Le Billet du Lundi 4 octobre par Ghislain de Castelbajac, membre fondateur de Geopragma.
J’ai eu la chance de me trouver aux portes du Sahel, entouré de Maliens, lors de l’intervention française au Mali début 2013 dans le cadre de l’opération Serval, devenue Barkhane en 2014. Au moment où l’armée française a remporté des victoires-éclair au Nord Mali et libéré Tombouctou du joug islamiste, j’ai pu constater et m’imprégner de l’espoir que la France peut susciter lorsqu’elle s’engage auprès de ses alliés pour une cause juste.
Le maintien de nos troupes au Mali depuis huit ans maintenant n’était sans doute pas au programme des réjouissances. Encore moins nos 56 soldats morts pour la France.
Si Paris n’était pas intervenu, il est fort probable que le Mali tout entier serait tombé sous la coupe djihadiste des groupes AQMI, Ansar-ed-dine et al-Mourabitoun. Le pays aurait connu une partition avec un Nord « Azawad » prenant le large de Bamako grâce à l’alliance des Touaregs avec ces groupes islamo-terroristes, et un Sud en proie au chaos.
Ce n’était pourtant pas pour la France une opération altruiste d’aide à un pays tiers en détresse : la non-intervention aurait figé une base du terrorisme international à l’instar de l’Afghanistan des années 1996-2001.
Mais, dans le cas du Sahel, c’est par la discontinuité et l’inconstance de la politique étrangère et de sécurité de la France que cette situation s’embrasa : Alors que les groupes touaregs et peuls tentent des actions de sédition vis-à-vis de Bamako à la même saison depuis des décennies, leur alliance avec des groupes djihadistes fut la conséquence directe de l’impardonnable erreur française d’avoir détruit le fragile et certes imparfait équilibre installé dans la région après la chute du régime du colonel Kadafi en Libye et la déstabilisation totale de la région qui s’en suivit.
Sur le plan opérationnel, si les avancées et les batailles de l’armée française et de ses alliées de Barkhane furent indéniables, la plaie islamiste ne fut jamais vraiment vaincue sur le terrain, à l’image du cycle des saisons portant ses nuées de criquets.
C’est dans ce contexte de « victorieux enlisement », que la France doit mettre en place les conditions les moins mauvaises possibles d’un retrait de Barkhane. Si la logistique et l’opérationnel comptent, les symboles et l’image de notre armée et de la France en général dans le monde sont primordiaux. Réussir sa sortie et ne pas imiter la débâcle américaine en Afghanistan est au moins aussi important que ces huit années et les sacrifices qu’ont subis nos hommes au Mali.
Alors qu’une série de coups d’État ont conduit les militaires au pouvoir à Bamako depuis le printemps 2021, un changement de discours est porté par le nouveau pouvoir, surfant sur une vague aux relents anti-français teintés de marxisme à la sauce panafricaine comme le montrent les mouvements « On a tout compris-Waati Sera » portés par des activistes comme Amara Ben Diara, alias « camarade Ben », allié de circonstance du nouvel homme fort du pouvoir, le colonel Sadio Camara.
Très proche de Moscou, ce dernier vient de rentrer d’un séjour en Russie avant l’arrivée sur le tarmac de l’aéroport militaire de 4 hélicoptères d’attaque blindés russes Mi-171 le 1er octobre dernier, à la suite de la signature d’un « contrat éclair » en décembre 2020 entre Moscou et Bamako.
C’est sans doute dans ses valises qu’arrivèrent sur le sol malien les tristement célèbres hommes du groupe de mercenaires « Wagner », fondé par un proche du président Poutine. Non encore confirmé, leur déploiement concernerait environ mille hommes.
C’est de ce contexte de défiance et de ces tentatives d’humiliation que la France doit maintenant sortir par le haut et rester maîtresse des horloges. Il semble maintenant peu opportun d’évacuer le Mali sans contreparties solides et pérennes de sécurité sur le terrain, sans l’affirmation d’un soutien clair de nos alliés (y compris ceux qui nous trahirent récemment lors de l’affaire des sous-marins australiens), et surtout sans une clarification de la part de Moscou.
La sécurité sur le terrain n’étant pas stabilisée, il est peu probable que les hommes du groupe Wagner changeront la donne. Il est en revanche encore temps de corriger nos postures sur le terrain, notamment en associant totalement l’armée malienne à nos opérations à Kidal, ce qui ne fut pas le cas dernièrement. Le retrait français, s’il devait être confirmé, doit être coordonné dans les moindres détails, patrouille par patrouille, au côté des forces maliennes.
On le voit dans cette affaire, bien plus grave que le revers commercial australien, la France ne doit compter que sur elle-même, ses forces et la bravoure de ses soldats. Nous devons donc placer devant leurs responsabilités tant nos partenaires européens, Allemagne en tête, que nos « alliés » de l’OTAN. Si les putschistes actuellement au pouvoir à Bamako souhaitent s’équiper de matériel russe et avoir recours à des mercenaires, c’est leur problème. Mais les intérêts nationaux fondamentaux de Paris, et de l’Europe tout entière, étant en jeu au Mali et dans l’ensemble de la zone saharo-sahélienne, il serait suicidaire de ne pas établir un plan de sortie de crise et de maintien d’une force d’intervention opérationnelle permanente dans la région.
Les youyous de la victoire de 2013 résonnent encore de Gao à Bamako, et si l’époque a changé, si la France voit son influence grignotée inexorablement de toutes part à travers le monde, la géopolitique et les réalités sahéliennes demeurent.
C’est ce « besoin de France », ce besoin charnel d’une voix/voie alternative, c’est-à-dire non alignée sur les pathétiques aventures washingtoniennes, qui s’exprimera toujours.
Parfois en sourdine et parfois exalté par de nombreux peuples en Afrique, au Moyen-Orient et ailleurs, ce besoin d’une France forte et juste pourrait, avec la volonté de nos politiques en campagne, nous permettre de devenir la Sparte d’Europe occidentale.
Mais pour cela, il faudrait que les actions extérieures de la France dans la lutte contre les mouvements terroristes, ou nos tentatives de médiation pour éviter le chaos (Liban), certes mues par de bonnes intentions, ne soient plus polluées par l’idéologie néo-conservatrice ou le « regime change » irréfléchi.
Insane
Bernard Cornut
Abdul Ghanem