Billet du lundi du 20 juillet 2020 par Patricia Lalonde*

L’incursion subite de la Turquie dans la guerre libyenne au secours de Fayez el Sarraj, le président du Conseil présidentiel de Libye (GNA) reconnu par la Communauté internationale s’explique non seulement par la volonté du président Erdogan d’explorer les importants gisements de gaz au large de Chypre et de la Grèce, mais également par sa stratégie de soutien aux Frères musulmans qui constituent la plupart des milices combattant aux côtés du GNA.

Non content d’armer les milices de Misrata, le président turc envoie aussi des djihadistes syriens se battre aux côtés du GNA. En outre, un navire français « le Courbet », déployé au large de la Libye lors de la mission IRINI d’EUNAFNORMED pour identifier un cargo suspecté d’être impliqué dans un trafic d’armes pour ces mêmes milices a fait l’objet d’illuminations de radar de la part d’une frégate turque, c’est-à-dire d’un potentiel marquage de cible. Dès lors se pose la question de la pertinence de la présence de la Turquie au sein de l’OTAN. Les réactions tardives et embarrassées à cette agression des pays membres de l’Alliance dont l’enquête n’a d’ailleurs pas mis la Turquie à l’index, et leur faible soutien (huit pays seulement sur trente ont apporté leur soutien à la France) montrent la pertinence des propos du président français lorsqu’il affirmait voici quelques mois que «  l’OTAN était en état de mort cérébrale ». 

Voilà où nous a conduits notre soumission à l’allié américain et à sa stratégie d’alliances hasardeuses avec certains groupes fondamentalistes islamistes afin de mener à bien le redécoupage géopolitique du Moyen-Orient cher aux néoconservateurs d’Outre-Atlantique.

Les Etats-Unis ont ouvert le bal dans les années 1980 et 1990 en Afghanistan en finançant et armant les djihadistes contre les Soviétiques puis les Russes, et comble du comble, en appuyant après la défaite des Soviétiques les groupes les plus radicaux liés à Gulbuddin Hekmatyar contre les Mujahedins d’Ahmad Shah Massoud.

La prise de pouvoir des Talibans en 1997 a rassuré le camp occidental car elle mettait fin à une terrible guerre civile. Il n’avait pas vu que ces mêmes Talibans allaient enfermer les femmes et héberger le monstre qui détruirait quelque temps plus tard les deux tours du World Trade Center. Non contents de ne pas avoir au moins tiré les leçons de cette stratégie folle, l’Amérique remet le couvert en vantant la négociation avec les Talibans dont certains entretiennent toujours des liens avec Al-Qaida : preuve en est, la mort récente du chef du groupe terroriste et de plusieurs leaders talibans reliés à l’ISI, les puissants services Pakistanais, tués à Musa Qala dans le Helmand par l’armée afghane… Quant au nouveau premier ministre Pakistanais Imran Khan, il vient de qualifier Oussama Ben Laden de « martyr ». 

Plus tard, dans les Balkans, l’allié américain nous a entraînés dans sa guerre contre les Serbes en soutenant l’UCK (Armée de Libération du Kosovo), l’ALK, et son chef, Hashim Thaçi qui vient d’être inculpé par la Cour Pénale Internationale pour « crimes de guerre » … Les liens de l’UCK avec le crime organisé et les plus sordides trafics ont été abondamment documentés par Interpol et le Congrès Américain…Et selon le Washington Times, certains membres de l’UCK sous la direction d’Hashim Thaçi, furent entrainés dans les camps d’Oussama Ben Laden en Afghanistan et en Bosnie-Herzégovine  

Quant aux révolutions des « Printemps arabes » que nous avons largement soutenues, elles ont permis aux tenants de l’Islam politique de s’imposer et de prendre le pouvoir.

La campagne d’Ennhadha en Tunisie, parti affilié aux Frères musulmans a été financée par des fonds qataris. Nous découvrirons un peu plus tard qu’il avait un bras armé qui aidera les djihadistes en Tunisie et sera soupçonnés de plusieurs assassinats dont celui de Chokraï Belaïd, figure de l’opposition, chef du parti des démocrates tunisiens et journaliste tué par des salafistes radicaux. Rached Ghannouchi, leader d’Ennhadha, vient d’afficher officiellement son soutien à la Turquie dans son offensive en Libye mettant ainsi en difficulté le président Kais Saiëd. 

