Article rédigé par Renaud GIRARD, membre du Comité d’Orientation Stratégique de Géopragma.

Après la tournée en Europe et à Moscou de Wang Yi, le chef de la diplomatie chinoise, le président ukrainien a déclaré, dans sa conférence de presse du 24 février 2023 à Kiev, qu’il souhaitait rencontrer son homologue, Xi Jinping.

La Chine vient en effet de publier un plan de paix. Dans ses douze points, on ne trouve ni condamnation de l’agression russe du 24 février 2023, ni même une allusion aux crimes de guerre commis depuis un an par l’armée russe sur le territoire ukrainien. Mais, ce qui intéresse le président Zélensky, c’est qu’on y trouve le rappel du principe d’inviolabilité de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des Etats, consacré par la Charte des Nations Unies.

Bien qu’amie des Russes, avec qui elle effectue régulièrement de grandes manœuvres militaires, aussi bien navales que terrestres, la Chine n’a jamais reconnu l’annexion de la Crimée, effectuée par Vladimir Poutine en mars 2014. Reconnaître une telle annexion, issue d’un référendum unilatéral, eût été, pour les Chinois, ouvrir une voie dangereuse. L’île de Taïwan se gouverne de facto seule depuis 1949. Mais toutes les puissances membres permanents du Conseil de sécurité de l’Onu la reconnaissent comme partie intégrante du territoire de la Chine. Et il existe à Formose un fort courant politique, notamment dans la jeunesse, pour réclamer la sécession de jure puis l’indépendance de l’île, qui serait proclamée après un référendum où seuls les Taïwanais auraient été consultés.

La Chine qui, avec l’Iran, est le seul allié potentiel puissant de la Russie, a-t-elle intérêt à s’investir diplomatiquement pour faire la paix Ukraine ? Certains spécialistes pensent que non. Ils jugent que la Chine ne voit pas d’un mauvais œil les Russes et les Européens s’appauvrir dans un tel affrontement, et qu’elle attend patiemment de ramasser la mise, en Sibérie notamment.

J’estime personnellement que la Chine n’aime pas cette guerre. En tant que première puissance commerciale et manufacturière du monde, elle déteste les bouleversements géopolitiques brutaux. Chez ses partenaires commerciaux, elle recherche avant tout la stabilité et la prévisibilité. La paix lui est beaucoup plus profitable que la guerre.

Lors de leur rencontre à Pékin, le 4 février 2022, en marge de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques d’hiver, les présidents russe et chinois se sont insurgés contre la prétention de l’Amérique à être présente sur les cinq continents et à faire prévaloir son droit dans le monde entier. Mais nous n’avons pas la moindre preuve que Poutine ait informé Xi Jinping de son projet d’attaquer, vingt jours plus tard, son voisin ukrainien.

Officiellement, la Chine ne livre pas d’armes à ses amis russes. L’establishment de Washington soupçonne les Chinois de vouloir le faire. Mais le président américain Joe Biden a reconnu, devant un journaliste, qu’il ne détenait aucune preuve que la Chine ait livré des armes à la Russie.

Le président ukrainien a raison de solliciter son homologue chinois. Seul Xi Jinping peut raisonner Poutine et obtenir de la Russie qu’elle renonce à ses prédations territoriales. Il est bien sûr impensable que le maître du Kremlin, s’il souhaite rester au pouvoir, capitule devant le président ukrainien. Mais un médiateur chinois offre une porte de sortie honorable à Poutine. Il lui sauve la face. Céder aux instances de son « ami » de Pékin, au nom de la préservation de la paix mondiale, c’est autre chose que de capituler devant une Ukraine à qui il refusait, dans un article qu’il publia en juillet 2021, la qualité historique de nation.

Dans son discours de Moscou du 21 mars 2023, Vladimir Poutine a utilisé l’artifice rhétorique de l’inversion accusatoire, pour fustiger l’Otan, « agresseur » de la Russie. En se présentant comme agressé, il devient légitime pour demander de l’aide à son ami chinois. Poutine aimerait que la Chine se comporte à l’égard de la Russie comme l’Otan se comporte à l’égard de l’Ukraine.

Tout se passe alors comme si nous étions parvenus à un point de bascule dans la guerre. Ou bien la Chine choisit l’option diplomatique ou bien elle se lance dans le soutien militaire à la Russie. Dans le premier cas, Xi reçoit longuement Zélensky à Pékin, afin de commencer à établir les bases d’une médiation chinoise, que Poutine ne pourra pas refuser.

Dans le second, la Chine donne les moyens aux Russes de poursuivre indéfiniment la guerre, en prenant le risque de se couper commercialement de l’Occident.

Dans ce grand jeu, il reste une inconnue : la stratégie de l’Amérique dans cette guerre. Elle a déjà connu trois phases : l’appel au changement de régime, le pragmatisme, le jusqu’au-boutisme. Elle hésite quant à la suite. Car autant elle profite beaucoup d’une Europe plus vassalisée que jamais, autant elle ne souhaite pas arrimer la Russie dans l’orbite chinoise.

Renaud GIRARD. Point de bascule dans la Guerre en Ukraine ?

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4 comments

  1. Répondre

    L’indépendance de la Crimée n’a jamais été actée par le référendum de 2014 mais par un vote simple de la Rada de Crimee qui détient le droit à l’auto-détermination.

  2. Chevrotin

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    Un long article pour dire que toutes les options sont ouvertes. Quel courage.

