Billet du lundi 25 janvier 2021 par Patricia Lalonde*


Les Anglais avaient coutume de dire « Pour faire la paix il faut négocier avec son ennemi » …

Mais peut-on considérer que les terroristes sont « un ennemi » avec lequel nous pouvons négocier ? 
Quand les valeurs de ces terroristes sont aux antipodes des nôtres alors que leur combat est destiné à être mené au sein même de nos sociétés occidentales, toute négociation peut être synonyme de capitulation.



Il est de bon ton de comparer actuellement la situation en Afghanistan avec celle du Mali et du Sahel.

Le Secrétaire général de l’ONU António Guterres s’est réjoui des négociations avec les Talibans et d’un possible retour à la paix en Afghanistan en suggérant que l’on pourrait tenter d’appliquer la même recette au Mali…

Mais si l’Afghanistan n’est pas le Mali, le combat contre le djihadisme est le même. 

Quand les Talibans ont pris le pouvoir à Kaboul en 1997, les chancelleries se félicitaient que la paix soit revenue ; cela méritait bien que l’on passe l’éponge sur les exactions, privations des droits fondamentaux que ces « Fous de Dieu » infligeaient à leur population et tout particulièrement aux femmes. Et c’est également sans compter le refuge que les montagnes afghanes allaient offrir aux émules d’Al Qaïda et à son chef Oussama Ben Laden. 

On connait la suite… Les attentats du 11 Septembre… Puis l’intervention de la Coalition en Afghanistan, la libération du pays, des Afghanes et des Afghans. 

Pour qui connait un peu le « Royaume de l’Insolence » comme le décrivait l’écrivain américain, Michael Barry, si la négociation avec les « Talibans afghans », c’est-à-dire les paysans afghans des provinces reculées est possible et souhaitable, celle avec les « Talibans pakistanais » relève de la lutte contre le terrorisme et elle ne peut se faire qu’avec l’accord et l’aide du gouvernement afghan. Ce n’est malheureusement pas ce qu’il se passe alors que les Américains, par l’intermédiaire de Zalmay Khalilzad, l’envoyé spécial des US en Afghanistan, ont pris langue directement avec les chefs talibans pakistanais à Doha. Et principalement avec le Mollah Abdul Ghani Baradar, le ministre de la Défense, fondamentaliste afghan proche du Pakistan qui avait été arrêté en 2010 par la CIA et par les services secrets pakistanais avant de revenir en grâce pour diriger les discussions avec les Etats-Unis… L’ex-cible prioritaire de Washington est ainsi devenu le chef du bureau politique des Talibans à Doha… Ces Talibans pakistanais n’ont pas coupé leurs relations avec Al Qaïda, preuve en est l’annonce de la récente « mort naturelle » d’Ayman al Zawahiri, sur le sol afghan… Si cela était confirmé, comment comprendre alors que le leader d’Al Qaïda se trouvait, malade, quelque part en Afghanistan à l’Ouest de Kaboul ?

Si cette information est passée inaperçue, l’administration Trump en la personne de son Secrétaire d’État, Mike Pompeo, s’est empressée d’expliquer que l’Iran était la base arrière des membres d’Al Qaïda… et qu’un autre de leurs chefs, Abou Mohammed al Masri avait été tué dans les rues de Téhéran quelques mois plus tôt. Information totalement démentie côté iranien… Tout ceci pour essayer de faire porter la responsabilité de la résurgence du terrorisme en Afghanistan sur les Iraniens.

Et pouvoir ainsi donner l’onction au retour des Talibans au pouvoir et envisager le rapatriement des troupes américaines. Notre ennemi d’hier devenant ainsi un allié potentiel !

Mais les négociations à Doha piétinent. L’un des points de désaccord qui reste à trancher est celui de la jurisprudence islamique qui aura force de loi. Les Talibans exigent que l’« hanafisme », la plus ancienne des quatre écoles théologiques de l’islam sunnite soit la référence… Mais cette règle exclut de la réconciliation nationale l’ensemble des chiites vivant en Afghanistan. Les Talibans exigent que l’Afghanistan devienne un « État Islamique », alors qu’Abdullah Abdullah, le charismatique Président du « High Peace Council » ainsi que Fauzia Koofi, une des seules femmes députées à prendre part aux négociations, s’y refusent catégoriquement s’opposant à toute autre terme que celui de « République Islamique ». Un point non négociable.

