Le Billet du lundi, par Christopher Coonen*

« Là-dessus, au fond des forêts
   Le loup l’emporte et puis le mange,
   Sans autre forme de procès.  » 

La Fable du Loup et de l’Agneau a un écho aujourd’hui dans la lutte qui oppose la France et l’Europe face aux GAFAM américains : Google, Apple, Facebook, Amazon, et Microsoft. Ces géants du numérique ont été sommés de payer leur juste écot par le Ministre de l’Economie, M. Bruno le Maire, et au travers d’un texte de loi adopté le 11 juillet 2019 par le Parlement français, ciblant trois types d’activité en France : publicité en ligne, vente de données personnelles à des fins publicitaires et des activités de plateformes d’intermédiation, à hauteur de 3% de leur chiffre d’affaires. 

Les GAFAM

Sont concernées des entreprises européennes et pour la plupart américaines :

Le responsable du Trésor américain M. Chip Harper, se projetant déjà dans le Brexit, a aussitôt condamné au mois de juillet 2019 cette prise de position et a laissé planer la menace de mesures de rétorsion en taxant notamment les importations de vins français et autres produits du Royaume-Uni. Par conséquent, pour trouver une solution de taux d’imposition qui puisse convenir à toutes les parties d’ici fin 2020, un compromis a été conclu lors du forum de Davos la semaine dernière, dans le cadre d’une négociation mondiale via l’OCDE. Cela avait déjà été évoqué lors de la réunion du G7 à Biarritz en août dernier.

C’est un ancien « grief1 » de la France, mais aussi des autorités américaines remontant aux années 2000 ; les acteurs d’internet dans leur globalité ont longtemps échappé aux autorités fiscales. Nous ne pouvons d’ailleurs que déplorer que la France et l’Europe n’aient de véritables champions numériques, la place étant désormais prise par les géants américains et chinois. Et l’Europe se retrouve à nouveau désarmée dans ce bras de fer. Par sa propre faute.

Car même si un accord est trouvé à travers les bons offices de l’OCDE d’ici la fin de l’année, dans le meilleur des cas, il y a fort à parier que l’acquittement de ces impôts sera bien inférieur à 3%. Les acteurs américains en particulier ont depuis des années structuré leurs sociétés de manière complètement légale au regard du droit français et européen, en créant des filiales dans la République d’Irlande et au Luxembourg pour bénéficier de l’imposition la plus légère possible. A travers des structures doubles dites du « double Irish », elles réduisent au maximum leur chiffre d’affaires en versant entre elles des prix de transfert. Et dans certains cas, remontent ces chiffres d’affaires dans des holdings à Singapour ou dans d’autres « paradis fiscaux », lésant par ailleurs les autorités fiscales des Etats-Unis. 

Un double jeu est en cours. Pour l’administration Trump ou pour celles qui lui succéderont : toutes joueront la carte d’une extra-territorialité américaine. En réponse, l’Irlande ou le Luxembourg mettront alors leur veto pour amender les lois fiscales européennes au profit de leur statut particulier qui leur permet de créer sur leur sol des emplois et de la richesse depuis des années.

La France et l’Europe sont donc prisonnières de leur propre fait. Dans ces circonstances, crier « Au loup! » résonne dans le désert.

*Christopher Th. Coonen, Secrétaire général de Geopragma

Note :

1. « douleur », en anglais

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