Veille effectuée par Lucas Dureuil, chargé de mission chez Geopragma.

 

Du 19/02/2021 au 21/03/2021

 

 

Évaluation de la situation

 

Le gouvernement de Dbeibah a obtenu la confiance de la Chambre des représentants, avant la date limite fixée au 19 mars. Ce nouveau gouvernement intérimaire est composé de 27 ministres, six ministres d’État et 2 vice premiers ministres et relève d’une large coalition d’intérêts. Dbeibah a habilement réparti les postes en fonction des groupes d’intérêt, des régions et des localités, ce qui lui a permis de surpasser les divisions internes et de présenter un cabinet acceptable par la Chambre des représentants, dont le Président n’était autre que son rival lors de l’élection du 5 février. 

 

Si la majorité des portefeuilles ont été confiés à des Libyens issus de la Tripolitaine, son cabinet respecte bien le caractère tripartite régional du pouvoir intérimaire. Ses deux vice premiers ministres sont ainsi issus de l’Est et du Sud. 

Il est également intéressant de s’arrêter un instant sur les ministères régaliens. 

L’ancien conseiller économique de Fayez al-Sarraj, Omar Ali al-Ajili, devient ministre de l’Économie et du Commerce. L’important ministère du Pétrole et de l’Energie revient également à un Libyen issue de la Tripolitaine, Muhammad Aoun, ancien représentant de la Libye auprès de l’OPEP. Enfin, le ministère de la Justice est attribué à Halima Ibrahim Abdel Rahman, juriste originaire du Sud de Tripoli.

Le Sud peut se prévaloir du ministère de l’Intérieur, avec à sa tête Khaled Mazen, déjà responsable de la sécurité intérieure dans le gouvernement de Sarraj en tant que sous-secrétaire du ministère de l’Intérieur. Et Khaled Al-Mabrouk Abdullah devient ministre des Finances. 

Quant à la Cyrénaïque, elle obtient le portefeuille des Affaires étrangères avec à sa tête Najla al-Mangoush. Originaire de Tripolitaine, Najla el-Mangoush, a étudié le droit à Benghazi avant de s’envoler pour les États-Unis où elle s’est spécialisée dans la résolution de conflits. Elle a été membre du Conseil de transition. Sa présence doit servir de médiation entre les différentes parties du conflit libyen. À noter la présence de cinq femmes dans le nouveau gouvernement, féminisation qui s’inscrit dans le jeu de séduction que pratique Dbeibah aux multiples acteurs en Libye, intérieurs comme extérieurs.

Le ministère de la Défense, central dans la répartition des postes, devrait faire l’objet de concertations entre le premier ministre et le Conseil présidentiel. Il est pour l’instant du ressort de Dbeibah. 

 

Alors que le maréchal Haftar compte peu de fidèles dans le nouveau cabinet – il souhaitait obtenir le ministère de la Défense et le poste de vice-premier ministre de l’Est est revenu à un proche de Saleh, au détriment du candidat proche d’Haftar, le maire de Benghazi Saqr Bujwari – la faible présence de Frères musulmans dans le nouveau gouvernement est un gage de confiance de Dbeibah envers lui. Dbeibah reste néanmoins très proche des réseaux islamistes et des Frères musulmans. Il peut notamment compter sur le soutien majeur du prédicateur frériste Muhammad al-Sallabi. 

 

Le maréchal Haftar, qui avait appelé ses délégués à voter pour la liste de Dbeibah le 5 février, devrait donc continuer à jouer un rôle de premier rang. Il reste à la tête de l’Armée nationale libyenne et Dbeibah, qui tente de regrouper un large consensus national, n’aurait aucun intérêt à la pousser vers la sortie. Sûrement n’en a-t-il d’ailleurs pas le choix, au vu de ses patronages étrangers. 

Quant à Fayez al-Sarraj, il a officiellement effectué sa passation de pouvoir et devrait perdre son influence. 

 

Après avoir obtenu l’assentiment du couple adversaire-partenaire turco-russe, Dbeibah a donc réussi à surpasser les désaccords nationaux initiaux, et malgré un vote de confiance reporté par deux fois, a réussi à faire accepter une coalition d’intérêts et son gouvernement. Si Kadhafi avait changé de femme pour obtenir le soutien d’une tribu influente de la Cyrénaïque – Kadhafi déjà disposait d’une forte légitimité en Tripolitaine – Dbeibah a de son côté partagé les postes du gouvernement entre les différentes localités et régions. 