En Libye, pour renverser Mouammar Kadhafi, les Etats-Unis et la France se sont appuyés sur son principal opposant, un ancien membre d’el-Qaïda, Abdelhakim Belhadj, soi-disant repenti, qui avait fait ses classes dans les camps d’entrainement afghans. Il sera même reçu ainsi que ses affidés dans les plus hautes sphères de l’Etat.

En Egypte, le camp occidental s’est réjoui de la victoire de Mohammad Morsi avant de déchanter lorsqu’il a voulu changer la Constitution pour y inscrire « la Charia » provoquant l’ire des militaires et entrainant sa destitution et la prise de pouvoir d’Abdel Fatah al Sissi. 

Mais c’est en Syrie que la compromission a été poussée à l’extrême, l’appui quasi officiel à tous les groupes djihadistes devenus par miracle « modérés », l’arrivée de Daesh permettant par contraste de faire passer ces groupes pour des personnes fréquentables :

L’ennemi commun était Bachar el Assad et son régime criminel. Nos services occidentaux ont certainement été contraints de collaborer avec les services de certaines organisations djihadistes pour défendre la noble cause du renversement d’Assad.

Les djihadistes devenaient ainsi nos alliés tactiques voire stratégiques. Matin, midi, et soir sur nos ondes, il leurs était rappelé que Bachar el Assad, « boucher de Damas », « bourreau de son peuple » était un criminel, laissant sous-entendre ainsi que le djihad s’imposait légitimement … Ce qui nous a valu le départ de centaines d’entre eux en Syrie. 

Cela n’a pas empêché les moins « modérés » de participer, depuis Raqqa, à l’attentat du Bataclan à Paris et à la tuerie sur les terrasses de café qui ont fait 131 morts et 480 blessés le 13 novembre 2015. Nos Services n’ont absolument rien vu venir, tout occupés à la bataille contre Assad. Le silence de l’Europe devant les nouvelles sanctions infligées par les Américains au nom de la « loi César » au gouvernement de Damas afin de le priver de soutien et des revenus dont il disposait depuis 2011, est tout aussi affligeant.

De même, notre alliance avec l’Arabie saoudite au Yémen a privilégié la lutte contre les Houthis sur celle contre Al Qaïda, « l’ennemi de mon ennemi étant mon ami », alors même que les assassins de Charlie Hebdo faisaient partie d’AQPA (Al-Qaida dans la Péninsule Arabique). La Coalition se bat en réalité au Yémen pour maintenir au pouvoir le gouvernement de Abdo Mansour Hadi, allié des Frères musulmans.

Le soutien aux groupes islamistes que nous pensions « modérés » face aux régimes autoritaires a ainsi permis à ces mêmes « modérés » de s’installer au sein de notre société et d’y pratiquer la « Takiya », dissimulation autorisée par le dogme pour tromper « les infidèles », afin d’y combattre leurs valeurs et leur mode de vie.  

En refusant, de désigner et d’affronter le véritable ennemi, les Européens risquent dorénavant de continuer à payer très cher leurs choix, alors même qu’au Sahel, nous combattons ceux que nous avons soutenus sur d’autres théâtres d’opération. 

Ils devront dorénavant s’accommoder des djihadistes disséminés dans la nature dont Erdogan compte bien se servir afin de les faire chanter en menaçant de les envoyer sur leur sol… et ce, d’autant plus si la France persiste à soutenir en Libye le Maréchal Haftar tout comme l’Egypte et les Emirats Arabes Unis, alors même que les autres membres de l’OTAN s’accommodent de l’ingérence de la Turquie dans la guerre aux côtés du GNA, arguant de la légitimité internationale… En attendant qu’une médiation russe mette tout le monde d’accord.

Voilà comment notre docilité devant les alliances machiavéliques de l’allié américain a laissé l’islamisme des Frères musulmans s’installer discrètement et gangrener nos sociétés. La présence de la Turquie au sein de l’OTAN est devenue pour l’Europe un véritable « Cheval de Troie ». L’Europe et l’OTAN sont maintenant au pied du mur.

*Patricia Lalonde est Vice-présidente de Geopragma. 

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