Veille réalisée par Arthur Mazerat, chargé de mission chez Geopragma, du 15 février au 5 mars 2021.
Chronologie :
- 15/02 : Le Qatar veut se placer comme facilitateur des négociations entre l’Iran et les Etats-Unis (AIEA) concernant le JCPOA/sanctions, efforts salués par l’Iran.
- 16/02 : Téhéran dément son implication supposée dans les attaques de roquettes survenues à Erbil dans le Kurdistan irakien, sur une base militaire encadrée par les Etats-Unis.
- 17/02 : Garants du processus d’Astana, la Russie, la Turquie et l’Iran ont réaffirmé dans un communiqué « leur engagement en faveur de la souveraineté, de l’indépendance, de l’unité et de l’intégrité territoriale de la République arabe syrienne ».
- 18/02 : La France accueille une réunion Europe (France, Allemagne, Royaume-Uni) – Etats-Unis pour aborder la relance du JCPOA.
Les Etats-Unis annulent une décision unilatérale prise sous l’Administration Trump en septembre 2020 concernant l’instauration de sanctions internationales à l’égard de l’Iran.
Le ministre des Affaires étrangères iranien Mohammad Zarif annonce que l’Iran mettra fin à toutes les mesures allant à l’encontre du JCPOA si les Etats-Unis respectent la résolution 2231 de l’ONU et « lèvent sans conditions et dans les faits toutes les sanctions imposées, réimposées ou rebaptisées par Trump ».
L’Iran se dit prêt à dialoguer mais pas à renégocier le traité (JCPOA).
- 19/02 : Le président américain Joseph Biden, lors de son discours au sommet de Munich, a appelé les Européens à s’aligner sur les Etats-Unis pour répondre aux « activités déstabilisatrices » de l’Iran au Moyen-Orient. Biden a également appelé à riposter contre les « abus économiques » chinois.
- 20/02 : L’Iran annonce la fermeture de sa frontière avec l’Irak dans le Sud-Ouest du pays, en invoquant vouloir contrôler l’épidémie de COVID-19 dans la province du Khouzistan.
- 21/02 : Accord temporaire trouvé entre l’Iran et l’AIEA concernant la surveillance et l’inspection des centrales nucléaires iraniennes, entrant en vigueur le 23/02 pour une durée de trois mois. L’accord maintient le nombre d’agents sur place mais limite l’accès de l’AIEA à certains sites iraniens (militaires notamment).
- 23/02 : L’AIEA se dit inquiète quant à de possibles traces nucléaires non-déclarées sur certains sites iraniens. Un rapport de l’agence onusienne déclare que l’Iran a enrichi son uranium 14 fois plus que la limite autorisée dans l’accord de 2015
- 24/02 : L’Iran restreint officiellement l’accès de l’AIEA à certains sites ainsi que la capacité de l’agence de l’ONU à effectuer des vérifications et des contrôles sur le programme nucléaire iranien.
- 26/02 : Les Etats-Unis lancent des frappes aériennes contre des infrastructures utilisées par des milices soutenues par l’Iran dans l’Est de la Syrie, à la frontière irakienne.
- 28/02 : L’Iran refuse une proposition des Européens (France, Royaume-Uni, Allemagne) de tenir des discutions relatives au nucléaire avec les Etats-Unis
- 01/03 : Israël accuse l’Iran d’être à l’origine d’explosions sur un navire israélien dans le Golfe Persique.
L’Iran refuse de fournir à l’AEIA quelconque information concernant le nucléaire tant que les sanctions envers Téhéran ne sont pas levées.
L’Europe pousse pour qu’une résolution de l’ONU, appuyée par les Etats-Unis, soit adoptée afin que l’Iran remette en place les mesures restrictives sur son programme nucléaire.
- 02/03 : Le président français Emmanuel Macron demande à l’Iran de faire « des gestes clairs et sans attendre » afin que le dialogue puisse reprendre à propos du nucléaire iranien.
- 03/03 : Dix tirs de roquettes ont été tirés sur une base irakienne abritant des troupes américaines.
L’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, Bahreïn et Israël se réunissent depuis plusieurs semaines afin de former une alliance sécuritaire pour faire face à leur ennemi commun l’Iran.
