Article de Renaud Girard* paru dans le Figaro le 25/05/2020

L’affaire semblait entendue. Donald Trump n’avait plus aucune chance d’être réélu président des Etats-Unis le mardi 3 novembre 2020. Avec la crise du Covid-19 et sa gestion erratique par la Maison Blanche, s’était effondré le principal argument électoral de Trump, qui était la bonne santé de l’économie américaine et le plein emploi, y compris pour les minorités défavorisées.

Dans sa giberne, le président comptait aussi sur deux autres cartouches. La première, efficace assurément, était qu’il était un super-ministre de l’intérieur, ayant réussi à endiguer l’immigration clandestine depuis le territoire mexicain. Pas meilleur argument pour conquérir les classes populaires, lasses de la baisse des salaires provoquée par la concurrence des clandestins.

Malheureusement pour Trump, l’autre cartouche, celle du super-diplomate, semble toujours mouillée : il n’a pas réussi à conclure sa paix avec la Corée du Nord. Et se sont détériorées sérieusement, durant son mandat, les relations de l’Amérique avec la Chine, la Russie et l’Iran.

Bref, disent les commentateurs européens, c’est avec une note inférieure à la moyenne que Trump se représentera devant le peuple américain. Mais ils oublient qu’une élection présidentielle n’est pas un examen universitaire. C’est un affrontement. Il suffit de détruire son opposant. Or Trump fait face à l’un des plus mauvais candidats de l’histoire du parti démocrate.

Il arrive en effet souvent à Joe Biden de dire n’importe quoi. Invité vendredi 22 mai au matin sur une radio noire, par un animateur noir, l’ancien vice-président lui a dit : « Si vous n’arrivez pas à vous décider entre Trump et moi, c’est que vous n’êtes pas réellement noir ! ». S’agit-il d’un retour du refoulé ? Les électeurs noirs américains formeraient-ils un troupeau de moutons, sommés de tous voter de la même façon ? Pour M. Biden, la couleur de votre peau vous empêcherait-elle de conserver votre libre-arbitre politique ? L’ancien vice-président avait-il oublié que 1.300.000 électeurs noirs américains votèrent pour Trump en 2016 ?

On dit que Steve Bannon s’est réconcilié avec Donald Trump et qu’il pourrait diriger à nouveau la stratégie de sa campagne électorale. On peut faire confiance à ce stratège hors pair pour exploiter à fond la gaffe de Biden, afin d’attirer davantage d’électeurs noirs vers le parti républicain. Bannon est un nationaliste économique mais pas ethnique. Après les incidents de Charlottesville du 13 août 2017 (où un suprématiste blanc avait tué une manifestante antiraciste en lui fonçant dessus avec sa voiture), Bannon avait qualifié les nationalistes ethniques de « losers » et de « clowns ».

Bannon va aussi tenter d’accroître la proportion d’électeurs hispaniques prêts à voter pour Trump, au nom de la théorie que le dernier arrivé veut toujours fermer la porte derrière lui : l’immigré régularisé et bien intégré dans la société américaine n’a aucun intérêt personnel à voir arriver davantage d’immigrés sur le sol américain.

Les partisans de Biden sont concentrés dans les Etats côtiers de l’Est et de l’Ouest qui, vivant de la finance et du numérique, n’ont pas été victimes de la mondialisation. Les électeurs de Trump sont majoritairement dans les Etats du centre, qui vivent de l’agriculture et qui abritaient les industries manufacturières traditionnelles.

Bannon est un redoutable adversaire pour les « limousine liberals » (la gauche caviar), grands financiers du parti démocrate. Car venant lui-même du système (il a été un brillant banquier d’affaires chez Goldman Sachs), il le connaît de l’intérieur.  Chagriné par les délocalisations industrielles vers la Chine faites au nom du profit, dégoûté par le comportement de Wall Street avant et pendant la crise financière de 2008, ulcéré par la disparition des petites économies des salariés des classes moyennes, révulsé par l’impunité procurée ensuite aux grands banquiers, il a décidé, il y a une dizaine d’années, de s’attaquer à un système dont s’accommodaient si bien les époux Clinton. Et il a réussi à convaincre Trump que c’était le bon angle d’attaque.

Comme ils ne pourront pas vendre de l’Amérique « great again » à un électorat subissant la plus grave crise économique depuis 1929, Trump, Pompeo et Bannon ont décidé de jouer l’ennemi chinois. C’est sur ce thème qu’ils feront campagne pour rallier de nouveaux électeurs, dans les Swing States. La Chine qui triche (avec les règles de l’OMC), la Chine qui ment (sur la militarisation des îlots Spratleys et Paracels), la Chine qui vole (la technologie américaine), la Chine qui empoisonne (avec le virus de Wuhan). Et la famille Biden complice de cette Chine-là… La ficelle peut très bien marcher.

Il reste à espérer que, s’il est réélu, Trump, ne changera pas aussitôt son fusil d’épaule, pour faire un grand deal avec son « ami » Xi Jinping, sur le dos des Européens…

*Renaud Girard, membre du conseil d’orientation stratégique chez Geopragma

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