Article de Caroline Galactéros faisant suite à son voyage à Damas dans le cadre de l’Association Amitié France-Syrie (AFS).
Le trop court mais poignant déplacement à Damas et sa région de membres de l’association pour l’Amitié France-Syrie a été l’occasion de multiples rencontres et visites. Notre délégation a pu rencontrer des autorités civiles et religieuses, des intellectuels et des diplomates, des humanitaires et des journalistes. Ce que nous avons vu, ceux que nous avons entendus ont, en ce qui me concerne à tout le moins, laissé sourdre puis grandir une immense indignation. Devant le sort fait depuis 12 ans déjà à ce peuple valeureux par ceux qui ont juré sa perte et celle de son gouvernement dès la fin des années 2000. Pas pour libérer le peuple syrien du joug de son « tyran », pour punir celui-ci d’avoir choisi le mauvais tracé pour le gaz et le pétrole du Golfe… Il fallait en effet punir la Syrie, la démembrer et confier son sort aux multiples avatars d’Al Qaida, déclinés en un savant camaïeu de « vert » offrant des nuances dans la ferveur islamiste et les degrés de sauvagerie. Cette fragmentation artificielle devait permettre de légitimer les plus « modérés » des radicaux, par contraste avec ceux (ISIS) dont les modes d’action les plaçaient au summum de l’ultra violence… On connait la suite. Après moulte péripéties tragiques qui menacèrent le pays d’annihilation jusqu’à l’été 2015, les alliés russe et iranien du régime l’ont sauvé de la pulvérisation programmée par ceux qui sans honte s’instituaient en « amis de la Syrie ». Le pays a résisté, le régime n’est pas tombé, la population s’est réfugiée dans les zones contrôlées puis reprises par les forces gouvernementales, même si d’importantes poches de djihadisme demeurent et amputent le recouvrement de son intégrité territoriale.
Une telle introduction va naturellement m’attirer une fois encore les foudres de la bien-pensance française, mais le cynisme de tous ces donneurs de leçons pontifiants et pétris de haine, rengorgés dans leurs prétendus principes moraux et leur feinte empathie devient de moins en moins supportable. Car cette bien-pensance, ses héraults, ses relais, ses petites mains et ses sicaires, quand ils ne sont pas juste pathétiquement naïfs ou imbéciles, sont de purs menteurs, englués dans une compromission intellectuelle et morale terrifiante avec les commanditaires occidentaux du démembrement de ce splendide pays, berceau de notre civilisation. Un pays, un État, qui aujourd’hui encore, aujourd’hui toujours, après 12 ans d’une résistance surhumaine, crie sa volonté de revivre enfin mais semble ne jamais pouvoir espérer sortir de l’opprobre, de l’appauvrissement, de la prédation, ni même recouvrer son entière souveraineté territoriale. On s’acharne sur lui avec une écœurante gourmandise, prolongeant le supplice de sa population si valeureuse et digne. Au lieu de l’aider massivement pour faire oublier notre trahison, au lieu de faire amende honorable et de lancer sa reconstruction, au lieu de libérer son territoire des hordes islamistes qui y subsistent encore attendant les ordres de leurs commanditaires, au lieu d’en finir avec la béance de cette faute contre l’humanité et la culture, on renforce le couperet des lois « César » qui visent à l’isoler, à l’affamer, à maintenir l’économie syrienne dans les limbes. On lui siphonne son pétrole, on incendie ses récoltes de blé, on effondre sa monnaie et on attend. Quoi ? Que le peuple dépose son chef d’État, celui-là même qui lui a sauvé la vie même si à nos yeux, il est évidemment « le boucher de Damas ». On attend que son entourage se retourne contre lui, que l’appauvrissement du peuple soit tel qu’il permette le regime change avorté en 2011-2012. Jusqu’à quand ce traitement d’infamie ? Pour toujours. Pourquoi ? Parce que l’Occident ne saurait mentir ni avoir tort. Donc il a forcément raison. Il veut le bien des hommes, donc il ne peut être responsable du mal qui leur est fait.
Dans cette interminable souffrance, la beauté de Damas reste troublante, comme suspendue mais intacte ; son caractère majestueux demeure, la chaleur et la finesse des habitants sont là, trésors intacts, petites bulles de vérité dans l’immensité du mensonge et de la supercherie. Dans tous nos échanges, j’ai pu ressentir la dignité préservée et le secret bonheur de savoir que l’on a vaincu le pire, le dessein diabolique de l’islamisme forcené appuyé par ceux qui jugeaient la Syrie trop puissante trop stable, trop importante, trop riche, trop géographiquement centrale.