Décryptage :
L’arrivée de l’Administration Biden a pu laisser entrevoir la possibilité d’une reprise du dialogue entre les Etats-Unis et l’Iran à propos des questions nucléaires et à terme, celle d’une levée des sanctions en échange de la remise en place du JCPOA de 2015, dont Donald Trump avait unilatéralement fait sortir les USA en 2018. Le président Biden a très tôt décidé de nommer Robert Malley comme son émissaire spécial en Iran, qui était déjà en charge des négociations du JCPOA en 2015 sous l’autorité de John Kerry et de Barack Obama, et avait été l’assistant de Bill Clinton concernant les affaires israélo-arabes. Bob Malley est connu pour une certaine animosité envers Israël, mais également pour ses positions plutôt favorables au régime iranien et au retour des Etats-Unis dans le JCPOA.
Durant quelques jours, les Etats-Unis ont semblé faire un pas vers l’Iran, annonçant leur disposition à la négociation pour un retour dans le JCPOA. Mais très vite le ton a changé. Les Etats-Unis attendent en fait que ce soit l’Iran qui « fasse un pas vers eux » en se pliant de nouveau à toutes ses obligations en vertu du JCPOA…alors qu’eux-mêmes n’ont jamais appliqué leur part de l’accord (en empêchant notamment de facto la levée des sanctions commerciales et bancaires) avant d’en sortir unilatéralement. C’est donc une impasse délibérée qui semble en fait proposée à Téhéran et encore une fois, l’Europe emboite le pas de Washington avec une inconséquence dommageable et un total aveuglement sur ses intérêts et son potentiel propres. La situation parait gelée. L’Iran a conclu un accord temporaire avec l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique) pour l’accès à ses sites surveillés. Mais, ne voyant aucun geste de la part de l’autre partie, Téhéran a décidé de restreindre l’accès à ses sites nucléaires et militaires, avant de refuser de communiquer quelconque information relative à son programme nucléaire à l’AIEA.
Les Etats-Unis maintiennent jusqu’à présent les sanctions (sanctions qui concernent aussi leurs propres entreprises) et l’Iran, n’ayant pour le moment que très peu à perdre, maintient sa position et compte bien montrer qu’il ne se laissera pas écraser ni intimider. Un récent rapport de l’AIEA a montré que l’Iran a notamment enrichi son uranium à hauteur de quatorze fois la limite imposée par l’accord de 2015, accord qui, depuis la sortie des Etats-Unis en 2018, n’est plus de facto contraignant pour la République islamique. La Russie et la Chine demeurent du côté iranien, alors Biden s’appuie sur les Européens (France, Royaume-Uni et Allemagne qui s’alignent sans broncher sur la position américaine) pour faire pression sur Téhéran. La France, le Royaume-Uni et l’Allemagne qui font partie du P5+1 (membres permanents du Conseil de Sécurité + Allemagne, tous signataires du Traité de Vienne en 2015), poussent pour faire passer une résolution de l’ONU visant à la reprise du JCPOA, et ont même proposé l’organisation d’une rencontre entre l’Iran, les Etats-Unis et les cinq autres membres signataires. L’Iran a décliné cette invitation, clamant que la seule façon de revenir à l’accord de 2015 est que les sanctions américaines soient préalablement levées. Les Etats-Unis s’appuient évidemment aussi sur Israël, dont les tensions avec Téhéran s’exacerbent chaque jour d’avantage (cf. Tel-Aviv accuse Téhéran d’être responsable d’explosions sur un navire israélien dans le Golfe d’Oman, ce que l’Iran a nié) et qui cherche à réassurer sa relation privilégiée avec Washington, le président Biden paraissant pour l’heure moins complaisant que son prédécesseur face à l’obsession israélienne touchant l’Iran.
La République islamique est par ailleurs un des principaux acteurs engagés dans la stabilisation de la situation en Syrie, en tant que signataire du processus d’Astana aux côtés de la Russie et de la Turquie, et prend de plus en plus pied dans le pays à travers son soutien au Hezbollah, à diverses milices, ou encore via des investissements comme dans le port de Lattaquié, lui procurant un accès à la Méditerranée. L’Iran a d’ailleurs conscience d’avoir gagné la guerre en Syrie face à « l’OTAN arabe », tandis que la Russie, via ses actions autour de la Syrie, parvient à éloigner la Turquie du camp américain. Les Etats-Unis de leur côté profitent de cette présence iranienne en Syrie pour accentuer la pression sur le régime des mollahs en bombardant des positions de milices soutenues par l’Iran sur le territoire syrien, expliquant ainsi répondre à des attaques ou menaces iraniennes sur des positions américaines ou sur celles de la Coalition en Irak. Ces attaques successives ont été dénoncées à juste titre comme parfaitement illégales par le gouvernement syrien qui met en garde contre une escalade des tensions dans la région. Israël, enfin, a quelque peu brouillé les pistes en ce début d’année 2021, en achetant pour la Syrie des doses de vaccin russe contre le Covid-19 ou encore en menant, grâce à l’armée russe, des recherches pour retrouver le corps d’un espion israélien des années 1960 sur le territoire syrien. D’un autre côté, Israël a établi un accord de coopération sécuritaire avec l’Arabie Saoudite, les EAU et Bahreïn (les Accords d’Abraham), pour se dresser face à la menace que représente l’Iran, pour ces pays voisins. Cette coopération sécuritaire ne parait pas inquiéter l’Iran, qui grâce à son accord avec la Chine a pu renverser les rapports de force.
