Billet du lundi 30 décembre 2024 rédigé par Gérard Chesnel membre fondateur et membre du Conseil d’administration de Geopragma.
Les Etats-Unis ont une nouvelle fois semé le trouble dans le monde du déminage humanitaire. Il y a cinq ans déjà, Donald Trump, qui achevait son premier mandat à la Présidence de son pays, avait annoncé que les Etats-Unis qui, bien que non signataires de la Convention d’Ottawa sur l’interdiction des mines antipersonnel, en respectaient l’esprit, allaient désormais utiliser certaines mines supposées « intelligentes » (c’est-à-dire susceptibles de se désamorcer au bout d’un certain temps). Le mois dernier le Président Biden est allé plus loin. A la veille de la réunion de la 5ème conférence d’examen de la Convention (qui s’est tenue à Siem Reap, au Cambodge, du 24 au 29 novembre derniers), il a annoncé que les Etats-Unis allaient envoyer à l’Ukraine trois types de mines antipersonnel (ADAMs, Volcano et MOPMS). Certes la situation de l’Ukraine est très particulière mais on est très loin, là, du respect de l’esprit de la Convention.
Cette question est pour le moins épineuse. En effet, l’Ukraine, signataire de la Convention d’Ottawa, n’est pas autorisée à utiliser ces armes, même si la Russie le fait, elle qui n’est pas signataire de la Convention.
La décision américaine a suscité, comme on peut s’en douter, un tollé parmi les participants à la conférence, qu’il s’agisse des Etats parties (au nombre de 164) ou des ONG dont certaines, comme ICBL, Prix Nobel de la Paix en 1997, ou, en France Handicap International, jouissent d’une solide réputation. Des manifestations ont été organisées sur les lieux mêmes de la conférence, des documents comme la lettre d’un ancien Ambassadeur américain au Président des Etats-Unis condamnant la politique de son pays, ont été diffusés, mais la décision américaine reste pour le moment inchangée.
Au cours des débats, certains « alliés traditionnels » des Etats-Unis (Australie, Canada, Royaume-Uni) ont tenté de faire supprimer du communiqué final la formule traditionnelle condamnant l’usage des mines « par tout acteur, en toutes circonstances ». Ils se sont heurtésnotamment à l’opposition des tenants du « Sud global » qui ont eu beau jeu de faire valoir que le droit humanitaire de la guerre valait autant pour les amis de l’Occident que pour les autres.
Au total, l’esprit et la lettre de la Convention d’Ottawa ont pu être sauvegardés mais l’affaire n’est sans doute pas terminée. Plusieurs pays ont adjuré l’Ukraine de ne pas utiliser ces mines mais le fera-t-elle ? Elle rappelle à l’envi que la Russie, elle, utilise ces armes et ne peut être condamnée puisqu’elle n’est pas signataire de la Convention. C’est là une situation paradoxale qu’il faudra bien traiter.
Si des cas similaires se produisaient de nouveau (ce qui n’est pas exclu, avec la multiplication des conflits régionaux), la Convention d’Ottawa, qui vient de fêter son vingt-septième anniversaire, serait en danger. Les dommages pour la cause humanitaire seraient très importants car, malgré ses imperfections, elle a permis de mobiliser d’importantes ressources, de nombreux pays, de très nombreuses organisations, et elle a permis une prise de conscience à l’échelle mondiale du danger représenté par ces armes, dont les victimes sont plus souvent des civils (notamment des enfants) que des militaires.
Malheureusement, l’universalisation qui seule permettrait une application juste de la convention est encore très loin d’être atteinte. Et les pays non-signataires sont parmi les plus importants du monde : Etats-Unis, Russie, Chine Inde, Pakistan, les deux Corées, Egypte Israël, Liban, Syrie, etc. etc.
Dans ce contexte quelque peu déprimant, on ne peut qu’admirer ceux qui, civils ou militaires, poursuivent quelquefois au péril de leur vie ce travail quasiment sans fin.