Malgrè la libération de 5 000 prisonniers talibans, fortement encouragée par les Américains, les assassinats au sein de la population civile se multiplient : deux femmes juges de la Haute cour de justice afghane, assassinées récemment, sans compter les nombreux journalistes, l’attaque de l’université de Kaboul qui a fait une quarantaine de morts, tous étudiants, revendiquée par Daesh mais dont l’arrestation du cerveau montre qu’elle a été commanditée par les Talibans pakistanais. Plusieurs tentatives d’attentat contre Amrullah Saleh, l’actuel Vice-président et ancien patron des services Afghans pour qui le double jeu pakistanais n’a plus de secrets…

Les négociations sont pour le moment au point mort et les attentats et les attaques se multiplient sur tout le territoire afghan.

Les femmes s’organisent à nouveau pour empêcher « l’impensable » : un groupe de 400 femmes de toutes les régions d’Afghanistan ont signé une lettre pour demander que leurs droits ne soient pas sacrifiés au nom de la paix. « Nous voulons vivre dans un pays où le rôle de chaque Afghan et Afghane sera vital pour la reconstruction nationale »

Cela devrait faire réfléchir les tenants du dialogue avec les groupes d’Iyad Ag Ghali liés à Al Qaïda au Sahel comme le JNIM (Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans). Certes les djihadistes du Sahel font la guerre au pouvoir central malien considéré comme corrompu, renversé cet été par un coup d’État militaire et actuellement dirigé par un Conseil de Transition… L’Opération Barkhane a coûté la vie a de trop nombreux soldats français.
Des voix s’élèvent en France pour appuyer celles de certains représentants de ce Conseil de Transition pour entamer des négociations avec les groupes djihadistes salafistes, rebaptisés pour l’occasion « enfants perdus du pays »… L’imam Dicko, lui- même salafiste de l’école saoudienne, qui avait redoré son blason auprès des djihadistes en s’opposant à la réforme du code de la famille en 2009, pousse à ces négociations. Mais c’est sans compter sur la voix de la société civile malienne et tout particulièrement celle des femmes… Le code de la famille malien que l’imam Mahmoud Dicko a interdit de réformer, viole gravement les obligations internationales du Mali consacrées par la CEDAW (Convention des Nations Unies sur l’élimination de toute forme de discrimination envers les femmes).
Les Maliens et les Maliennes ne veulent pas vivre dans un « État islamique » inspiré par le wahhabisme salafiste saoudien… Les femmes veulent garder les principaux droits qu’elles ont déjà acquis…

Il serait dommage d’oublier l’opération Serval lancée en janvier 2011 pour empêcher les djihadistes d’arriver à Bamako, après les prises de Tombouctou, Kidal puis Koma au centre du pays. Les habitants de Bamako scandaient des slogans en remerciement à la France et les boubous à l’effigie du président Hollande s’arrachaient sur les marchés…

Les Talibans tout comme les djihadistes d’Al Qaïda et ceux de Iyad Ag Ghali maintenant regroupés sous la bannière du Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (JNIM) ne cesseront les combats que lorsqu’ils auront pris le pouvoir après le départ des troupes de l’opération Barkhane ; tout comme les Talibans en Afghanistan, attendent le départ des troupes américaines afin de pouvoir librement appliquer la charia version salafiste dans leurs pays.

La récente libération de 200 djihadistes par le nouveau pouvoir militaire malien en échange de celle de l’opposant Soumaïla Cissé, de nos otages, Sophie Pétronin et de deux Italiens n’a fait qu’accentuer la violence dans le Sahel et augmenter le nombre de morts et de blessés parmi nos soldats tout comme en Afghanistan…

Cela serait un aveu d’échec total pour la communauté internationale et la preuve de notre faiblesse face à l’hydre islamiste dont la menace s’étend de l’Asie centrale à l’Afrique, ainsi que dans nos sociétés occidentales.

Il serait irresponsable de quitter l’Afghanistan tout comme le Mali… Cela serait un succès pour tous ceux qui ont déclaré que la France était leur ennemie…

Ce combat engage l’avenir de l’Europe.

Joe Biden vient de faire savoir qu’il remettait en cause les négociations avec les Talibans et le départ de toutes les troupes d’Afghanistan. Un bon signal ?


*Patricia Lalonde est Vice-présidente de Geopragma


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