerre en Ukraine. 

En France, le nucléaire civil – nos centrales – est le plus contesté par certains segments de notre population et certains corps intermédiaires qui en oublient notre génie nucléaire militaire. Et s’est noyé dans le marasme de la politique énergétique européenne et le suivisme de nos leaders par rapport à la politique allemande et la décision d’Angela Merkel d’en sortir il y a 11 ans. Souvenons-nous qu’au sortir de la deuxième Guerre Mondiale, la France a d’abord rejoint le Conseil de sécurité des Nations Unies avec un droit de veto que seuls les Etats-Unis, l’Union Soviétique, Taiwan et ensuite la Chine Populaire et le Royaume-Uni détenaient également. Puis, forts de notre nouvelle projection mondiale, nous fûmes seulement la troisième puissance à maîtriser l’arme nucléaire suite à la détonation de la « Gerboise bleue » en février 1960. Le Général de Gaulle avait bien compris alors que la France, certes alliée des Etats-Unis et bénéficiaire de son « parapluie de protection », devait être maîtresse de sa destinée. Or, posséder en propre une force de dissuasion la protégeait de la menace alors perçue à l’Est mais lui permettait surtout d’assoir sa souveraineté au niveau mondial.

Aujourd’hui, le sujet du nucléaire civil et militaire cristallise des prises de positions et des crises au plan géographique, de la Corée du Nord à Israël, en passant par l’Iran, le Pakistan et l’Arabie Saoudite. Certaines inquiétudes sont fondées car la technologie nucléaire, selon ses applications, demeure potentiellement mortelle à grande échelle pour l’humanité. Il reste que c’est un atout technologique majeur que peu de pays possèdent et il représente toujours un enjeu aussi fondamental pour la souveraineté française et la place de notre nation dans le concert géopolitique planétaire en pleine reconfiguration alors que l’on assiste à une projection généralisée des intérêts de puissance nationaux.

Penchons-nous sur le parc nucléaire civil français qui nous fournit 72% de notre énergie.

Quelques membres de Geopragma ont eu la chance de visiter le site de Bure / Cigeo. Bure est un projet de laboratoire enfoui à 500 mètres de profondeur, entamé il y a une quinzaine d’années afin d’évaluer la sécurité du stockage de déchets radioactifs civils en fonction de technologies de stockage variées, de la porosité des couches d’argile et de la sismologie/mouvement permanent des plaques tectoniques. Outre Bure, l’ANDRA développe et gère plusieurs sites opérationnels en France : les Centre de Stockage de la Manche et de l’Aube (CRA et Cires). Notons qu’il n’y a pas eu d’incident nucléaire à caractère menaçant pour les populations depuis plus de quarante ans. Certes, « le risque zéro n’existe pas », mais le nucléaire est un savoir-faire français à très forte valeur ajoutée, un vecteur de souveraineté énergétique sans pareille dont les émissions carbones sont nulles et le coût très compétitif. Pour rappel, le coût comparatif du mille-watts-heure s’établit de manière suivante : nucléaire €49, thermique au gaz €70-100, photovoltaïque €143, éolien €82, hydraulique €15-20, (sources CRE et Cour des Comptes). Ce qui en passant ne déplait pas à nos concitoyens en ces temps d’inquiétude pour leur pouvoir d’achat.

Le site de Bure et le travail de l’ANDRA reflètent une expertise hors pair, un niveau de recherche opérationnelle formidable pour notre pays : nous testons in situ et en toutes sortes de technologies de creusement de tunnels et de stockage innovantes qui placent la France au sommet de ce savoir-faire. Cet essai a pour mission d’assurer au maximum notre sécurité à venir et de pouvoir gérer tous nos déchets d’ici 2125, y compris ceux liés à la fermeture future de certaines de nos centrales nucléaires qui arriveront en fin de vie. Ce laboratoire sera le socle d’un projet industriel… sous condition d’un décret ou d’un vote à l’assemblée nationale, et ce projet est tellement prévoyant et intelligent qu’il intègre la possibilité de le modifier ou de l’arrêter dans les décennies à venir pour le bénéfice des générations futures. Nous nous devons d’investir dans l’avenir et dans nos savoir-faire : il est à regretter fortement que nous n’ayons à ce jour que 41 de nos centrales nucléaires sur 56 qui sont opérationnelles. Avec les retards de 12 ans pour la mise en service du réacteur EPR de Flamanville.

La maîtrise de la fission de l’atome sera de plus en plus stratégique dans les siècles à venir, pour motoriser les vaisseaux et les engins qui seront les véhicules de la découverte et de la colonisation par l’homme de l’Espace.

