Billet du lundi 6 janvier 2025 rédigé par Caroline Galactéros, Présidente de Geopragma.

Pour chacun, dans le cercle de nos amis et connaissances, ces premiers jours de l’année nouvelle sont ceux des vœux, des pensées amènes, des espérances et des bonnes résolutions.

Pour le monde occidental, dont la France est partie (même si notre pays a tant renoncé à lui-même depuis des décennies qu’il n’a rien su faire de ses atouts ni su adopter une position non alignée et médiatrice qui aurait été très utile à la paix en Europe sur le dossier ukrainien), ce devrait être l’occasion de revenir sur les erreurs passées, de tenter enfin autre chose que la surenchère guerrière, d’infléchir une trajectoire qui sinon nous promet un enfermement de plus en plus douloureux et dangereux dans les ornières du passé.

Encore faudrait-il oser identifier les mauvais chemins empruntés, les raisonnements abscons, les postures bravaches si nuisibles aux intérêts des peuples que l’on prétend guider ou représenter ; des peuples in fine toujours victimes, notamment économiquement et socialement dans le cas des Européens, de décisions prises sous l’empire du déni, de la rage, de la haine ou de la prétention.

 Et de ce point de vue, 2024 fut un must, une année perdue et sanglante, une année de trop dans la poursuite effrénée, paniquée même, d’illusions de toute puissance et de maintien d’une domination minée par ses propres flagrants excès.

Où que se tourne le regard, il contemple donc des champs de ruines et de cadavres innocents livrés sans réfléchir à la lutte implacable que nous livrons à un monde nouveau, récalcitrant à notre férule. Un monde qui n’a pas plié et n’a pas plus l’intention de plier cette année.

L’Ukraine est le plus proche de ces buchers de nos vanités. Notre « soutien » borné à un régime dévoyé qui n’est que l’instrument de notre indécrottable volonté d’affaiblissement de la Russie, n’a abouti qu’à une situation bien plus dommageable pour ce malheureux pays qu’il y a encore un an ou deux. Si la paix avait été notre préoccupation, nous aurions depuis déjà longtemps recherché les bases d’un accord avec Moscou permettant le retour de la sécurité en Europe. Mais la paix n’est pas notre problème. Nous voulons la guerre jusqu’au dernier Ukrainien, même si nous finissions par y laisser bien plus que des plumes et demain des soldats s’il le fallait. C’est délirant, c’est parfaitement inutile mais c’est ainsi. Une question de « principes » et de « valeurs » parait-il.  Le comble du cynisme.

Quand je dis si « nous » recherchions la paix, je pense naturellement à Washington, puisque l’Europe ne comprend rien à ses propres intérêts et se contente de donner dans la surenchère belliqueuse pour complaire à la volonté de l’Administration américaine. Donald Trump, qui sera officiellement président dans quelques jours, pourra-t-il changer la donne, mettre au pas l’État profond, purger les abcès de corruption qui gangrènent l’appareil décisionnel américain et proposer les bases pourtant évidentes depuis très longtemps d’un accord à son homologue russe ? Ce n’est pas du tout certain, tant tout est fait pour le désinformer sur la réalité militaire du conflit et l’enfermer dans des logiques guerrières. Il semble néanmoins avoir compris que sa posture initiale consistant à menacer Moscou de faire pleuvoir les armes et l’argent sur Kiev si le président Poutine n’acceptait pas un gel des combats et une force otano-européenne de surveillance, n’avait strictement aucune chance d’engager la Russie aux moindres pourparlers. Moscou néanmoins, connait par le menu la violence de la scène politique américaine et tempère le rythme de ses gains militaires (mais jusqu’à quand ?) pour donner une chance à un dialogue sérieux, même si les pressions internes sont de plus en plus fortes pour pousser le Kremlin à accélérer le rythme de la SMO au premier semestre 2025.

Il faut souhaiter que les avancées russes actuelles constantes dans le Donbass et les très lourdes pertes ukrainiennes depuis plusieurs mois poussent la nouvelle Maison blanche au réalisme, même si le déni demeure très lourd et la volonté de saboter la nouvelle présidence de Donald Trump profonde. On peut donc craindre, si ce dernier ne part pas sur des bases pragmatiques et raisonnables avec Moscou, que la prophétie autoréalisatrice ressassée à Bruxelles, Paris, Londres et (de moins en moins) Berlin ne finisse par advenir : On verrait alors Moscou sevré de ses dernières illusions, finir par avancer vers la Pologne ou les pays baltes alors que cela n’était clairement pas son intention initiale. On serait même capables de s’en réjouir et de dire « qu’on le savait bien ».

Les USA ont tout intérêt pourtant à trouver une issue en Ukraine et les Russes à leur laisser sauver la face. Washington doit choisir ses combats en fonction de la réalité de ses moyens militaires, de sa relation avec la Chine et de l’état du rapport de force mondial qui n’est plus en sa faveur. Le problème est que même cette évidence ne parvient pas à franchir le front du déni et à atteindre les cerveaux embrumés de nos dirigeants sans expérience ni culture. Ils sont intoxiqués par leur propre propagande délirante depuis trop longtemps et même le pragmatique Trump semble actuellement vouloir s’entourer d’un nombre conséquent de faucons qui risquent de ne pas saisir ce moment historique qui permettrait à l’Amérique d’entamer le sauvetage stratégique mais aussi moral et politique de l’Occident.

