Billet du Lundi de Ghislain de Castelbajac, membre fondateur de Géopragma.
A grandes Nations grands problèmes. L’immense majorité des fléaux qui les minent sont liés à des désordres internes : crises de régimes et de représentativité, crises de l’ordre, corruption, injustices, crises sociales et économiques, etc. Dans l’Histoire récente des crises notamment depuis les mouvements de décolonisation, seule une minorité est directement liée à une menace sur un pays voisin, ou à la sécurité régionale : conflit territorial, guerre idéologique, prolifération.
Le droit international issu de la charte de l’ONU (article 2, paragraphe 7) indique clairement qu’ Aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État ni n’oblige les Membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte; toutefois, ce principe ne porte en rien atteinte à l’application des mesures de coercition prévues au Chapitre VII.
Pourtant les ingérences dans les affaires intérieures d’un Etat par les canaux officiels de pays tiers sont innombrables et de degrés et motivations diverses. Tentons une classification :
1. Ingérence par action militaire ou coercition forte (blocus…), sans mandat de l’ONU. Les cas les plus récents sont bien entendu l’invasion du territoire ukrainien par l’armée russe en 2022, l’invasion du territoire de la république d’Irak par une coalition menée par les Etats-Unis d’Amérique en 2003, le bombardement de la Serbie par une coalition menée par l’OTAN en 1999. Bien plus anecdotique, le blocus de la principauté de Monaco par la France en 1962 fut aussi un cas d’ingérence et un casus belli.
2. Ingérence par des actions économiques portant sur des sanctions, embargos, influence, mais aussi imposition de normes, de règles et son corollaire d’amendes à des grandes entreprises d’un pays tiers, espionnage économique systématique, pillage industriel, cyber-influence et cyber-attaques, etc.
Si l’on ne retient dans cette catégorie que les actions « unilatérales » et non portées par un mandat de l’ONU, l’on peut trouver pêle-mêle les sanctions américaines contre Cuba, la Serbie, l’arme d’extraterritorialité du droit américain notamment sous couvert de lutte contre la corruption. Les « enquêtes » du Department of Justice étatsunien contre ces mêmes groupes (majoritairement européens) mettant à nu leurs brevets, technologies, durant de nombreuses années, pour aboutir à un pillage en règle via une forte amende et, souvent, un rachat à la casse.
3. La « petite ingérence » sont principalement les commentaires, les menaces, injonctions, qui rythment la vie internationale, malgré cette interdiction de la Charte des Nations Unis (bafouée par des agences des Nations Unies elles-mêmes)
A ce petit jeu, point de vertueux ?
C’est pourtant dans cette catégorie que se lisent souvent les intentions des chancelleries, les hypocrisies ou les desseins inavouables de voir son prochain sombrer dans le chaos. Si l’on part du postulat que nulle Nation ne peut se faire donneuse de leçons de morale sur des affaires intérieures – hors questions liées à la sécurité régionale ou mondiale et cas de génocide avérés – il est tout de même piquant de relever certaines attitudes de régimes qui « osent tout » pour paraphraser une vieille réplique cinématographique.
La France étant grande donneuse de leçons à de nombreux Etats, un observateur plaçant une série de communiqués acerbes provenant de Paris d’un côté :
– sur la répression en Iran,
– sur les élections truquées en Bélarus,
– sur la politique intérieure polonaise ou hongroise, etc
Et ceux critiquant Paris de l’autre :
– par un ministre italien sur la répression contre les « gilets jaunes »,
– par la république islamique d’Iran qui menace directement « les français et responsables du magazine Charlie Hebdo de se pencher sur le sort de Salman Rushdie », promettant « vengeance »[1] contre la France
– par le ministère des affaires étrangères de l’Iran qui se permet, ce 2 juillet 2023 de recommander «… au gouvernement français et à la police de prêter attention aux demandes des manifestants tout en faisant preuve de retenue et en évitant toute violence »[2]
– par l’Algérie sur son « devoir de repentance » ou, très récemment, sur son « devoir de protéger les ressortissants algériens sur son territoire » à la suite des émeutes en cours en France, sans omettre la remise à jour des couplets anti-français de l’hymne du FLN dans les cérémonies officielles algériennes.
– par le Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme de l’ONU qui a déclaré à Genève ce 30 juin que la France devrait « s’attaquer sérieusement aux profonds problèmes de racisme et de discrimination parmi les forces de l’ordre »[3]
Un demi-habile, un hypocrite ou tout simplement un adversaire de la France non en tant que régime républicain démocratique, mais en tant que porteur d’une Civilisation plus si éternelle ni universelle, pourrait facilement retoquer ces critiques/menaces contre la France en réponse à cette irrépressible besoin qu’ont les dirigeants de notre pays à tout commenter, tout juger sans recul mais avec une certaine idéologie.
Pourtant, il est urgent de ne pas se tromper de combat : malgré les critiques acerbes que l’auteur de ces lignes porte à cette exaspérante manie de se mêler de ce qui ne nous regarde pas de la part de nos gouvernants, il demeure évident qu’il y a une très claire hiérarchie des faits qu’il convient de rappeler :
Notre pays est actuellement en proie à des émeutes d’une grande violence. Depuis plus de vingt ans, la situation sociale est explosive et le renforcement des différentes manifestations et violences depuis 2018 avec les mouvements des gilets jaunes, les « ZAD », les mouvements sociaux contre la réforme du régime de retraite, puis de nouveau l’embrasement des banlieues, ne peut en aucun cas être comparé aux répressions sanglantes et systématiques de la jeunesse iranienne par exemple.
