Face à une France qui ne cesse de se contredire, Giorgia Meloni, Présidente du Conseil (correspondant au Premier Ministre) de la République Italienne, peut-elle faire revenir l’Italie sur l’échiquier mondial ? Article de Emmanuel Goût, membre du Comité d’Orientation stratégique de Géopragma.

      Encore récemment le Maroc affirmait, commentant ses relations avec la France : « nos relations ne sont ni bonnes ni amicales » 3.03.2023. Un ton qui n’a rien de rassurant alors que nos relations avec le voisin algérien sont tendues et que celles nous liant à la Tunisie – qui rétablit ses relations diplomatiques avec la Syrie – sont aux abonnés absents ; voilà pour le Maghreb. Le récent voyage du président Macron dans une Afrique visiblement encline à vouloir se débarrasser d’un cynisme postcolonial français – à tort ou à raison – ressemble à un coup d’épée dans l’eau.

      Son retour d’un voyage en Chine, salué par des manoeuvres d’encerclement de Taiwan par Pékin, fait ressurgir les contradictions entre les déclarations et les actes du Président Macron ; la liste est longue tant en politique intérieure qu’en matière internationale: de la fin du nucléaire au tout nucléaire, de la non-réforme des retraites à une réforme brutale, de la russophilie à la russophobie, de la mort cérébrale de l’OTAN au « tout » Otan, d’une indépendance de l’Europe et de la France souhaitée à la vassalisation de notre pays aux USA jusqu’à ce nouveau virement de bord au cours de son voyage aux Pays Bas, sur le retour à une indépendance de l’Europe et l’affichage d’une hypothétique politique de souveraineté économique européenne… dans l’illogisme contradictoire qu’il pratique, le pire est sûrement à craindre aussi sur ce front.

      Non, Monsieur le Président, la France n’est pas un dériveur, c’est un paquebot – « France » – qui a besoin d’un cap et sûrement pas de virements de bord impulsifs… Riche en contradictions, la France ne se prive cependant pas de continuer à vouloir donner des leçons à l’Italie, tant au cours de la campagne électorale qu’au lendemain des résultats incontestables, affichant un vrai dénigrement à l’égard de sa nouvelle Présidente du Conseil, Giorgia Meloni (GM). C’est vers elle que nous nous tournons pour comprendre si elle peut offrir à l’Italie, en alternative d’une France qui ne cesse de se contredire, le rôle international qu’elle mérite.

      Dans ce contexte et non sans un arrière-goût d’ironie, les Italiens n’ont guère oublié la harangue enflammée de G.M contre la politique africaine de Macron (youtu.be/042iqrYGPIo).

C’est dans cet état d’esprit que Giorgia Meloni a installé son Gouvernement : Giancarlo Giorgetti au poste de Ministre de l’Économie et des Finances, un ministre bien connu et craint des Français (en particulier du Groupe Vivendi) qui appartient à « La Lega » (le parti La ligue), connu pour son sens

de la fierté nationale et régionale, Giovanbattista Fazzolari, un conseiller personnel qui fait sur notre pays une fixation négative encore inexpliquée

alors qu’il baigna dans le système éducatif français fréquentant le célèbre lycée français de Rome – le Chateaubriand – et enfin Adolfo Urso, nommé Ministre des Entreprises et du Made in Italy, fin analyste des rivalités industrielles et stratégiques entre la France et l’Italie. Le tableau est ainsi dressé. Giorgia Meloni est en ordre de marche pour en découdre avec la France de Macron – le terrain est fertile : à titre anecdotique les « cousins d’outre Alpes » étaient à 99% pour l’Argentine lors de la finale de la coupe du monde de football!

 

       Mais l’Europe a ses règles et la France y pèse lourd, alors que l’Italie post Covid en est extrêmement dépendante. Deux enjeux : le MES (Mécanisme Européen de Stabilité) qui est encore sur la table de la Présidence du Conseil et le très juteux PNRR (Plan National de Reprise et Reconstruction) de 235 milliards d’euros, le premier ne manquant pas de conditionner l’obtention du second. Le Gouvernement italien est par conséquent très attentif à ne pas heurter Bruxelles alors même que sa politique intérieure – par exemple la politique migratoire – ne manque pas, elle, d’attiser les rancoeurs d’une Europe qui a souvent d’énormes difficultés à reconnaître une élection quand elle ne lui convient pas: à titre d’exemple, les difficultés à accepter les nombreux succès électoraux de Orban en Hongrie, recourant même à des chantages économiques ou la défiance devant la nette victoire du parti de GM – Fratelli d’Italia – dans la Péninsule. On se souviendra aussi des pressions subies par la France lors du référendum sur la Constitution européenne de 2005, clairement gagné par le « non », qui conduisirent Sarkozy à « violer » le suffrage des urnes quelques années plus tard.

      GM non seulement a mis en place un « bouclier » anti-France, mais elle va au-delà, et chasse sur ce que la France pense encore être ses terres de prédilection comme en Algérie, où le Président français entretient la confusion entre assumer son histoire et repentance, nouvelle contradiction. GM dépoussière la fameuse « Bataille d’Alger » de Pontecorvo. En signant un accord sur le gaz algérien, GM inflige un camouflet de taille au Président français. Elle ira même se recueillir sur la tombe de l’architecte de la politique énergétique italienne Mattei, dont l’histoire écrit qu’il fut probablement tué par les services secrets français. Dans la région, l’Italie maintient d’ailleurs des liens étroits avec la Libye énergétique – toujours inspirée par le plan Mattei – et règle ainsi ses comptes avec la France de Sarkozy/BHL qui engendra la catastrophe que l’on connaît. L’Italie se positionne ainsi comme un possible hub énergétique sud pour l’Europe.

