Billet du lundi 17 juin 2024 rédigé par Gérard Chesnel, Trésorier et membre du Conseil d’administration de Geopragma.

En venant en Normandie pour la septième fois lors de la célébration du 80ème anniversaire du Débarquement, le roi Charles III s’est sans doute senti un peu chez lui. Il descend en effet de Guillaume le Conquérant, qui fut duc de Normandie avant de devenir roi d’Angleterre. Lors du 900ème anniversaire de la mort du Conquérant, en 1987, Charles, qui était venu en Normandie pour l’occasion, eut cette formule à la fois émouvante et orgueilleuse : « Guillaume, notre roi, votre duc, mon ancêtre ».

                Les liens entre la Normandie et l’Angleterre datent de plus de mille ans, lorsque le duc de Normandie Richard II donna sa jeune sœur Emma en mariage au roi du Wessex Aethelred le Malavisé, en 1002. De cette union naquit Edouard (le futur Edouard le Confesseur) qui, après bien des vicissitudes (il passa notamment vingt-cinq ans en exil auprès de son oncle en Normandie), devint finalement roi d’Angleterre en 1043. Lorsqu’il mourut sans descendance en 1066, c’est tout naturellement qu’il désigna pour successeur son jeune cousin Guillaume, avec qui il avait passé une grande partie de sa jeunesse. Il fallut néanmoins que Guillaume s’impose par la force (la fameuse bataille de Hastings) à un rival saxon, Harold, avant de pouvoir être couronné à Londres le jour de Noël 1066. C’est le début de cette civilisation métisse, bi-culturelle (normande et saxonne) qui donne toute son originalité à l’Angleterre d’aujourd’hui.

                Après le brillant règne de Richard Cœur-de-Lion (qui passait beaucoup plus de temps en France qu’en Angleterre), l’incapacité de son frère Jean (dit Jean Sans Terre) et l’habileté du roi Philippe Auguste permit à la France de mettre la main sur la Normandie  en 1204. Mais tout ceci fut remis en cause lors de la guerre de Cent Ans. L’Angleterre reprit la Normandie en 1420 (au passage ils y brûlèrent Jeanne d’Arc à Rouen en 1431) puis la perdit définitivement à la fin de la Guerre de Cent Ans, au milieu du XVème siècle. Il ne resta plus sous la souveraineté anglaise que quelques îles dites Anglo-Normandes, Jersey et Guernesey, qui forment aujourd’hui deux bailliages rattachés directement à la couronne d’Angleterre. Et comme ses prédécesseurs, dans sa nombreuse titulature, le roi Charles porte le titre de « duc de Normandie ». A cet égard, Jersey et Guernesey constituent en quelque sorte le garant de la légitimité de Charles III en tant que duc.

                Mais entre le XVème et le XXIème siècle, les relations entre l’Angleterre et la Normandie n’ont pas toujours été un long fleuve tranquille. Située en face des côtes méridionales de l’Angleterre, la Normandie pouvait constituer la base d’une invasion de l’Angleterre. Louis XVI en joua à plusieurs reprises. Il fit construire à Cherbourg le plus grand port d’Europe et, plus tard, il installa un camp d’entraînement pour les troupes en partance pour l’Amérique où elles devaient rejoindre l’armée de La Fayette. Lors de la Seconde Guerre mondiale, les Allemands s’installèrent solidement à Jersey et Guernesey, devenues une partie importante du « Mur de l’Atlantique ».

                La Normandie paya très cher ce péché qu’elle n’avait pas commis : être en face de l’Angleterre et servir au débarquement allié en juin 1944. On commence à peine à parler des dizaines de milliers de civils victimes des bombardements alliés. Des villes comme Le Havre, Saint-Lô ou Lisieux ont été pratiquement rayées de la carte. Pris d’une folie destructrice, le commandant de la RAF ne fut retenu que par une intervention de Churchill qui dut négocier avec lui le nombre de morts civils qui serait jugé acceptable. Et tout cela sans bénéfice militaire flagrant. Les erreurs furent innombrables. Montgomery s’acharna sur Caen alors que les Allemands ne s’y trouvaient plus. A Saint-Lô, la ville fut détruite à l’exception notable du quartier général allemand, pourtant situé en plein centre et parfaitement visible. Les monstrueux décombres ralentirent l’avance des troupes alliées alors qu’ils servaient de refuge aux snipers allemands. Et ne parlons pas des nombreux monuments détruits ou endommagés, comme la cathédrale de Rouen que Monet, heureusement, avait immortalisée auparavant.

                Il y a dix ans, lors du 70ème anniversaire du Débarquement, François Hollande, devant le Mémorial de Caen, avait consacré son discours à la mémoire des victimes civiles. Dix ans plus tard, on n’en a pas entendu parler. Confortablement installé sur la plage de Ver-sur-mer, devant le Mémorial anglais, Charles III semblait pensif. A quoi peut penser un roi-duc quand l’armée de son royaume détruit une partie de son duché ? Mais les Normands ne sont pas rancuniers et ils ont acclamé leur duc sans arrière-pensées.  

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