Billet du lundi 27 février 2023 rédigé par Eric Lerouge ancien haut fonctionnaire.

Le 3 décembre dernier a été célébré le 25ème anniversaire de la « Convention d’Ottawa ». De son nom complet, la Convention sur l’Interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction peut aujourd’hui se targuer de réunir 164 Etats signataires, ce qui en soi est un beau succès. Petit bémol cependant : parmi les 32 non-signataires on compte rien moins que les Etats-Unis, la Russie, la Chine, les deux Corée, l’Inde, le Pakistan, l’Egypte, Israël, l’Iran ou encore l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Dans ce dernier pays, qu’un conflit oppose depuis quelques décennies à son voisin arménien, on compte environ un million de mines antipersonnel. Mais les chiffres sont beaucoup plus élevés dans des pays qui, comme l’Angola, le Mozambique, le Cambodge ou l’Afghanistan, ont connu de longues années de guerres civiles ou de combats pour l’indépendance.

Comme pour s’excuser, certains pays non-signataires comme la Chine affirment que, même s’ils ne peuvent pas signer la Convention pour telle ou telle raison (en général, ils tirent prétexte du fait que leurs voisins n’ont pas signé), ils en respectent quand même plus ou moins les règles. La Chine, d’ailleurs, s’est engagée dans des entreprises de déminage, notamment en Ethiopie, comme si elle était signataire de la Convention. Jusqu’à récemment les Etats-Unis tenaient le même langage mais le 31 janvier 2020, le Président Trump a annulé la politique de l’administration précédente interdisant aux forces militaires américaines d’employer des mines antipersonnel en dehors de la péninsule coréenne. Il est vrai que le 22 juin 2022, le Président Biden est revenu sur cette décision et on peut considérer que les Etats-Unis sont actuellement alignés sur les positions de la Convention d’Ottawa. Alors, pourquoi ne la rejoignent-ils pas ?

            Même si on le regrette, on ne peut certes pas reprocher à des pays non-signataires de ne pas respecter les engagements qu’ils n’ont pas pris. Tel n’est pas le cas des Etats parties à la Convention. A cet égard, deux pays s’illustrent dans le non-respect des règles, l’Erythrée et l’Ukraine.

            L’Erythrée ne répond plus. Sans entrer dans les détails de procédure, disons simplement que les pays encore affectés par les mines doivent régulièrement faire rapport de leurs efforts pour se débarrasser de ce fléau et, si les délais envisagés ne sont pas respectés, faire une demande de prolongation qui est généralement considérée avec bienveillance. C’est d’ailleurs l’occasion, pour les pays qui le peuvent, de proposer leur aide. Or, non seulement l’Erythrée n’a pas respecté le calendrier convenu, mais elle ne répond plus aux multiples demandes d’explication des autres Etats parties. Pour ceux-ci, la question est de savoir si l’on doit soumettre le problème aux Nations-Unies, ce qui pourrait entraîner des sanctions, mais ce n’est vraiment pas le but initialement recherché par la Convention.

            Le cas de l’Ukraine est évidemment compliqué par la guerre. Ce pays, qui avait déjà éprouvé de grandes difficultés à respecter le calendrier prévu, est aujourd’hui mis en cause par une ONG et fortement soupçonné d’avoir recours aux MAP. Steve Goose, directeur de la division Armes à Human Rights Watch, a écrit : « Les forces ukrainiennes semblent avoir largement dispersé des mines terrestres autour de la zone d’Izioum, faisant des victimes civiles et posant un risque constant. Les forces russes ont utilisé des mines antipersonnel de façon répétée et commis des atrocités à travers le pays, mais cela ne justifie pas l’utilisation par l’Ukraine de ces armes interdites. »

            Les mines dont il s’agit sont des mines PFM, appelées aussi « mines papillon ». Comment se fait-il que l’Ukraine en détienne un grand nombre ? En fait, ces mines avaient été utilisées par l’URSS en Afghanistan. Pour autant qu’on puisse le savoir, lorsque l’URSS se retira d’Afghanistan, elle emporta avec elle quelque 30 millions de ces mines. Elle en entreposa 20 millions en Russie, et en donna 3 millions à la Biélorussie et 6 à l’Ukraine. Cette dernière  aurait détruit plus de 3,4 millions de MAP entre 1999 et 2020, essentiellement des mines PFM. En 2021, l’Ukraine signala au Secrétariat général des Nations Unies que 3,3 millions de mines PFM encore en stock devaient être détruites. Il semblerait donc que, non seulement elles n’ont pas toutes été détruites mais que certaines d’entre elles seraient actuellement utilisées dans le conflit contre la Russie.

            Interrogé par Human Rights Watch le 3 novembre dernier, le gouvernement ukrainien  a accusé réception de la lettre de cette ONG mais n’a pas fourni de réponses directes  aux questions concernant l’utilisation par les forces ukrainiennes de mines PFM pendant le conflit armé en général ou dans et autour d’Izioum pendant l’occupation russe de la zone. Il a indiqué que « l’Ukraine est un membre responsable de la communauté internationale, et elle s’engage pleinement à respecter toutes ses obligations internationales dans le domaine de l’utilisation des mines. Cela inclut la non-utilisation de MAP pendant la guerre ».

            En conclusion, les évènements récents mettent malheureusement en lumière une des faiblesses de la Convention d’Ottawa, qui peut observer, dénoncer, demander des explications mais n’a aucun moyen de coercition.

Comme le disait déjà Vladimir Ilitch Oulianov en 1901 : « Que faire ? »

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