Mais cette victoire a un goût amer. Tous les moyens de pression sont activés pour l’empêcher de clamer son triomphe. La guerre a provoqué l’exode des Chrétiens, celui des Syriens réfugiés à l’étranger dont la reconstruction en panne empêche le retour, la prolifération des emprises militaires des forces américaines (une trentaine de toutes tailles) qui peu ou prou protègent et entretiennent les combattants de l’État islamique repliés après leur déroute officielle en vue d’une prochaine résurgence de leur menace dument exploitée pour faire avancer la cause de la nouvelle vague de prétendus « combattants de la liberté » syriens (c’est-à-dire de nouveaux islamistes). A quand la fin de cette duplicité innommable ?
Comme dans le cas de la malheureuse Ukraine, c’est la profondeur même des fautes occidentales qui nourrit l’escalade, c’est notre incapacité à changer de braquet, à reconnaitre même officieusement nos erreurs qui nous conduit en Syrie, contre toute évidence, à ne pouvoir souhaiter que la déposition ou le retrait de Bachar el Assad. On ne veut pas laisser ce pays en paix ni même seulement panser ses blessures. Ce serait trop injuste de notre point de vue. Quoi ? l’Occident, phare du monde et de la démocratie, aurait-il eu tort ? Inconcevable ! Alors, on en remet une couche en espérant que le fruit mur va enfin tomber.
Malgré toutes ces attaques et peut-être à cause d’elles, la beauté, le raffinement de la vieille ville, le fatalisme combatif -sans craindre l’oxymore- qui irradie doucement dans les regards de nos interlocuteurs sont des invitations au courage. Un courage empreint d’une immense tristesse. Les religieux rencontrés nous ont tous exprimé leur souffrance devant l’implacable affaiblissement du poids des Chrétiens d’Orient en Syrie, passé de 14 à 2% de la population depuis le début de la guerre.
Et la France dans tout ce drame ? Notre action fut délétère, depuis le « Al Qaida fait du bon boulot » de notre ministre Laurent Fabius jusqu’à l’encouragement à ressusciter voici quelques semaines, lors d’une grand-messe le 6 juin à l’Institut du Monde Arabe, la prétendue résistance de la société civile syrienne. Cette réunion d’une centaine d’associations sous la bannière du mouvement « Madanya », nouvelle coquille des ambitions politiques de l’homme d’affaires franco-britannique, Ayman Asfari, déjà à l’œuvre en 2011 et qui rêve toujours de remplacer Bachar el Assad. La France que l’on attend pourtant toujours, certes sans conviction, mais dont on espère une soudaine prise de conscience du temps perdu et des fautes commises. Les responsables rencontrés ont été unanimes. Ils ne veulent pas même se venger de notre « abandon » pour dire le moins. Car comme sa population, le pouvoir syrien est las ; déterminé mais las, donc éminemment pragmatique. Il veut que le supplice finisse ; il veut reconstruire son pays dévasté. Il veut passer à autre chose.
Comme toujours, beaucoup ont compris avant nous cette urgence et aussi que la bascule du monde impose une révision des objectifs de politique étrangère. Allemands, Italiens Autrichiens sans parler évidemment des pays du monde arabe ouvrent leurs représentations à Damas, mettent en place des budgets de coopération dans le domaine culturel, le moins « sensible », quand nous sommes toujours incapables d’avoir autre chose qu’un « représentant français pour la Syrie », nous refusant à toute collaboration en matière de sécurité ou de renseignement. Bref, nous restons délibérément aveugles et sourds alors que tout a changé dans l’environnement régional du pays.
Cette posture est fausse sur le fond et de plus en plus préjudiciable à nos intérêts ne serait-ce que sur la forme. Mais, que penser, qu’espérer, quand notre actuelle ministre des Affaires étrangères déclare ne pas comprendre pourquoi la Syrie a été réintégrée dans la Ligue arabe. Que dire aussi quand on nous confirme que le pays n’a pas reçu la moindre aide officielle de la France après le tremblement de terre qui l’a frappée ainsi que la Turquie ? Dans ces conditions, il devient de plus en plus difficile de défendre la position française. D’autant plus nécessaire donc, de maintenir des canaux de communication et de dialogue mais aussi de contact avec la population syrienne pour lui témoigner de notre compassion et de notre lucidité.
Caroline Galactéros. Syrie 2023 : quand cesserons-nous de punir ce pays de n’être pas mort ?
Freguin
Constantin
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