 

      En Asie, GM décide aussi d’entreprendre une politique internationale originale, sur des terres où on ne l’attendait pas, en Inde – alors que les relations avec New Delhi s’étaient ces dernières années détériorées à la suite d’une crise à propos de ressortissants italiens emprisonnés puis longuement négociés -. Ce pays, en voie de devenir le plus peuplé au monde, émerge comme une alternative à la Chine, et l’Italie y voit désormais un partenaire

privilégié, ne subissant pas les a priori idéologiques à l’égard du leadership nationaliste de ce pays. Une « Real politik » à l’italienne en somme, dont l’Europe est peu friande, lui préférant la politique des ONG. Sans complexes, en Inde, l’Italie définit un plan de coopération dans l’industrie de la défense et l’énergie. En guise de compensation à ces politiques internationales qui projettent l’Italie dans la réalité de demain, Rome donne des gages sur la question ukrainienne, renonçant ainsi à des années d’amitié consolidée avec la Russie…

Mais GM avait-elle le choix?

      Sur la question ukrainienne, GM pratique l’extrême. Elle suit aveuglément toutes les orientations américaines alors que les USA, paradoxe institutionnel, sont depuis plus d’un an sans ambassadeur en Italie ce que l’on peut aisément interpréter comme un manque de considération. Sous Draghi – précédent Président du Conseil – , une plaisanterie de salon circulait: mais pourquoi faudrait-il un nouvel ambassadeur des USA en Italie, alors que nous avons Draghi! Visiblement nous sommes restés dans cette logique. GM sait fort bien le poids ancestral des Américains sur la vie politique italienne – certains attribuent même la chute de Berlusconi à son amitié avec le Président russe -. Récemment on a pu revivre dans une série consacrée à Aldo Moro diffusée sur Arte (Esterno notte réalisée par Bellocchio), « l’implication » américaine dans la gestion de ce drame.

Rien ne peut se faire en Italie sans le blanc-seing américain.

      Ce n’est cependant pas la seule explication à la radicalisation extrême de GM sur la question ukrainienne. Car au-delà de l’influence américaine, il faut aussi prendre en considération les liens entre l’extrême droite radicale italienne – Casapound – et la puissante extrême droite ukrainienne qui puise ses origines dans son anti-communisme pendant la seconde guerre mondiale. C’est elle qui, par la participation d’une frange non négligeable de la population ukrainienne, vint gonfler la collaboration avec les Nazis et, au lendemain de la seconde guerre mondiale, réussit à acquérir une nouvelle virginité, soutenue par les USA, pour combattre le bolchévisme et la Russie. (US Intelligence and the Nazis – Richard Breitman)

      Toute l’Ukraine n’est pas nazie comme la propagande russe veut le faire croire, mais il est indéniable qu’une partie de sa population – Azov & co – revendique l’héritage – celui de Bandera, coupable d’antisémitisme et de génocide-. Contradiction, paradoxe culturel, le Président Ukrainien Zelenski ne manque aucune occasion pour louer cette frange de sa population qui dans nos pays serait sans nul doute mise au ban de la société.

      Sans tomber dans le piège de ceux qui pensent qu’une fois que l’on a été fasciste on le reste à vie, au contraire des communistes et produits dérivés trotskistes & co, qui auraient, eux, droit à une nouvelle virginité, il convient de rappeler que les origines politiques de Giovanna Meloni sont bien inscrites dans l’histoire du parti fasciste jusqu’à ses dernières évolutions – presque des révolutions – parmi lesquelles le grand tournant fondateur, catalysé de fait par Silvio Berlusconi, qui conféra, dans le cadre des élections romaines une légitimité politique à Gian Franco Fini et son parti Alliance Nationale, 23.11.1993.

      On aurait par conséquent voulu retrouver chez Giorgia Meloni le développement de certaines valeurs et références : une Europe des Nations, une indépendance vis à vis des USA, une politique étrangère originale et non soumise, une politique migratoire rigoureuse mais pas insensible, des liens forts avec les pays partageant ses valeurs sur les modèles familiaux et sociaux. GM nous a montré originalité et vision stratégique sur des  pays qui sont aussi partenaires de la Russie – l’Inde et l’Algérie -, mais GM se fait aussi plus royaliste que le roi sur le conflit russo-ukrainien: dépendance des USA,

liens personnels de son entourage avec l’Ukraine, filiations extrémistes?

      GM, forte de sa vision mais aussi de ses contradictions, a encore la possibilité de profiter d’une France qui perd chaque jour plus de crédibilité, d’une Allemagne encore poursuivie par ses démons, d’un Royaume Uni « brexité » et des USA nostalgiques de leur ancien rôle de gendarme du monde. Elle pourrait ainsi confirmer l’adage de mon professeur d’histoire, l’abbé Vens, qui enseignait que « l’Italie ne finit aucune guerre avec qui elle l’a

commencée » -. Sans pour autant pratiquer un tel revirement, GM a encore l’occasion de jouer la carte du nouvel équilibre du monde et de placer l’Italie sur l’échiquier mondial.

Emmanuel Goût. Retour de l’Italie sur l’échiquier mondial ?

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1 Comment

  1. Chevrotin

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    On sait bien qu’au royaume des aveugles les borgnes sont rois. Est-ce que ceci mérite un article chez Géopragma, est un autre débat…..

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