Chronique de Renaud Girard* paru dans le Figaro le 29/06/2020

Le dialogue franco-russe « de confiance et de sécurité », comme le qualifie l’Elysée, a été relancé le 26 juin 2020 par un sommet en visio-conférence entre Vladimir Poutine et Emmanuel Macron. Ce dialogue avait été initié par le président français lorsqu’il avait invité son homologue russe à Brégançon, le 19 août 2019. Le chef de l’Etat a décidé de se rendre en Russie à la fin du mois d’août. Comment bien préparer ce sommet, avec un président russe destiné à rester au pouvoir au moins une décennie de plus ?
 
L’objectif français est de mettre un terme à la triple faille de la sécurité européenne que constituent le conflit larvé à l’est de l’Ukraine, les sanctions et contre-sanctions entre l’UE (Union européenne) et Moscou, la guerre hybride numérique menée par les services russes contre les infrastructures et sur les réseaux sociaux des pays européens.
A la fin de l’été et à l’automne 2020, une fenêtre d’opportunité s’ouvrira pour une amélioration des relations entre l’UE et la Russie. En effet, les Américains, paralysés par leur campagne électorale, ne seront plus en mesure de mettre des bâtons dans les roues. De son côté, Poutine a compris qu’il ne lui sert à rien d’attendre le résultat de ce scrutin. Dans les deux cas, il perd. Avec Joe Biden, les démocrates poursuivront leur traditionnelle confrontation antirusse, au nom des droits de l’homme. Et si Trump est réélu ? La méfiance est de rigueur car derrière les intentions attribuées à l’actuel président américain, il y a la réalité des faits : comme le constate le centre Carnegie de Moscou, jamais les relations russo-américaines n’auront été aussi mauvaises depuis la seconde guerre mondiale qu’après quatre ans de Trump. Sous Staline ou sous Brejnev, Washington n’avait pas imposé de telles sanctions envers Moscou.
 
Par ailleurs, Poutine sait que son alliance avec la Chine n’est pas le Graal. Il restera toujours une forte solidarité politique entre deux régimes autoritaires combattant les ingérences occidentales au nom des droits de l’homme. Mais la Chine traite la Russie comme un aimable fournisseur de matières premières, pas comme une puissance à égalité avec elle. Or le Kremlin n’acceptera jamais de jouer un rôle d’allié mineur, de partenaire de second rang. Depuis que Pierre le Grand (1672-1725) a pris les rênes du pays, la Russie ne l’a jamais fait. En outre, les Russes n’oublient jamais le péril à long terme d’une sinisation de la Sibérie. En revanche, dans l’hypothèse de la reconstruction d’un axe Paris-Berlin-Moscou (qui exista brièvement lors de l’opposition en 2003 à l’invasion anglo-saxonne de l’Irak), la Russie y jouerait un rôle de premier rang.
 
Cette idée n’est pas nouvelle. Après avoir scellé un partenariat fort avec l’Allemagne fédérale en invitant son chancelier à Colombey-les-Deux-Eglises en septembre 1958, le général de Gaulle, dans un discours à Strasbourg de novembre 1959, avait déjà appelé à la constitution d’une Europe « de l’Atlantique à l’Oural ». Dans une interview de 2010 au Süddeutsche Zeitung, Poutine avait parlé d’une « Europe de Lisbonne à Vladivostok ». Lors d’un discours au congrès de la CDU tenu en 2016 dans le land de Mecklembourg-Poméranie Orientale, la chancelière Merkel avait rêvé d’un espace économique s’étendant « de Vladivostok à Lisbonne ».
 
Mais ce vaste dessein n’a aucune chance de grandir si on ne comble pas les trois failles actuelles. La résolution du conflit du Donbass réside dans une loi d’amnistie et une large autonomie politico-culturelle pour cette région russophone. Cependant, elle n’avancera que si le président ukrainien parvient à se libérer des pressions nationalistes et que si le président russe contraint les dirigeants séparatistes à renoncer à l’exercice mafieux de leur pouvoir.  Les sanctions pénalisent à la fois l’UE et la Russie. Elles n’arrangent que l’Amérique. Mais les Européens ne les lâcheront jamais sans contreparties de la Russie. Elle peut en donner en Ukraine et sur la cyberguerre. En 2018, une attaque cyber russe fut débusquée dans une ferme éolienne française. Des implants hostiles allaient être posés au sein du réseau de distribution électrique Enedis, capables de déclencher à tout moment des black-out. Au lieu de se plaindre, la France devrait faire la même chose à l’égard des installations russes, afin que le Kremlin comprenne qu’il n’a pas intérêt à continuer ce petit jeu. Au lieu d’investir dans l’arme désuète d’un deuxième porte-avions, les armées françaises feraient mieux de renforcer les moyens du Commandement de la Cyberdéfense. A la dissuasion nucléaire, il convient d’ajouter une dissuasion cyber crédible. Parler en position de faiblesse avec les Russes ne sert à rien. Le général de Gaulle l’avait parfaitement compris, qui ne fit son voyage historique à Moscou de juillet 1966 qu’une fois la force de frappe française opérationnelle…


*Renaud Girard, membre du conseil d’orientation stratégique chez Geopragma 


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