Si le théâtre ukrainien va donc malheureusement rester encore un bon moment actif, le Moyen-Orient n’est pas non plus près de s’apaiser tout au contraire. L’affaissement de la Syrie sur elle-même, tombée d’épuisement et victime de ses illusions de réhabilitation internationale, livrée aux pires djihadistes, l’avancée turque qui pourrait finir par heurter les ambitions américano-israéliennes et se retourner contre Erdogan, celle toute relative d’Israël sur les ruines de la Palestine et du Liban qui ne rêve que de pousser Trump à lancer les hostilités avec l’Iran, tout cela augure une année de violence sectaire et souffrances indicibles pour les Palestiniens, les Syriens et les Libanais, mais aussi de  probables tentatives de déstabilisation redoublées à l’échelle régionale.

Je pourrais encore évoquer le renforcement de la dynamique des BRICS, la consolidation de la position chinoise au plan diplomatique et stratégique en dépit de ses difficultés économiques conjoncturelles, l’empreinte de plus en plus profonde de la Russie en Afrique sur les ruines notamment de notre politique anachronique, la dureté des affrontements énergétiques, l’Amérique latine et ses incertitudes. Ces sujets ont tous un point commun : ils illustrent, chacun à leur façon, la formidable opposition qui n’est ni « civilisationnelle » ni religieuse, mais bien idéologique et économique, entre d’une part un « vieux monde » longtemps dominant qui ne veut pas reconnaitre sa perte d’influence et de crédit, qui croit encore pouvoir faire la leçon au reste de la planète et régner par le mensonge, la guerre des perceptions, la communication et la propagande, et d’autre part,  lui faisant face avec sérénité et détermination, un « jeune monde » dirigé paradoxalement par de vieilles puissances et des hommes d’État chevronnés qui recherchent la légitimité populaire au lieu de s’en défier, prisent la souveraineté, la tradition, l’égalité internationale, le long terme et la cohérence.

C’est bien un combat de titans qui se déploie sous nos yeux, dangereux et passionnant.  

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5 comments

  1. M RICARD

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    Depuis de nombreuses ( trop nombreuses…) années, l’Occident n’est plus dirigé par des chefs « naturels » mais par des hommes choisis et placés dont l’exercice de la mission implique une forme de fanatisme d’un genre nouveau composé de zèle et d’obstination due à leur obéissance aveugle à un dogme idéologique fixé par d’autres, le tout nappé de bonne cocaïne. Mais ce fanatisme n’est pas reconnu comme tel puisqu’il n’est pas d’essence religieuse a priori du moins. Or, ce mondialisme exacerbé et même hystérique est devenu, à mon avis, un mélange détonant de gnosticisme et de mystique. Le résultat en est des dirigeants devenus adeptes enfermés dans une camisole mentale et dépourvus de toute capacité de modifier ou de revenir sur des « feuilles de route » préétablies. Les Macron, Trudeau et autres n’ont pas à proprement parler de libre arbitre ni toute leur lucidité. Il n’y a donc rien à attendre de tels individus dans le sens d’une inflexion des choix désastreux qui sont les leurs chaque jour. Ils resteront dans leur folie jusqu’à leur mort politique même leur mort tout court. Leur perception et leur compréhension des événements sont forcément erronées d’où des décisions absurdes et incohérentes. Pire : on a l’impression qu’ils sont dans une ivresse de la destruction. Face à eux se trouvent des personnages au contraire très rationnels, lucides et pragmatiques qui regardent les dingueries occidentales avec un amusement médusé. Les européistes dégénérés prêtent à Vladimir Poutine l’envie d’écraser l’Europe de Maastricht ; sauf s’il y est vraiment contraint, il n’en fera rien et attendra juste qu’elle s’écroule toute seule, détruite de l’intérieur. On entend parler de plus en plus de « déclin de l’Occident ». Je crois que nous assistons hélas à une véritable décadence au moins de l’Europe puisque les Américains semblent vouloir retrouver leur Nation. Le déclin étant réversible, la décadence ne l’étant pas, l’Europe semble en perdition. Plusieurs Etats de ce continent sont désormais en voie de devenir à échéance de deux voire d’une seule génération des Terres d’Islam, sans guerre, par simple décomposition.

  2. olivier servant

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    Je suis de près les sites « Trumpistes » et voici une des dernières livraisons de REDACTED le site de Clayton Morris.
    L’Europe doit se soumettre, il est inconcevable que l’Europe préfère dépendre des méchants pour son énergie et non pas des gentils qui sont, certes tellement plus onéreux, mais tellement plus gentils… voici:

    « If I can boil it down to one thing, it is that you need only but a second to understand that he wants to figure out what is the best solution for America, FIRSTLY, in the larger context of the advancement of the entire human race.
    This is precisely why academia can’t stand him and why the media hates him — he makes their worldview of progressive, post-national ideology irrelevant.
    The media and academia build narratives and Trump acts on facts.
    So let me give you a fact — Europe is ripping off the United States, in broad daylight.
    Trump will end this crap.
    Firstly, Europe sells 20% of its products to the U.S. market, but have you seen much American products in continental Europe? I haven’t. The trade deficit stands at a crazy $131bn and that is, in essence, a form of subsidy.
    Should the New World be bankrolling the Old Continent? Not in the Trump-led new global order. Everyone carries their own weight.
    In this relationship, the leverage is clearly tilted towards the United States, which isn’t the slow-growing economic bloc, nor does Russia directly threaten it.
    The Trump administration is going to offer the EU two alternatives: Either be slapped with tariffs, which will balance out the trade deficit, or start buying U.S. goods, primarily oil and LNG. »
    La guerre aux vilains européens est déclarée on ne peut plus clairement.

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