  3. Philippe NEVERS

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    Bonjour Monsieur,
    Nous voyons dans vos propos des éléments uniquement à charge contre Vladimir Poutine. Pour moi il n’est pas question de soutenir Poutine. Mais il serait bon de reconnaître que les Etats-Unis ont tout fait pour que cette guerre ait lieu. Nombre de facteurs démontrent qu’ils ont tout fait pour que le président Ukrainien Victor Ianoukovytch soit évincé et mettre à la place un pantin Tourtchinov président par intérim et le premier ministre Yatseniouk désormais à la botte des américains. Les Etats-Unis désigneront les personnes qui devront faire partis du gouvernement ukrainien. Puis le fils de Joe Biden, Hunter Biden va rejoindre la Burisma importante compagnie gazière et pétrolière d’Ukraine. Le 2 décembre 2014, Natalie Jaresko ressortissante américaine, sous pression des Etats-Unis est nommée ministre des Finances de l’Ukraine entre le 2 décembre 2014 et le 14 avril 2016, au sein du gouvernement Iatseniouk II.
    Le 5 septembre 2014 un accord est signé par les représentants de l’Ukraine, de la Russie, de la République populaire de Donetsk (DNR) et de la République populaire de Lougansk (LNR) pour mettre fin à la guerre Hollande, Poutine, Merckel, Porotchenko, Aleksandr Zakhartchenko pour Donestk et Igor Plotnitski pour Lougansk. En présence de L’envoyée spéciale suisse de l’OSCE, représentante de l’OSCE : Heidi Tagliavini. Les Etats-Unis ont tout fait pour que ces accords ne tiennent pas avec la collaboration de la France et l’Allemagne.
    Sous pression encore une fois des américains, Christine Lagarde patronne du FMI change les règles du FMI. Le FMI ne devait pas apporter assistance financière à un pays qui fait défaut à un autre état. Christine Lagarde décide de changer les règles et porte assistance à l’Ukraine avec un chèque de 18 milliards, plus un plan d’aide des européens de 40 milliards. Le 12 février 2015, ils signent à Minsk, en présence de Petro Porochenko, président de l’Ukraine, et Vladimir Poutine, président russe, un nouvel accord de cessez-le-feu (Minsk II) prévoyant l’arrêt des combats, contre l’engagement des différentes parties sur une feuille de route de treize points.
    Accords non tenus pas l’Ukraine. La liste des manigances faites par les Etats-Unis est longue.
    Vous parlez des crimes de guerre des russes, mais il faut passer sous silence les crimes de guerre fait par l’Ukraine et notamment par tous ces groupes ultranationalistes notamment les crimes commis par les unités fanatiques nazies notamment de civils à Marioupol et Odessa pour ne citer que ces deux villes qui ne dérangèrent que peu les occidentaux. Avec aux commandes Andriy Biletsky et Dmitro Yarosh aux commandes, ils continuèrent le massacre de population civiles dans le Donbass. A savoir que Andriy Biletsky a écrit un livre sur l’organisation de la jeunesse qui doit être éduquée dans la haine des Russes avec son livre « Les paroles du Führer blanc ». cette recherche de la vérité ne plait pas à tout le monde et encore moins l’idée de créer une commission d’enquête libérée de la pression des pouvoirs en place en Ukraine et des Etats-Unis qui contrôle l’ONU.
    Combien de fois les Etats-Unis ont violé la Charte des Nations Unies en toute impunité. Combien de crimes de guerre ont-ils commis depuis la guerre de Corée sans que personne ne disent quoique ce soit. Car eux ont le droit de massacrer des population civiles pour mettre une démocratie ; d’ailleurs le résultat est positif en Irak, en Afghanistan, en Lybie etc.
    Imaginez un seul instant que la Chine installe des bases au Mexique, dans les semaines qui suivent les Etats-Unis envahissent la Mexique et s’il faut tuer des civils mexicains ils ne s’en priveront pas.
    Votre article est à charge de la Russie. Mais les Etats-Unis veulent garder leur hégémonie et si pour cela ils doivent tuer des millions de civils, détruire des pays, ils le feront et ne s’en priveront pas. Ils partent du principe que le monde doit leur obéir. Suite au conflit en Ukraine ils savent que les Pays d’Europe sont désormais leurs larbins avec la collaboration des médias, qui jouent tous les jours avec l’émotionnel, la peur et la terreur. Le nombre d’inepties racontées chaque jour est incommensurable.
    Pour les occidentaux et l’ONU les Etats-Unis ont tous les droits, droit de vie et de mort car eux font de l’ingérence, des guerres et des crimes de guerre propres pour le bien de l’humanité.
    Le grand Général De Gaulle avait bien raison : « Le plus grand fléau contre lequel le monde aura à lutter à la chute du communisme sera l’hégémonie américaine. » C’était un visionnaire.

  4. Répondre

    Tout comme l’improbable et inapproprié « Poutine aimerait que la Chine se comporte à l’égard de la Russie comme l’Otan se comporte à l’égard de l’Ukraine. » , le dédoublement du texte est sans doute une erreur…

    La Chine pour l’instant exploite la situation, en exportant en Russie ce que les européens ne fournissent plus et en augmentant ses importations russes dont du gaz peu cher. Elle s’amuse de l’épuisement des stocks de munitions occidentaux et continue de s’armer à grande vitesse, prête à assumer un hégémon dont son futur vieillissant aura bien besoin pour nourrir ses vieux os. Car les traditions chinoises sont implacables: on doit s’occuper des vieux.

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