Billet du lundi 16 octobre 2023 rédigé par Christopher Coonen, membre du Conseil d’administration de Geopragma
Et le piège de Thucydide se referma le 7 octobre 2023
Thucydide, l’historien et général athénien – qui se distingua notamment lors des guerres du Péloponnèse avec Sparte – postula il y a 2500 ans, dans la droite ligne des sophistes, que dans le cadre des relations internationales, le réalisme a comme paradigme de base que les états sont dans une lutte éternelle anarchique pour garantir leur propre sécurité. Malgré cette irrationalité, les systèmes internationaux tendent à s’équilibrer. Le piège de Thucydide est donc un concept de relations internationales qui désigne une situation où une puissance dominante entre en guerre avec une puissance émergente, la première étant poussée par la peur que suscite chez elle cette dernière du fait de sa montée en puissance.
Apprendre donc de l’Histoire, et analyser les relations internationales et la géopolitique de manière dépassionnée, réaliste et ancrée dans les faits, et mettre de côté l’idéologie et le dogmatisme.
Ce piège s’est refermé et sur l’État d’Israël, et le groupe terroriste Hamas, et l’Iran d’une certaine manière, le 7 octobre 2023, quasiment jour pour jour au cinquantième anniversaire de l’agression arabe contre Israël lors de la guerre du Kippour en 1973. A travers l’attaque et l’agression indicible et barbare d’Hamas sur le sol israélien, ce groupe terroriste s’est mis en situation d’extinction, du moins dans la bande de Gaza. Les cadres du Hamas savaient qu’une fois le coup porté, Israël et les États-Unis crieraient pour une vengeance et une riposte militaire massive visant à le décapiter. D’autant plus que le groupuscule terroriste a pris en otage a peu près 150 nationaux israéliens et du monde. Une situation dans la région du Moyen-Orient, qui n’a connu que des crises complexes depuis 75 ans, la plonge aujourd’hui dans un nouveau cataclysme, celui-ci étant sans doute le plus dangereux de son histoire dans le contexte d’un nouveau paradigme de relations régionales.
Le groupe du Hamas, né en 1987, inspiré des Frères Musulmans, a certes été élu dans la bande de Gaza en 2006 (et il n’y a pas eu d’autres élections depuis), mais dès sa fondation il appelait dans sa charte pour la destruction d’Israël. Financé par le Qatar, la Turquie, l’Iran, et accessoirement et indirectement par l’Union Européenne à travers ses dons humanitaires. Le pari d’Israël depuis le mandat d’Ariel Sharon, qui avait vidé Gaza des colons israéliens et créé une prison à ciel ouvert, a depuis des années été de soutenir le Hamas afin de cliver le pouvoir palestinien entre ce groupe et le parti du Fatah, l’héritier de l’Organisation de la libération de la Palestine, régnant sur la Cisjordanie. Ce territoire lui-même ayant été colonisé par des Israéliens depuis des décennies, en violation de la Charte et des résolutions des Nations Unies; il n’existe pas de bons ou de mauvais acteurs dans cette histoire. C’est de la Realpolitik. Le but israélien a toujours été d’affaiblir de manière permanente l’ennemi en le divisant pour régner. Le combat entre Israël et la Palestine depuis la fondation de l’Etat hébreu en 1948, a toujours été non pas une guerre de religion, mais une guerre de territoires.
Nous pouvons nous poser deux questions centrales autour de l’agression du Hamas : le timing et comment les services de renseignement tellement réputés des Israéliens et ceux accessoirement des USA ont pu se « laisser » berner par le Hamas dans les préparatifs de l’opération du 7 octobre. L’Iran, et son groupe Hezbollah au sud Liban, ont sans doute formé et passé des informations au Hamas, même si leur implication directe dans l’opération n’est pas avérée. Le Hamas, en qui les Israéliens avaient « confiance », n’a ni augmenté ou baissé son niveau de communications et d’activités diverses – une variation qui normalement laisserait présager des préparatifs hostiles, sachant d’autant plus que la bande de Gaza est l’un des lieux les plus surveillés au monde. De plus, les Israéliens ont depuis plusieurs années « américanisé » leurs services, se reposant de plus en plus sur le renseignement des signaux « sigint » au détriment de la collecte d’informations par des personnes sur le terrain, ou « humint ».
Les quatre services de renseignement israéliens, le Shin Bet, Aman, Magav, et le Mossad, et ceux des USA, la CIA et la NSA. Tout comme Israël n’avait pas vu le coup venir en 1973.
