Chronique de Renaud Girard* publiée dans le Figaro le 21/07/2020

Xi Jinping, le président à vie de la République populaire de Chine, est un stratège. Il agit dans le temps long. Son objectif suprême est de placer son pays à la première place mondiale d’ici 2049, afin de fêter dignement le centième anniversaire de la prise de l’Empire du Milieu par le Parti communiste chinois (PCC). Sa politique intérieure consiste à sortir l’ensemble de la paysannerie de la pauvreté et à bâtir une société urbaine policée par un contrôle numérique omniscient. Il estime que la démocratie ne correspond pas à la mentalité chinoise et qu’elle est mère de tous les désordres. Sa politique extérieure consiste à renforcer sa « route de la soie » (aussi appelée BRI Belt and Road Initiative), afin d’imposer une hégémonie commerciale chinoise sur l’ensemble du continent euro-asiatique. En bon disciple de Sun Tsu, Xi Jinping souhaite, sans livrer bataille, gagner la guerre froide que lui impose la première puissance mondiale actuelle. Le maître du PCC sait que les Chinois sont bien meilleurs commerçants que soldats.

Xi est également un redoutable tacticien, sachant saisir les bonnes occasions, lorsqu’elles se présentent à lui. Il a compris que l’unique rivale de la Chine, l’Amérique, divisée politiquement et racialement comme jamais, traversait un période de faiblesse, dont il fallait profiter au maximum. Il a constaté l’atonie de l’Union européenne, qui ne parvient toujours pas à concevoir une stratégie industrielle à la hauteur du marché qu’elle représente, et qui n’a pas réussi à déployer une politique étrangère digne de ce nom. Alors, souhaitant accentuer le déclin occidental, Xi avance sur l’échiquier mondial des pièces qu’il n’aurait jamais osé bouger en temps normal. L’alliance de 25 ans qu’il est en train de nouer avec les Iraniens incarne cette nouvelle audace en politique extérieure.

Le 16 juillet 2020, le ministre iranien des affaires étrangères, Javad Zarif, s’exprimant devant le Parlement de Téhéran, a reconnu qu’il avait reçu un mandat du Guide de la Révolution et du gouvernement pour entrer dans la phase finale de négociation avec les Chinois. Compte tenu de l’opacité habituelle des diplomaties iranienne et chinoise, on ne connaît pas tout du contenu du futur traité, dont certains protocoles devraient de toute façon rester secrets. On sait que les Chinois envisagent d’investir plus de 400 milliards de dollars dans les infrastructures iraniennes, en échange d’un pétrole et un gaz vendus avec un rabais de 30%. L’idée des Iraniens est simple : comme le rapprochement qu’ils ont cherché avec l’Occident a échoué, il convient maintenant de se tourner vers la Chine pour obtenir à la fois de la technologie ; des débouchés sûrs pour leur production de pétrole et de gaz ; des garanties de sécurité face aux Etats-Unis et à Israël, notamment en termes de cyberdéfense.

Les Chinois quant à eux ne se font plus aucune illusion à l’égard des Etats-Unis. Ils savent qu’ils n’échapperont pas aux sanctions que Washington estime devoir leur infliger. Ils veulent un approvisionnement énergétique sûr et bon marché. L’Iran est en mesure de le leur fournir. Il ne leur déplaît pas non plus de mettre un pied dans cette vieille Perse, charnière irremplaçable entre le Moyen-Orient et l’Asie centrale. L’année dernière, ils ont fait des manœuvres navales avec la marine iranienne. Avec ce traité, ils bénéficieront carrément de facilités portuaires et aéroportuaires en Iran. Ils auront des bases leur donnant un accès privilégié à la fois au Golfe Persique et à la Mer Caspienne.

La nouveauté est que cette alliance militaro-économique – à laquelle les Russes auraient la faculté de se joindre sur le volet défense – a été portée en Iran par les modérés comme Zarif, pas par les Gardiens de la Révolution. En Chine, elle est une initiative de Xi Jinping, qui ravira une jeunesse au nationalisme toujours plus exacerbé. Les jeunes Chinois s’enthousiasment pour la montée en puissance de leur marine, pour ses succès en mer de Chine méridionale, pour ses bases construites aussi loin que Djibouti ou Ceylan. Les oligarques de Shanghai sont plus réservés, tant ils considèrent vital pour eux le maintien du commerce avec l’Amérique.

Par cette initiative diplomatique, la Chine veut-elle seulement envoyer un dernier avertissement à Washington ? Je ne le crois pas. Pékin a depuis longtemps compris l’utilité des « faits accomplis » dans les relations internationales.

Ce recul stratégique majeur des Etats-Unis met en lumière la faute commise par Trump lorsqu’il remit en cause l’accord nucléaire du 14 juillet 2015 avec l’Iran, qu’avait si patiemment négocié John Kerry. Trump a agi par haine de l’œuvre d’Obama. Dans l’histoire des nations, il a toujours été dangereux de mener une politique extérieure pour des raisons de politique intérieure…


*Renaud Girard est membre du Conseil d’orientation stratégique de Geopragma


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