Billet du lundi 19 septembre 2022 rédigé par Patricia Lalonde, membre du conseil d’administration de Geopragma.

L’Europe s’est laissée entrainer par l’OTAN  dans la guerre entre la Russie et l’Ukraine au nom du respect des valeurs occidentales. Mais de quelles valeurs parle-t-on ? Si la condition pour que la Finlande et la Suède entrent dans l’OTAN consiste à livrer les Kurdes à leur bourreau, bravo ! Comme si la défense de nos valeurs occidentales n’avait déjà pas été jetée aux oubliettes lors de la fuite éhontée des Etats-Unis d’Afghanistan, laissant les Afghans revenir au Moyen Age. Et ce n’est pas l’assassinat d’Al Zawahiri, dont tout le milieu du renseignement à Kaboul  savait pertinemment qu’il y circulait librement, qui fera oublier cette débandade devant les fondamentalistes.  

Il convient de se poser quelques questions :

Pourquoi l’Occident a-t-il aussi rapidement baissé les bras devant le combat  contre les Talibans et leur soutien aux groupes terroristes ?

Nous fallait -il d’urgence transférer la défense de nos valeurs occidentales sur un autre terrain ? 

Depuis septembre dernier, les Etats-Unis et certaines chancelleries européennes savaient que la Russie se préparait à attaquer l’Ukraine… Peu à peu, le combat des Afghans n’allait plus faire les gros titres… Et les pays de l’OTAN allaient troquer la défense des droits fondamentaux des femmes afghanes contre celle de « leurs valeurs occidentales » en Ukraine.

La Turquie d’Erdogan, membre de l’OTAN depuis soixante-dix ans,  profite de cette nouvelle guerre pour s’imposer et se rendre indispensable en se positionnant d’emblée comme l’interlocuteur  pour toute négociation de paix, reléguant les pays de l’Union Européenne au second rang. Elle fut en effet à l’initiative d’une première négociation à Istanbul, dès le début de la guerre entre Russes et Ukrainiens, malheureusement vouée à l’échec, puis d’une deuxième, sous l’onction d’Antonio Gutteres, afin de pouvoir débloquer les bateaux de céréales dans le port d’ Odessa, et de prévenir une possible famine dans les pays d’Afrique. Quelle revanche pour ce pays qui s’est fait refuser son entrée dans l’UE que de devenir l’interlocuteur indispensable, un trait d’union entre la Russie et l’Ukraine. L’OTAN a toujours  accepté  les  provocations de la Turquie car elle ne veut pas affaiblir son flanc sud-est tout comme celle -ci les accepte  pour ne pas affaiblir ses liens avec l’OTAN.

Les  récentes rencontres d’Erdogan avec Ebrahim Raïssi et Vladimir Poutine à Téhéran, puis avec Yaïr Lapid, l’ont remis au centre du jeu géopolitique… Et ce n’est certainement pas pour défendre « nos valeurs occidentales » – il les condamne au moins aussi sévèrement que Vladimir Poutine ! , mais pour faire avancer son propre agenda, celui de l’AKP des Frères Musulmans, avec son rêve de recréer l’empire Ottoman en profitant de la position stratégique de la Turquie entre l’Europe et l’Asie. « Les minarets seront nos baïonnettes, les coupoles nos casques, les mosquées seront nos casernes, et les croyants nos soldats, » avait-il déclaré.

A cet égard, l’Islamisation de certains pays d’Europe est déjà  en marche…La communauté turque en Allemagne s’élève à 2.710.000 personnes, en France, de 1.000.000 à 2.000.000 ; les associations islamistes turques se multiplient…  La Turquie a ainsi pris le relai du Qatar après l’échec des Printemps arabes. La participation de la Turquie à l’Otan lui a permis de ne jamais faire l’objet de sanctions ni de menaces de la part des Etats-Unis. Pourtant elle n’applique pas les sanctions contre la Russie, continue à importer son gaz, et à commercer avec elle. 


Erdogan s’est toujours inscrit en médiateur des conflits au Moyen-Orient et en Asie Centrale. Les accords d’Astana sur le conflit syrien entre la Turquie, la Russie, et l’Iran vont sans doute connaitre de nouveaux développements au Moyen-Orient ; en effet, une rencontre entre Bachar el Assad et Erdogan autour du respect de la souveraineté de la Syrie, est programmée dans les prochains mois. Les Kurdes, grands alliés de l’OTAN et des européens y seront les  perdants. S’il fallait un exemple de notre hypocrisie concernant nos valeurs occidentales, le lâchage des Kurdes du YPG, valeureux combattants contre Daesh en Syrie, en est un de taille ! La Turquie les considère comme des « terroristes » alors qu’elle-même, membre de l’OTAN, avait accueilli et soigné à Ankara les blessés d’Al Qaïda et de Daesh ! Mais afin de prouver maintenant sa bonne foi auprès de Bachar el Assad, Erdogan vient de faire éliminer, dans le nord syrien, une vingtaine de dirigeants du Font Al Nusra !