En France, le dépositaire de la force publique et auteur d’un tir mortel contre un contrevenant mineur dort actuellement en prison dans l’attente de son procès. En Iran, un simple geste, une critique contre le régime ou une tenue vestimentaire, peut faire passer son auteur par l’une des prisons dans lesquelles le viol systématique est pratiqué, souvent suivi par un défigurement à la lame de rasoir, aux tortures, etc. Chaque jour des condamnations à mort par pendaison sont mises à exécution, sans oublier les tirs à balles réelles par la police : 200 morts au moins à ce jour.
Certes, l’Iran est loin d’être le seul régime à pratiquer la torture et les exécutions sommaires. L’on porte souvent l’Arabie Saoudite en balance de l’Iran dans cet argumentaire, en expliquant que Ryad est notre allié, malgré ses mains sales.
Pourtant, et au risque d’en choquer certains, la grande différence entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, est que cette dernière est un Etat absolutiste crée de toutes pièces par une famille, et qui est passé en cent ans d’un dénuement total à une opulence, le tout dans une culture bédouine codifiée qui n’a jamais connu de liberté au sens occidental…ni iranien. Par ailleurs, la situation en Arabie Saoudite est en voie d’amélioration sur ce plan, et les points de tension y concernent les droits des populations chi’ites arabes de la région orientale du royaume.
L’Iran de Cyrus le Grand codifia les droits humains, la protection des juifs et des minorités religieuses il y a 2500 ans.
Le peuple iranien est cultivé et, malgré des particularismes ethniques régionaux prégnants, a construit un référentiel historico-patriotique puissant, portant au-delà de l’importation de l’Islam en ses terres. La jeunesse iranienne, que je pense bien connaître, est sincèrement éprise de liberté et regarde – à tort ou à raison – vers cet Occident dont l’on déplore pourtant la décadence.
Quant au régime algérien actuel qui nous rejoue sans fin le couplet dissonant de la repentance obligatoire de la France, il pourrait observer l’immense avantage que les accords migratoires de 1968 entre nos pays ont apporté à son économie, malgré le maintien d’une caste d’autocrates pratiquant la corruption généralisée depuis trop d’années, et qui fut loin de protéger ses ressortissants lors des soulèvements massifs de son peuple à l’occasion du Hirak.
S’agissant des saillies antifrançaises du HCDH de l’ONU, elles sont consternantes car cette prestigieuse institution qui devrait faire preuve de neutralité et de diligence ne peut s’abriter derrière la naïveté ou l’erreur d’appréciation.
Il s’agit donc bien d’idéologie vicieuse lorsque ce genre de communiqués se fracasse contre la réalité d’une France sous les coups de boutoir de bandes de pillards biberonnés au trafic de stupéfiants et à la délinquance armée.
Par ailleurs, nous interrogeons directement ici le HCDH sur la nature d’attaques quotidiennes contre les forces de l’ordre et des élus locaux par ce même type d’individus, sans oublier par exemple l’attaque récente d’un véhicule de police par des casseurs d’extrême gauche (issus de la bonne bourgeoisie française) contre un policier antillais, événements récurrents qui n’ont jamais fait l’objet de réprimandes onusiennes…
Comme nous le déplorons depuis tant d’années, il est grand temps pour la France de se ressaisir, et de ne plus laisser passer ces piques et attaques de la part de régimes despotiques ou carrément assassins qui n’ont, pour le coup, strictement aucune leçon à donner et dont le fond de commerce est ce jeu hypocrite auprès d’esprits influençables tant dans nos banlieues, que dans certains cercles élitistes férus d’une géopolitique de comptoir ou de sensations fortes.
Par ailleurs, la situation actuelle de notre pays ne devrait réjouir personne dans le monde. Car oui, la France n’est plus qu’une puissance moyenne fragilisée par une élite déconnectée ou carrément aveugle, qui garde cette fâcheuse manie de se croire supérieure aux autres cultures, et donneuse de leçons à ceux qui ne vont pas dans le sens idéologique du pouvoir en place.
Mais la France demeure encore malgré tout un message universel, un phare culturel et de libertés pour des peuples régis par des régimes défaillants sur de nombreux points et parfois assassins de leurs propres ouailles.
En ce sens, qu’on le veuille ou non, le message de la France a toujours une portée universelle.
C’est donc notre honneur d’avoir un Etat et des fonctionnaires portés par le respect des droits fondamentaux de leurs citoyens, malgré les incuries d’une classe politique toujours plus prise dans le tourbillon de l’apparence, de la culture de l’excuse, et de l’immédiateté sans retenue ni pudeur.
Il est donc important pour tout observateur critique de la politique intérieure comme étrangère de notre pays de se souvenir que les sophismes des grandes puissances, citons les Etats-Unis, la Russie, et la Chine notamment, et des régimes dictatoriaux de tous poils, ne doivent pas s’ingérer dans nos réflexions et nos actions, au risque d’en servir de faire-valoir ou d’idiot utile.
[1] Général de division Hossein Salami, chef du corps des Gardiens de la Révolution iraniens en janvier 2023
Ghislain de Castelbajac. De l’ingérence.
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