Article de Renaud Girard* paru dans le Figaro le 04/05/2020

Nous sommes aujourd’hui, dans le monde, confrontés à une triple crise.

Il y a d’abord une crise sanitaire, où la pandémie d’une maladie assez peu létale a enfermé chez eux la moitié des humains de la planète, la peur au ventre, en raison d’un emballement médiatique et administratif sans précédent. Les sociologues étudieront plus tard avec délectation comment le cycle MEM (médiatisation, émotion, mimétisme) a pu paralyser notre planète, à cause d’une simple maladie infectieuse. Il y a ensuite une crise économique qui dépasse en ampleur celle de 2008 et se rapproche de la Grande Dépression de 1929. Il y a enfin une crise politico-stratégique opposant les deux plus grandes puissances économiques et militaires du monde, les Etats-Unis d’Amérique et la Chine.

Face à cela, nous nous demandons, un peu inquiets, où est passée la concertation internationale. Elle a pourtant été un instrument constant de nos actions politiques depuis 1945.

Dans le domaine sanitaire, la Chine n’a pas eu la transparence et l’attitude responsable qu’on attendrait d’une grande puissance, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui se dit attachée au multilatéralisme et désireuse d’imprimer son leadership à une marche positive du monde, comme l’avait proclamé son président à vie, lors de son discours de Davos du 17 janvier 2017. Il est troublant que l’excellent laboratoire de Shanghai du professeur de médecine Zhang Yongzhen ait été fermé, pour « rectification », par les autorités communistes le 12 janvier 2020, juste après qu’il eut diffusé le séquençage génomique du virus, sur un site scientifique ouvert à tous. Il est inacceptable que les autorités de Pékin aient, le 24 janvier 2020, interdit à l’Institut de virologie de Wuhan de livrer à l’Université du Texas des échantillons infectés par le virus. Plus que tout autre pays dans l’histoire, la Chine a bénéficié des transferts scientifiques et technologiques de l’Occident. La moindre des choses eût été pour elle d’aider les laboratoires occidentaux dans leurs recherches sur le coronavirus.

Par ailleurs, la Chine n’a pas eu l’humilité de demander à l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) d’organiser une enquête internationale à Wuhan, rassemblant les meilleurs experts mondiaux, afin de comprendre les débuts de l’épidémie. Pékin n’a cherché qu’à instrumentaliser politiquement l’OMS, la ravalant au rang subalterne de messager des mauvaises nouvelles.

Sur la crise sanitaire, la concertation internationale n’a bien fonctionné que là où elle est informelle, c’est-à-dire sur internet. Les universités et les chercheurs du monde entier, Chinois compris, ont heureusement pris la bonne habitude de publier immédiatement et systématiquement leurs dernières trouvailles, alimentant ainsi un gigantesque effet de synergie.

Sur le plan économique et financier, la concertation internationale laisse également à désirer, alors que les gouvernements ont eu massivement recours à la création monétaire. La concertation n’a eu lieu que régionalement, en Europe, où, après de longues et âpres négociations, l’UE est parvenue à trouver des remèdes efficaces.

Il est urgent que s’instaure une concertation macro-économique entre gouvernements des grandes puissances et entre banques centrales de la planète, lesquelles se gavent d’obligations d’Etat. La BCE de Francfort, la Banque du Japon et la Réserve fédérale américaine ont considérablement augmenté leur bilan depuis 13 ans, faisant passer leurs actifs d’un trillion d’euros chacune à plus de 5 trillions (et même à plus de 7 trillions pour la Réserve fédérale). Afin de demeurer supportables, les dettes étatiques devront subir un vaste rééchelonnement. Mieux vaut qu’il soit concerté, afin de ne pas créer de brutales divergences entre différentes zones monétaires.

Sur le plan géopolitique, nous sommes passés, entre Pékin et Washington, en l’espace de dix ans, de la Chinamerica quasi-amoureuse du premier mandat d’Obama à une situation diplomatique très tendue, qualifiée par l’historien Graham Allison de piège de Thucydide. Un piège qui peut mener à la guerre, comme entre Sparte et Athènes, à la fin du Vème siècle avant JC.

Autant il est compréhensible que les Occidentaux veuillent relocaliser leurs industries les plus stratégiques, autant il serait dommageable pour tous que la planète se gèle dans une nouvelle guerre froide, aux composantes médiatique, commerciale, financière, voire cyber.

Du 10 au 12 juin 2020, doit se tenir un G-7, sous présidence américaine. Pourquoi ne pas lui prévoir dès aujourd’hui un volet sanitaire et un volet financier très poussés, où Russes et Chinois seraient exceptionnellement invités ? En novembre 2008, la France avait, en s’appuyant sur le G-20, pris le leadership d’une réponse concertée à la crise. Pourquoi ne recommencerait-elle pas aujourd’hui ?

*Renaud Girard, membre du conseil d’orientation stratégique chez Geopragma

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