Chronique internationale de Renaud Girard* publiée dans le Figaro le 14/09/2020

Le Parlement britannique, la plus ancienne institution démocratique du monde toujours en fonction, a vu, le lundi 14 septembre 2020, une des choses les plus extraordinaires de son histoire multiséculaire : le reniement, par un même gouvernement, de ses engagements les plus solennels. Le premier ministre de sa Gracieuse Majesté y a déposé le projet d’une loi, dite du marché intérieur, dont certaines dispositions violent ouvertement un traité international que ce même Boris Johnson avait négocié et fait ratifier à la fin de l’année 2019, et qui est entré en vigueur le 1er février 2020.

 Il n’est pas sûr que ce projet de loi arrive à passer les Communes puis les Lords. Mais, en matière législative, ce comportement de « voyou » (pour reprendre le mot du député travailliste Ed Miliban) est une première au Royaume-Uni, qui se targue d’être un Etat de droit depuis l’Habeas corpus (1679). Il a été condamné par cinq anciens premiers ministres, dont trois sont, comme Boris Johnson, membres du Parti conservateur.

De quoi s’agit-il au juste ? Dans l’accord de retrait négocié avec l’Union européenne (UE) pour mettre en œuvre le Brexit (issu du référendum de juin 2016), il y a un protocole consacré à l’Irlande du Nord. Pour conserver les bienfaits de l’accord de paix du Vendredi saint de 1998 entre les différentes parties en conflit en Irlande du Nord depuis le début des années 1970, les Européens ont accepté qu’on ne rétablisse pas de frontière physique entre l’Irlande, membre de l’Union européenne, et l’Ulster, province du Royaume-Uni, au même titre que l’Ecosse ou le pays de Galles.

Ce protocole veille évidemment à ce que l’Irlande du nord ne puisse pas servir de plateforme hors sol d’écoulement des produits britanniques vers le Marché unique européen, en s’affranchissant des contraintes réglementaires et fiscales propres à l’UE. Il prévoit notamment le contrôle des aides d’Etat allouées aux industries britanniques soucieuses d’accéder au Marché unique. 

C’est ce protocole que veut fouler au pied Boris Johnson au cas où il ne parviendrait pas à trouver avec l’UE l’accord de partenariat spécial qu’il dit rechercher. Lorsqu’il avait négocié et signé son accord sur le retrait à la fin de 2019, Boris Johnson l’avait qualifié d’excellent et de « prêt à mettre au four », comme un cake pour le five o’clock tea. Quelques mois plus tard, il se ravisa, le qualifiant d’accord négocié « à la hâte ».

Dans une tribune commune publiée par le Sunday Times, Tony Blair et John Major ont déclaré à quel point leur faisait honte un tel reniement de ses engagements par le gouvernement de Sa Majesté.

Boris Johnson s’est-il rendu compte à quel point il portait atteinte au crédit international du Royaume-Uni ? Croit-il pouvoir ainsi intimider les 27 pays de l’Union européenne, lesquels ont donné un mandat de négociation très clair au négociateur Michel Barnier, chargé de protéger au mieux, et sur le long terme, les intérêts de cet écosystème, où les personnes, les marchandises, les services et les investissements circulent en toute liberté ? Est-il à ce point menotté par des considérations de politique intérieure pour ne pas voir que le rapport de forces n’est pas en sa faveur ? De fait, pour sa prospérité actuelle et future, le Royaume-Uni a beaucoup plus besoin de l’Union européenne que celle-ci a besoin de celui-là.

Le gouvernement de Boris Johnson a récemment vertement critiqué un grand pays pour avoir violé un engagement international. En effet, lorsque la Chine, le 1er juillet 1997, récupéra l’île de Hong Kong et les Nouveaux Territoires des mains du Royaume-Uni, elle s’engagea à y maintenir pour cinquante ans les libertés existantes, au nom du principe « Un pays, deux systèmes ». Mais la loi sur la sécurité nationale promulguée le 30 juin 2020 par la Chine communiste, qui s’applique à Hong Kong, permet une mise au pas express de toute forme d’opposition politique.

« Faites ce que je dis, pas ce que je fais », semble lancer M. Johnson aux nations du monde entier. Jouissant de la plus longue tradition au monde d’Etat de droit, le gouvernement de Londres bénéficiait jusque-ici d’une écoute particulière lorsqu’il s’exprimait sur des points de droit international. Ce ne sera désormais plus le cas.

Boris Johnson n’a pas compris qu’il fallait très peu de temps pour ruiner une réputation internationale, mais beaucoup pour la reconstruire. Par ailleurs, il ne semble pas s’apercevoir que sa monnaie, la livre sterling, est beaucoup moins puissante que les instruments mondiaux de réserve et d’échange que sont le dollar et l’euro. Pour le moment, elle bénéficie d’une bonne image car la Banque d’Angleterre n’a jamais fait défaut, ce qui permet au gouvernement de s’endetter considérablement pour relancer l’économie. Mais, en se reniant, Boris Johnson a sous-estimé un risque : que les marchés ne fassent plus, un jour, confiance à la parole britannique.

*Renaud Girard est membre du Conseil d’orientation stratégique de Geopragma

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