Dans sa stratégie gagnante d’entretenir de bonnes relations avec tout le monde, Erdogan s’est également réconcilié avec Israël, qui était resté dans un premier temps neutre dans le conflit entre la Russie et l’Ukraine, avant d’être contraint d’apporter, sous la pression des Etats-Unis, son soutien à l’Ukraine. Erdogan pourrait ainsi en échange obtenir sa protection  dans la guerre des gazoducs qu’il livre en Méditerranée  orientale a la Grèce à propos de Chypre. Aujourd’hui c’est un chef d’Etat pragmatique capable d’opérer des revirements inattendus. Il joue sur la crise des migrants, il tient son rôle dans la région de la Mer Noire ,et il mène le monde turco-islamiste dans un jeu cynique. Erdogan reste donc en position de force et unique médiateur face aux autres pays de l’OTAN qui continuent à soutenir Volodymyr Zelinsky contre la Russie. L’Europe pourrait ainsi  être la grande perdante de la guerre de l’Otan en Ukraine… La Turquie en sortira renforcée. Pas sûr que cela soit pour le respect de «  nos valeurs occidentales ».

A propos de la crise énergétique, Erdogan accuse déjà l’UE de «  récolter ce qu’elle a semé » et l’Occident de « mener une politique basée sur la provocation envers la Russie »…Ces déclarations ont été faites pendant la visite de Catherine Colonna, la MAE française, à Istanbul. Elle était pourtant venue pour essayer de jouer un rôle dans une future médiation. La Turquie est ainsi devenue un véritable «  cheval de Troie » au sein de l’OTAN, plus préoccupée à chercher ses propres intérêts, loin de la défense de nos valeurs. Elle  met d’ailleurs l’UE devant ses propres contradictions en aidant l’Azerbaïdjan, stigmatisé par cette même UE, dans sa guerre  contre l’Arménie, profitant ainsi du changement de cap  d’Ursula Van Der Leyen, maintenant tributaire du gaz azéri. La Turquie  vient par ailleurs d’annoncer qu’elle paiera en rouble le quart du gaz russe importé.

La rumeur d’une possible demande d’adhésion de la Turquie aux BRICS, rejoignant ainsi l’Arabie Saoudite, l’Iran, l’Algérie, l’Egypte et l’Argentine, pourrait provoquer un basculement géopolitique… Invité à la réunion de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) dont il n’est pas membre, Erdogan se positionne ainsi comme l’interlocuteur des pays d’Asie centrale, de l’Inde, de la Russie et de la Chine, un interlocuteur indispensable dans une future négociation de paix sur le conflit ukrainien. 

Erdogan aura ainsi réussi à redorer son image bien mal en point avant l’ élection présidentielle dans son pays et à devenir incontournable dans une future redistribution des cartes géopolitiques qui pourrait l’amener à quitter l’OTAN. Quant aux Etats-Unis, loin des soubresauts de la guerre qu’ils auront attisée en Europe en poussant la Russie dans ses retranchements, ils resteront  concentrés sur leurs divisions internes et le risque d’implosion de leur société. Les grands perdants risquent d’être les pays européens et les valeurs qu’ils défendent.

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1 Comment

  1. Bernard CORNUT

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    Les valeurs européennes, c’est quoi? Laisser les USA agresser et occuper l’Iraq ? Laisser les gouvernements israéliens et les colons occuper, asservir, contrôler, massacrer les Palestiniens ? Laisser l’OTAN s’approcher de la Russie ? Accueillir 1% en France du nombre des Syriens accueillis en Turquie? Tolérer voire permettre que le Qatar et l’Arabie saoudite financent et arment massivement et à l’aveugle des milliers de groupes mercenaires en Syrie, comme l’a reconnu moult fois l’ancien PM et MAE qatari Hamad Ben Jassim? Dans les années 1990 laisser les USA maintenir un très long embargo criminel en Iraq? Pour l’Afghanistan où vous êtes allé voir un beau seigneur local de guerre, laisser les média omettre que tout a été démarré dès l’été 1979 par la collusion entre Brzezinski et l’argent saoudien pour contrer un gouvernement afghan sympathisant avec le parti communiste ?

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