Si beaucoup ont voulu croire en une rupture sur certains dossiers de politique étrangère américaine après la passation de pouvoir entre Donald Trump et Joseph Biden, l’Administration Biden, hormis sa décision de revenir dans les accords de Paris sur le Climat (sujet stratégiquement secondaire) s’inscrit dans une continuité nette sur la plupart des dossiers du Moyen-Orient. Les Etats-Unis poursuivent leur désengagement de Syrie (avec la Turquie comme proxy), et leurs efforts pour bâtir un axe arabe autour d’Israël au prétexte de la « normalisation » avec l’Etat Hébreu, mais donc la cible commune est l’Iran. Ils maintiennent enfin dans les faits, leur position dure dite de « pression maximale ». Au-delà de quelques déclarations d’intention à visée cosmétique, les sanctions demeurent et l’Iran ne fera pas le premier pas dans les négociations.
Malgré cette politique occidentale offensive, les Iraniens restent prêts à réduire leur programme nucléaire pour mettre fin aux sanctions occidentales. Mais Téhéran a pour le moment peu à perdre et gagne même à développer son programme nucléaire, ce qui lui permet de disposer d’un moyen de pression et d’un élément conséquent de négociation, s’ajoutant aux soutiens russes et chinois. Il faut rappeler que l’Iran et la Chine ont récemment négocié un méga-accord prévoyant l’injection de 400 milliards de dollars dans l’économie iranienne sur 25 ans, le développement des infrastructures (chemins de fers, ports, etc.), ainsi qu’une présence militaire chinoise sur le territoire, tout cela en échange de la livraison d’hydrocarbures iraniens à prix réduit pour la Chine. L’Iran a également signé un pacte de coopération pour la sécurité du renseignement (comprendre ici contre et cyber espionnages) avec la Russie en janvier 2021 afin de renforcer son appareil de renseignement, notamment après les échecs vécus depuis un an (assassinats du général Soleimani et de l’architecte du programme nucléaire iranien Mohsen Fakhrizadeh notamment).
Ces vulnérabilités en passe d’être contrebattues sont aussi une blessure d’orgueil national pour le pouvoir. Paradoxalement, elles renforcent la détermination de Téhéran à ne rien lâcher dans les négociations pour un accord clairement à son désavantage face à Washington, et qu’il ne bougera pas tant que les Etats-Unis n’auront pas fait le premier pas…donc pas avant longtemps. Le JCPOA n’avantage en effet pas l’Iran puisque même entre 2015 et 2018, des sanctions américaines étaient toujours en vigueur sur le pays. La politique de « pression maximale » sur l’Iran se poursuit donc et les négociations n’avancent pas puisque Washington, ne souhaite pas en fait revenir dans le JCPOA mais en étendre le spectre aux questions balistiques et de sécurité régionale notamment, ce que Téhéran ne saurait évidemment admettre.
Tandis que les Etats-Unis et l’Iran, mais la Russie et la Chine (qui par ailleurs mettent en place à leur tour des systèmes juridiques permettant d’imposer des sanctions en dehors de leur territoire, comme le fait Washington depuis longtemps) se livrent à des jeux géopolitiques et stratégiques au Moyen-Orient, l’Europe et la France restent spectateurs et perpétuels suiveurs dociles de la position américaine. Comment seulement imaginer servir de médiateur utile quand on est d’un parti pris si manifeste ? Ici comme sur bien d’autres dossiers, c’est notre manque d’autonomie mentale tout autant que concrète qui sont en cause et entraînent notre désaveu et notre marginalisation, condamnant toute perspective de participation française utile et crédible sur ces dossiers pourtant cruciaux pour la paix du monde.