Billet du lundi 17 février 2025 rédigé par Gérard Chesnel membre fondateur et membre du Conseil d’administration de Geopragma.

Le 4 février dernier, Karim Aga Khan IV s’en est allé, discrètement. Sa mort n’a pas fait les grands titres des journaux : il n’était après tout que le chef spirituel d’une quinzaine de millions d’ismaéliens. Il n’était après tout que l’un des hommes les plus riches du monde et faisait profiter de sa fortune des centaines de gens ou d’associations méritantes (on estime à un milliard de dollars par an le montant de ses dons). Mais ce qui le rendait encore plus remarquable, c’était la grande diversité et l’universalité de ses actions caritatives. L’Aga Khan s’intéressait autant à l’éducation qu’à la santé ou à l’urbanisme. Et il n’a jamais voulu faire de distinction, chez les bénéficiaires de ses largesses, entre les races ou les religions. C’est d’ailleurs l’une des caractéristiques des ismaéliens nizârites, qui accordent plus d’importance à la spiritualité qu’aux interdits et aux règles venus on ne sait trop d’où.

Le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, s’est déclaré « profondément attristé » de sa disparition, et le Premier ministre démissionnaire canadien, Justin Trudeau, a eu aussi quelques belles paroles à son égard. Sauf erreur de ma part, on attend encore un mot de condoléances de la part d’un responsable français, pour ce parfait francophone, qui a beaucoup investi dans notre pays, comme pour la rénovation du domaine de Chantilly ou la création de plusieurs haras.

Qu’il me soit permis d’évoquer un souvenir personnel qui éclaire la personnalité atypique de l’Aga Khan. Invité en 2002 à l’ambassade du Pakistan, j’ai eu la chance de m’entretenir assez longuement avec lui. Alors que je n’étais que directeur-adjoint d’Asie au Quai d’Orsay, et donc loin d’être l’hôte le plus important, l’Aga Khan vint très simplement m’interroger sur mon travail et sur ma carrière. Je lui parlai de la Chine, où j’avais passé huit ans ce qui sembla beaucoup l’intéresser et il évoqua à son tour un voyage qu’il avait lui-même effectué, quelques années auparavant, dans l’ouest du Xinjiang. Il y avait rencontré bon nombre d’ismaéliens qui, me dit-il avec une pointe d’amusement, « lorsqu’ils comprenaient qu’il était l’imam, se trouvaient à la fois enthousiastes et un peu désemparés ». Tel était l’Aga Khan : à la fois conscient de son rang et proche du peuple, qu’il aimait.

Karim Aga Khan IV n’a jamais cherché à profiter de son immense charisme pour créer un mouvement politique qui n’aurait pas manqué de susciter des remous dans cette région où les équilibres sont si fragiles. Du reste, cela serait allé complètement à l’encontre de ses convictions. Pour lui, le rôle d’un chef religieux était d’aider son prochain. Et il le faisait avec modestie, et avec le souci de se tenir éloigné des fanatismes et des intolérances. C’était, dans l’époque actuelle, une attitude rare et courageuse.

Selon la tradition ismaélienne, c’est son fils aîné, Rahim, qui lui succèdera, avec le titre d’Aga Khan V. Il faut espérer qu’il suivra les traces de son illustre père et maintiendra la même attitude de tolérance. C’est d’autant plus important que les ismaéliens nizârites, même s’ils ne représentent souvent qu’une petite minorité dans les pays où ils sont, sont répartis à travers le monde et peuvent avoir une influence sans commune mesure avec leur poids démographique. Et n’oublions pas qu’une minorité peut faire basculer des majorités.

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