Article rédigé par Renaud Girard, membre du Comité d’orientation stratégique de Geopragma.
Il y a un peu plus de deux ans, l’Otan, la grande alliance militaire de l’Occident née en 1949, était en état de « mort cérébrale ». C’était le diagnostic que, devant les journalistes de The Economist, avait prononcé, le 7 novembre 2019, le chef des armées de la deuxième puissance militaire de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord. Emmanuel Macron ne manquait pas d’arguments, nourris par des réalités, pour étayer son jugement. Sans la moindre concertation avec leurs alliés français et britanniques présents sur le terrain, les Américains venaient de se retirer de zones kurdes du nord-est de la Syrie, afin d’ouvrir la voie à une offensive de la Turquie du frère musulman Erdogan. C’était d’autant plus choquant que les autonomistes kurdes – des progressistes qui ont des femmes non voilées dans leur armée – venaient de faire le gros du travail occidental contre l’Etat islamique.
Trois événements significatifs avaient ensuite confirmé le diagnostic du président français. En juin 2020, une frégate turque, accompagnant un cargo rempli d’armes vers la Libye, avait, au large de Misrata, « illuminé » de son radar de tir une frégate française chargée de faire appliquer l’embargo sur les armes décrété par l’Onu. Cette forme moderne de tir de semonce était d’autant plus troublante qu’elle venait d’une puissance membre de l’Otan, donc théoriquement alliée de la France. Sur les 27 membres de l’Union européenne (qui sont pour la plupart membres de l’Otan), il ne s’en était trouvé que sept pour appuyer Paris. Incapable de soutenir la Grèce démocratique, l’Alliance atlantique restait inerte face à l’expansionnisme illégal de la Turquie en Méditerranée orientale.
Au mois d’août 2021, l’Amérique de Joe Biden orchestra un retrait militaire précipité d’Afghanistan, afin de le rendre aux talibans, qu’elle était venue déloger vingt ans auparavant. Les Américains ne jugèrent pas utile de consulter la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne, pays qu’ils avaient pourtant grandement sollicités pour leur opération otanesque de « reconstruction, démocratisation, développement », initiée par eux à la conférence de Bonn de décembre 2001. L’Amérique dirigera cette intervention de l’Otan de 2002 à 2014, avant de la remplacer par une opération exclusivement américaine, baptisée Resolute Support (sic).
En septembre 2021, les Américains et les Britanniques négocièrent en secret un traité militaire avec l’Australie qui rendait caduc le partenariat naval franco-australien. Ni Washington, ni Londres, ne prirent la peine de prévenir la France, leur alliée dans l’Otan.
Le bilan de l’organisation au cours des vingt dernières années n’a pas été brillant. Au Kosovo, elle n’a pas réussi à empêcher l’épuration ethnique contre les Serbes. Elle a laissé les extrémistes albanais y détruire plus de 60 églises et monastères orthodoxes. Le pays est devenu un hub de criminalité. En Libye, son intervention de 2011 a créé un chaos qui s’est propagé à l’ensemble du Sahel. Le président Obama a reconnu que la participation américaine à cette opération initiée par le président Sarkozy avait été une erreur. En Afghanistan, l’Otan n’a, malgré ses promesses, rien « démocratisé » du tout.
Bref, l’Otan était vraiment moribonde au début de l’automne 2021. Mais voici que, soudain, de la manière la plus inattendue, Vladimir Poutine est venu la ressusciter. En faisant participer plus de cent mille soldats à des manœuvres militaires sur les frontières occidentales de la Russie, en brandissant d’obscures « conséquences militaro-techniques » au cas où l’Otan s’aviserait d’intégrer l’Ukraine en son sein, le maître du Kremlin a ancré les pays européens apeurés dans le giron l’Otan. La Suède et la Finlande, deux pays neutres, ont dit qu’elles demanderaient leur adhésion à l’Otan en cas d’invasion russe de l’Ukraine.
Une organisation militaire telle que l’Otan survit bien davantage par le désir qu’ont ses membres d’elle que par le bilan conjoncturel qu’elle peut présenter. L’Otan s’est fourvoyée dans ses lointaines expéditions militaires « humanitaires » et dans son indulgence à l’égard d’Erdogan. Mais Poutine a involontairement donné une nouvelle vigueur à sa mission originelle de 1949, qui est la défense des pays démocratiques européens face à Moscou. En utilisant la pression militaire pour présenter aux Occidentaux une demande raisonnable (l’arrêt de l’expansion à l’est de l’Otan), Poutine l’a rendue irrecevable. Le président russe aime le judo. Mais, là, il s’est sérieusement emmêlé dans ses prises.
Dans toute cette affaire, il n’y aura, à la fin, qu’un gagnant. C’est la Chine de Xi Jinping. Elle voit avec délice les Occidentaux et les Russes brouillés pour longtemps, et donc incapables de s’unir pour stopper ses prétentions hégémoniques.
Roland Paingaud
jean devaux