La confirmation des tentatives de corruption d’au moins trois membres du Forum du dialogue politique libyen (FDPL) n’aura plus d’incidence. Selon le rapport onusien, les membres concernés auraient refusé les pots-de-vin qui leur ont été proposés. L’ONU se tirerait une balle dans le pied si elle remettait en cause le gouvernement qu’elle a mené au pouvoir, et qui est désormais reconnu par la communauté internationale. 

 

En vue de l’élection de décembre, la première tâche de la nouvelle administration sera l’unification des institutions étatiques, à commencer par la réunification des deux banques centrales rivales. 

 

Enfin, malgré cette avancée politique majeure, le délai d’organisation de l’élection de décembre, qui nécessite en amont une nouvelle Constitution et son approbation, est beaucoup trop court pour voir aboutir un tel processus. 

 

 

 

Chronologie

 

19/02 : 

  • Un rapport de l’ONU révèle que la société de sécurité privée américaine Blackwater a violé l’embargo onusien sur les armes en Libye. Selon ce rapport, Blackwater a fourni des mercenaires étrangers et des armes aux forces du maréchal Haftar, pour un montant de 80 millions de dollars. 

 

21/02 :

  • Fathi Bashagha, ministre de l’Intérieur du GNA de Sarraj a été victime d’une tentative d’assassinat dans la banlieue ouest de Tripoli.
  • Première réunion du nouvel exécutif intérimaire. 

 

26/02 : 

  • La date limite de nomination du nouveau gouvernement est désormais passée. Dbeibah a pour l’instant seulement partagé sa « vision » au Parlement. 

 

27/02 : 

  • Aguilah Saleh, Président de la chambre des représentants, annonce que la session de vote de confiance au nouveau gouvernement se tiendra le lundi 8 mars, à Syrte. 

 

28/02 : 

  • L’AFP a obtenu un extrait d’un rapport d’experts de l’ONU sur la Libye. Selon cet extrait, au moins trois membres du Forum du dialogue politique libyen (FDPL) auraient reçu des pots-de-vin de plusieurs centaines milliers d’euros pour voter pour la liste de Dbeibah. 

 

01/03 : 

  • Suite aux soupçons de corruption, Dbeibah défend « l’intégrité » du Forum du dialogue politique libyen (FDPL).

 

02/03 : 

  • Les nouvelles autorités exécutives libyennes appellent l’ONU à publier le rapport, pour l’instant confidentiel, sur les allégations de corruption durant le Forum du dialogue politique libyen (FDPL). 

 

04/03 : 

  • Le premier ministre libyen a transmis au président de la Chambre des représentants la liste de son gouvernement, restée secrète. Le vote de confiance doit se tenir le lundi 8 mars, à Syrte. 

 

07/03 : 

  • 42 membres de la chambre des représentants appellent au report de la session de vote de confiance au nouveau gouvernement.

 

08/03 : 

  • Début de la session de la Chambre des représentants consacrée au vote de confiance.
  • Le vote de confiance est reporté au mardi 9 mars. 

 

09/03 : 

  • Nouveau report du vote de confiance au gouvernement de Dbeibah. 

 

10/03 : 

  • Le nouveau gouvernement a obtenu la confiance de la Chambre des représentants lors d’une session qualifiée d’« historique » par Dbeibah. 

 

12/03 : 

  • « Le Conseil de sécurité appelle toutes les parties à appliquer pleinement l’accord de cessez-le-feu (du 23 octobre) et exhorte les États membres à respecter et à soutenir la pleine application de l’accord. »

 

13/03 :

  • Dbeibah s’est installé au siège du premier ministre, à Tripoli. 

 

14/03 : 

  • Frappes aériennes sur la ville d’Oubari, visant des membres de l’État islamique (EI). Les forces du maréchal Haftar ont par la suite annoncé l’arrestation d’un leader de l’État islamique en Libye, Abou Omar. 

 

15/02 : 

  • Les membres du Conseil présidentiel et du gouvernement ont prêté serment.

 

16/03 :

  • Cérémonie de passation de pouvoir à Tripoli entre Fayez al-Sarraj et Menfi et Dbeibah. 

 

17/02 : 

  • Visite officielle du président tunisien, Kaïs Saïed, à Tripoli. 
  • Publication du rapport du panel d’experts de l’ONU sur la Libye, qui confirme des tentatives de corruption d’au moins trois membres du Forum du dialogue politique libyen (FDPL), versements de pots-de-vin rejetés par les membres concernés. 

 

20/02 : 

  • Le Conseil de Sécurité de l’ONU salue l’approbation des nouvelles autorités exécutives. 

 

21/02 : 

  • Visite du ministre italien des Affaires étrangères, Luigi di Maio, à Tripoli. 

 

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