Pourtant, aucun de nos présidents de la République en fonction n’a à ce jour visité le site de Bure. Ne serait-il pas temps de réparer cette faute, de sortir des polémiques inutiles sur le nucléaire français, d’en reconnaitre les atouts, et de renforcer une industrie source considérable en termes d’emplois, de création de richesses et de développements commerciaux à l’échelle internationale? Cela ne signifie pas négliger les questions climatiques ou environnementales, mais bien au contraire soutenir notre souveraineté, c’est-à-dire notre indépendance énergétique, à l’heure où l’on nous informe qu’il pourrait y avoir des délestages cet hiver en France, et où certains contestent les derniers pans sans vergogne et sous les prétextes les plus divers.

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6 comments

  1. RV

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    Un article sur le nucléaire civile qui ne dit mot de la surgénération, seule technique nucléaire viable à long terme, vu les ressources planétaires d’uranium.

  2. RV

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    « Penchons-nous sur le parc nucléaire civil français qui nous fournit 72% de notre énergie »
    électricité ou énergie . . . ?
    https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89nergie_en_France
    La consommation d’énergie finale (au niveau des consommateurs) de 2019 se répartissait comme suit par source d’énergie :
    combustibles fossiles : 64,4 % (charbon 0,8 %, pétrole 43,9 %, gaz naturel 19,6 %) ;
    électricité : 24,7 % ;
    énergies renouvelables thermiques : 8,4 % (biomasse-déchets 8,2 %, géothermie 3,0 %) ;
    chaleur : 2,5 %.

  3. Dominique

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    Le drame de l’actuelle situation énergétique (sans parler du scandale Alstom) est qu’il faut environ 15 ans entre la décision de réaliser et le couplage au réseau d’une centrale. C’est en vérité le remplacement intégral du parc actuel dont il faudrait se soucier et que tout le monde élude en regardant le plafond devenu glacial. L’évidence du factice de la relève par les éoliennes et autres panneaux solaires, si ce n’est pour ceux qui se remplissent les poches, ne suscite pas plus de débat sur leur vérité… Pauvre France !

  4. Jacques BILLOT

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    Vous parlez de la fission.
    Ne serait-ce pas plutôt la fusion, la perspective d’avenir pour une production d’énergie incroyable et sans déchets ?
    L’avancée technologique d’un laboratoire américain il y a qques semaines me fait dire ça mais je me trompe peut-être ?

    • RV

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      Attention aux effets d’annonce auto-promotionnelles !
      L’ expérience aurait libéré 2,5 mégajoules d’énergie alors que 2,1 mégajoules ont été nécessaires pour chauffer le combustible. le gain d’énergie annoncé ne tient pas compte des 500 mégajoules qui ont été injectés dans les lasers eux-mêmes . . .

  5. PHILIPPE NEVERS

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    Bonjour Monsieur Christopher Th. Coonen,
    Vous dîtes: « La maîtrise de la fission de l’atome sera de plus en plus stratégique dans les siècles à venir, pour motoriser les vaisseaux et les engins qui seront les véhicules de la découverte et de la colonisation par l’homme de l’Espace. »
    Sincèrement, je ne souhaite pas que l’homme aille coloniser l’espace, car partout où l’homme va, il n’apporte que destruction et désolation. Il est cupide et destructeur. Notre planète en est le triste constat. Lorsqu’il fait des films sur les extraterrestres, il les voit en destructeurs, en fait à travers ces films il se décrit.
    Maintenant, il est un fait acquit que pour des raisons purement politiques, carriéristes, électoralistes la France a laissé tomber le nucléaire. Aujourd’hui fini les hommes d’état visionnaires comme le grand Général De Gaulle, qui se projetait sur le long terme et non à échéances électoralistes, comme le font nos désespérants « Pitres  » actuels. Aujourd’hui la France a perdu sa souveraineté mondiale, elle n’est que le petit pantin de l’oncle Sam.
    Nous n’avons plus aucune crédibilité, notamment après le cinéma filmé de Macron face à Poutine sur France 2, il a tué définitivement la diplomatie française.
    Le problème réside que nous n’avons plus d’hommes et de femmes d’état, mais des politiques sans envergures infâmes petits carriéristes, ne pensant qu’à leurs prébendes et leur petite carrière.
    Les français avaient vu en Macron un homme providentiel, mais l’homme providentiel n’existe pas, ce sont les événements qui font les grands hommes et femmes. L’incompétence, la médiocrité, sont devenues les totems de la France.

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