Le Billet du lundi de Geopragma, par Caroline Galactéros*

 

Et si c’était vrai ? Un souffle d’air frais balaie enfin les couloirs de la Maison blanche et fait s’envoler les miasmes d’une pensée rancie et dangereuse … John Bolton, le furibard Conseiller à la sécurité nationale américain, l’homme qui précipita l’Irak dans l’horreur en 2003 et veut aujourd’hui bombarder l’Iran, le Venezuela et la Corée du Nord récalcitrants aux oukases de son « Indispensable nation », vient d’être remercié par Donald Trump après un an de bons et déloyaux services. Mais va-t-il cesser de nuire ? Il est à craindre que non. Et comment neutraliser tous les autres spécimen de cette engeance délétère pour la paix du monde ?  

 

 

Pour l’heure, il ne faut pas bouder notre plaisir. Donald Trump le pragmatique semble enfin en position, après le retentissant « pschitt » du Russia-gate qui visait sa chute, de desserrer l’étreinte mortelle des neo-conservateurs forcenés qui veulent pour le bien du monde le mettre à feu et à sang.  Israël n’a pas attendu pour réagir à cette très mauvaise nouvelle : Benyamin Netanyahu en campagne promet ni plus ni moins que la mise en place officielle d’un apartheid avec l’imposition de la « souveraineté » israélienne sur la vallée du Jourdain et la partie nord de la Mer morte… Le spectre de la guerre insiste.

 

Pour la France et sa place dans le monde, qui sont ce qui m’importent au-delà de tout, la grande question est : Cette onde de choc inespérée va-t-elle toucher de sa grâce le quai d’Orsay et ses propres dinosaures néocons embusqués ? Peut-on établir un lien entre cet évènement étasunien et l’inflexion sensible que notre président, en France, semble lui aussi décidé à imposer à son administration et à son ministre des affaires étrangères qui, après la sinistre ère diplomatique Fabius, avait repris le flambeau du déni de réalité et du cynisme sous masque moralisateur ? Sortir du rang se paie cher et la route sera sans doute aussi longue que salutaire. Mais Emmanuel Macron parait a minima avoir pris la mesure du risque, pour lui et notre pays, de piétiner interminablement dans l’antichambre du « leadership européen » revendiqué à coups de brio sémantique, sans jamais passer à l’acte. Après avoir publiquement tancé le corps diplomatique lors de la conférence des Ambassadeurs, pour son indulgence voire sa complaisance envers les injonctions de « l’Etat profond » tapi dans les replis de notre appareil national d’évaluation et décision, il a contraint son ministre à évoquer depuis Moscou le « nouvel agenda de confiance et de sécurité franco-russe » seul à même d’enrayer la dérive de Moscou vers Pékin. La tension et la défiance ne rapportent rien. Mieux vaut tard que jamais. Paris montre enfin une disponibilité à débloquer le dossier ukrainien, verrou d’une levée des sanctions. Même si les Polonais et les Baltes grimpent aux rideaux. On admet aussi, ne serait-ce qu’en creux, que la Crimée est et restera russe. La provocation européenne de Maidan, sur ordre de Washington, ne laissait d’autre choix à Moscou que de sécuriser ses accès militaires et ses populations russophones. 

Et maintenant ? Il faut transformer l’essai, aller plus vite et plus loin évidemment, pour imprimer une inflexion durable à même de structurer un partenariat stratégique entre Paris et Moscou.  Si l’on attend encore en effet, le levier des sanctions sera tout à fait démonétisé et leur levée ne nous rapportera plus rien sur les dossiers qui nous intéressent et où nous avons besoin des Russes pour reprendre vraiment pied : la Syrie, l’Iran et même le Donbass. Car le nouveau président ukrainien parait moins inféodé à Washington. Et Moscou avance implacablement en Syrie dans la réduction des ultimes abcès djihadistes. 

Il faut donc prier, mais surtout agir pour que faiblisse l’influence des néoconservateurs qui nuisent à la paix du monde. Et rester très vigilants. In cauda venenum. Les réseaux internationaux de ce courant nocif sont bien vivants et toujours placés au cœur des appareils d’évaluation, d’orientation et de décision diplomatique, politique et stratégique occidentaux. Si la France a vraiment décidé de réfléchir enfin seule, comme une grande, au rôle qui doit être le sien dans le monde, et de ne plus obéir aveuglément à toutes les injonctions washingtoniennes, il est de notre intérêt national de retrouver une place singulière en promouvant une ligne réaliste et innovante sur les dossiers de crise en cours. Pour cela, il est vital de ne plus perdre de temps et de contourner, à défaut de pouvoir les neutraliser, ces retardateurs d’innovation stratégique. 

Emmanuel Macron et Vladimir Poutine, en pragmatiques, ont décidé de faire court et efficace. Ils viennent de désigner deux missi dominici nantis d’équipes restreintes et de moyens, pour conduire ce dialogue bilatéral direct indispensable. Habile subterfuge. Même si côté russe, il parait impensable de devoir en passer par là pour se faire obéir.

 

Monsieur le président, vous devez suivre votre instinct stratégique, consolider les percées biarrote et moscovite, neutraliser les tenants de l’immobilisme qui au Département comme au sein des autres organismes civilo-militaires, nuisent à votre influence et à votre crédibilité. Sur la nouvelle scène du monde, la cohérence d’une vision et la fiabilité d’une parole comptent plus que jamais. Bien des espoirs vous sont encore permis et nous sommes nombreux à attendre depuis des années, cette salutaire révolution stratégique. Ceux qui l’entravent encore, par ignorance, conviction ou intérêt, doivent de gré ou de force, se mettre en ordre de bataille et vous aider à changer les choses. Pour cela il leur faut faire leur mue intellectuelle, quitter leurs œillères atlantistes et leur défaitisme structurel masqué par un européisme de façade, et recouvrir la vue sur ce que doit être le destin de la France en Europe : celui d’un solide et vaste pont d’intelligence entre Etats-Unis, Russie et Chine.

 

*Caroline Galactéros, présidente de Geopragma. Article rédigé le 11 septembre 2019.

 

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