Billet du lundi 12 septembre 2022 rédigé par Caroline Galactéros, Fondatrice et Présidente de Geopragma
C’était une femme de son temps mais surtout une femme hors du temps.
L’ampleur de l’écho de son décès, bien au-delà des limites du Royaume Uni et du Commonwealth, et jusque dans d’innombrables chaumières françaises, est assez extraordinaire mais point inattendue.
Tous les Français ne lisent pas Point de vue images du monde, loin de là. Moins encore sont royalistes. Il faut donc chercher ailleurs la source de cette peine sincère partagée depuis quelques jours. C’est de partage en effet qu’il s’agit. Chacun partageait un peu cette Reine indestructible aux allures pourtant si familières, qui régnait sans gouverner mais gouvernait à coup sur les cœurs de ses sujets.
Si elle ne gouvernait pas, elle s’informait néanmoins par le menu de l’état de son royaume et dédia sa vie entière à ses peuples et à la lourde tâche de représentation qui fut la sienne durant plus de soixante-dix ans, au gré des aléas de la guerre, des victoires et des défaites, de la fin de son empire aussi et de sa transformation, des crises économiques et sociales. Parfaite incarnation du soft power britannique, elle fut aussi une Reine de l’intime : la femme d’un unique amour, une mère affectueuse et vigilante. Elle aimait les chevaux, les voitures et ses chiens. Et alors ? Comme les Anglais ! Elle portait la toilette comme personne, pleine d’une grâce à la fois altière et simple et d’un humour à froid corrosif. Enfin, depuis toujours, elle sut dans les affaires familiales préserver l’intérêt de la Couronne tout en concédant à la modernité des mœurs ce qu’elle ne pouvait empêcher.
Le chagrin quasi unanime suscité par sa disparition révèle au fond combien nos démocraties sont en manque de transcendance, non par amour ou nostalgie de la royauté, mais par besoin de ressentir une permanence, une incarnation tranquille et sereine qui les rassure face à la fragmentation généralisée des nations et des équilibres, à l’agitation impuissante d’une classe politique occidentale qui n’a cure des peuples qu’elle prétend orienter, à la déréliction vertigineuse des valeurs démocratiques défigurées par leurs exaspérations progressistes. On sent dans les innombrables témoignages de gens du commun comme une pointe d’envie, une frustration face à ce peuple britannique qui reste soudé à travers ce qui semble être une incongruité anachronique et surannée.
En fait elle fut toujours en surplomb, avec une parole rare mais attendue dans l’épreuve. Elle connut la grandeur et l’esprit sublime d’un Churchill qui l’initia aux affaires du monde, puis d’autres nombreux premiers ministres britanniques plus ou moins brillants. Elle incarnait la majesté, le faste et l’idée d’indépendance d’un Empire face aux outrages du temps et de la Fortune.
Pleurer la Reine d’Angleterre défunte ne signifie pas, très loin de là, que l’on cautionne la politique étrangère de la Grande-Bretagne. La triste curée lancée en Europe sur la Russie via l’Ukraine, à laquelle elle prend une part éminente, peut aisément nous rappeler qu’Albion n’a rien perdu de sa perfidie. Cela signifie que l’on se sent orphelin peu ou prou de la dernière, de la plus digne et de la plus familière des figures d’un temps enfui à jamais. Nous vivons bien la fin d’un monde. Elisabeth II nous rattachait encore symboliquement à lui par le fil tenu mais résistant de sa longévité qui semblait inaltérable. Désormais, il n’y aura plus que l’interminable pugilat entre les « leaders » au petit pied qui peuplent les palais gouvernementaux et n’ont le plus souvent comme horizon stérile que leurs ambitions ordinaires en place du souci de la grandeur de leur nation.
Francis FELTRIN
Jacques BILLOT
Sebirot