Sur le timing, frapper Israël idéalement lors d’une fête religieuse – un moment de relâchement de l’attention, et surtout pour faire capoter les Accords d’Abraham, l’Iran chiite voyant d’un très mauvais œil un rapprochement et une coopération entre Israël et un bloc de pays de la péninsule arabique sunnite. Même si dans la complexité des relations au Moyen-Orient, l’Iran avait noué un préliminaire d’accord avec l’Arabie Saoudite en septembre 2023 via une médiation chinoise. L’accord final n’avait pas été complètement ratifié par les Saouds, et était principalement de leur côté la volonté de Mohammed Ben Salman, héritier du trône et vilipendé suite à l’épisode de l’assassinat de Khashoggi en Turquie en 2018 – une majorité de saoudiens étant opposée à ces accords. Suite à l’agression du 7 octobre, ces accords sont maintenant suspendus, du moins officiellement.
Une autre dimension importante est le manque d’efficacité du renseignement israélien causé par la crise politique interne en Israël depuis bon nombre de mois, le Premier ministre Netanyahu poussant pour une réforme du code de la justice qui mettrait de côté la Cour Suprême de Justice, avait clivé la nation entre la gauche et le centre de l’échiquier, contre la droite et les factions religieuses orthodoxes. Du fait de ces affrontements internes, le conseil de la Défense de la nation ne s’est pas réuni pendant les quelques mois précédant la frappe de force du Hamas.
Maintenant, le piège s’est aussi refermé sur Israël : ne pouvant ne pas répondre de manière très dure contre le Hamas, allant même jusqu’à vouloir l’anéantir, l’État se retrouve dans la situation où il devra raser Gaza et occasionner des milliers de victimes palestiniennes collatérales parmi les Gazaouites. Malgré les appels hypocrites de l’Union Européenne et des USA de ne pas riposter outre le droit international et le droit de la guerre.
Pour l’Iran, le piège prend plusieurs formes. Il est encore plus sous les radars des faucons américains et israéliens, qui chercheront toute excuse pour frapper la République islamique. Afin de ne pas perdre la face vis à vis du monde chiite, l’Etat sera peut-être contraint et « forcé » de soutenir le Hezbollah dans l’ouverture d’un second front le long de la frontière au nord entre Israël, le Liban, et la Syrie. Et fragilise potentiellement son soutien aux Arméniens dans leur conflit avec l’Azerbaïdjan sur le Haut-Karabakh. Les Azéris cherchent à sacraliser un corridor vers leur enclave du Nakhitchevan, qui comporterait aussi un nouveau pipeline permettant le transfert de leur gaz vers la Méditerranée en évitant les pipelines existants, dont ceux transitant par l’Iran. Il est à noter qu’Israël n’a pas à ce jour paradoxalement reconnu le génocide arménien, ne reconnaissant que la Shoa comme la seule extermination.
Les convulsions de ce séisme vont loin.
L’Ukraine est prise au piège aussi car les États-Unis risquent de la délaisser pour se concentrer sur la sécurité d’Israël et la récupération de leurs otages juifs binationaux. Ce contexte dangereux et fragile renforce et est le miroir aussi de la récente fracture entre le camp occidental et les BRICS, et le « nouveau Sud ».
Et la France et l’Europe qui sont malheureusement hors jeu dans cette bagatelle à multiples bandes, sont prisonniers, entre autres, eux-même des prises d’otages par le Hamas. La question doit être posée : existe t-il un fil rouge entre l’agression du Hamas voulant dévoyer son action pour la parer d’une qualification « religieuse », avec l’assassinat odieux de l’enseignant français Dominique Bertrand à Arras la semaine dernière. Cet appel pour un embrasement en Europe à travers des actions terroristes locales, ne fait que partie de l’objectif des mouvements salafistes – la France doit se ressaisir et doit être très ferme pour une et dernière fois dans son combat contre ces terroristes, dont les victimes sur notre sol ne se comptent plus : Samuel Paty, les victimes du Bataclan, de Charlie Hebdo, le père Hamel à Saint-Etienne-du-Rouvray, et ainsi de suite. Refondons une bonne fois pour toute (cela fait 40 ans que cela traîne) la politique de notre immigration en étant nous-même très durs avec l’ennemi; nous devons expulser les immigrés et citoyens médisants qui se gavent de notre clémence – que ceux-ci et les OQTF soient renvoyés là d’où ils viennent. La guerre c’est la guerre. Une guerre civilisationnelle.
Les tensions très tendues dans cette région du Moyen-Orient et du Caucase sont donc très graves et risquent de plonger les acteurs principaux dans de nouveaux conflits à venir, d’une violence extrême. Le piège s’est refermé et est tendu pour d’autres nations et pour d’autres évolutions géopolitiques – à chacun d’en tirer ses opportunités.
Thibaut Choquer
Dumon
Le calvez