Billet du Lundi 22 avril 2024 rédigé par Gérard Chesnel membre du Conseil d’administration de Geopragma.

La langue nationale est une des manifestations de la puissance d’un pays. Les grands empires, comme Rome, Byzance, les Abbassides et, plus tard, l’Espagne, le Portugal, la France ou l’Angleterre, qui ont conquis de vastes territoires, ont diffusé leur langue et leur culture dans les régions dont ils avaient pris le contrôle. C’était une composante de leur pouvoir. La défense de notre langue n’est donc pas un caprice de lettrés chauvins mais une nécessité si nous voulons maintenir prestige et influence.

La langue française a subi, au cours des dernières décennies, de nombreux assauts auxquels elle a tenté de résister, soit en créant des institutions internationales comme la Francophonie, soit en légiférant à titre national (loi Toubon du 4 août 1994). Mais l’invasion de l’anglais ne s’est qu’accentuée avec le développement de l’informatique et des jargons générés par les réseaux sociaux.  Plus désolant encore, on voit aujourd’hui se multiplier les « attaques » provenant de l’intérieur, en raison bien souvent de l’inculture ou du snobisme de beaucoup de nos compatriotes. Citons quelques exemples, qu’on peut regrouper sous certaines rubriques :

  • Les « tics » verbaux collectifs comme « du coup », qui a remplacé depuis plusieurs années « donc » et « par conséquent » ou « voilà » qui dispense certaines personnes peu inspirées de tout autre commentaire (je pense à ce sprinter, très talentueux par ailleurs, qui, interviewé après tel ou tel de ses exploits, ne trouvait rien d’autre à dire que « Voilà »).
  • Un même appauvrissement du vocabulaire est dû à l’emploi répétitif d’un mot passe-partout. Actuellement, le vocable « incroyable » désigne tout ce qui sort de l’ordinaire ou qui est inattendu. Or il existe aussi, en français courant, des mots comme « magnifique, inouï, exceptionnel, extraordinaire » ou même « génial, fabuleux, dingue », etc. etc. Mais leur emploi se raréfie dangereusement au profit d’« incroyable ».
  • Les mots prétendument élégants ou savants comme « paradigme » ou « résilience » (souvent confondue avec « résistance ») la plupart du temps mal compris ou utilisés à contresens. Dans le même ordre d’idées, certains trouvent chic de parler de leur « problématique » alors qu’ils ont tout simplement des « problèmes ». Et il vaut mieux dire aujourd’hui que ces problèmes « perdurent » plutôt qu’ils ne « durent », ce qui serait sans doute trop simple. Mais le pompon dans ce domaine est détenu par un célèbre entraîneur de football qui redoute non pas ses « adversaires » mais « l’adversité ». Je le cite : « Nous avons perdu ce match car l’adversité était trop forte ».
  • L’utilisation détournée de mots anciens comme « maraude » qui signifiait autrefois « vol, larcin » et qui maintenant a ses lettres de noblesse puisque les « maraudes » sont devenues des tournées de travailleurs humanitaires cherchant à venir en aide aux nécessiteux. Ce « maraud » de François Villon en serait bien surpris (ou amusé).
  • La redondance injustifiée comme « Au jour d’aujourd’hui ». Le mot « hui » venant du latin « hodie » qui signifie « ce jour », le mot « aujourd’hui », est déjà une redondance, mais qui est passée dans l’usage. « Au jour d’aujourd’hui » est pour sa part une double redondance. Le verbe « pouvoir » offre lui aussi de belles perspectives comme « être en mesure de pouvoir » ou « avoir la possibilité pouvoir », etc.
  •  L’anglais mal maîtrisé mérite lui aussi quelques remarques. Ainsi, on peut être « supporter » d’une équipe, la soutenir mais pas la « supporter ». Sinon, on en viendrait à dire que l’on ne supporte pas de voir perdre l’équipe que l’on supporte.
  • Le faux anglais offre quelques expressions amusantes voire ridicules comme « rester focus » (rester concentré), « checker » pour « vérifier » ou, le pire du pire, « Il y a du level » (prononcé « levelle ») pour dire que la concurrence (ou l’adversité) a un bon niveau.

Certes toutes les langues sont soumises à ce type de problème (devrais-je dire à cette problématique ?). Le Professeur Bernard Cerquiglini, l’un de nos meilleurs linguistes, vient de publier un livre plein d’humour intitulé « La langue anglaise n’existe pas, c’est du français mal prononcé », dans lequel il cite Daniel Defoe qui, en 1708, s’insurgeait devant le remplacement du vocabulaire anglais par le français : « I cannot but think, disait l’auteur de Robinson Crusoé, that the using and introducing of foreign terms of art or foreign words into speech while our language labours under no penury or scarcity of words is an intolerable grievance ». Aujourd’hui la situation est inversée et nous voyons arriver de plus en plus de mots étrangers (en grande majorité anglais) alors que leur équivalent français existe bel et bien et est d’ailleurs généralement plus harmonieux. Pourquoi parler d’un « coach » quand nous avons les mots « entraîneur » ou « sélectionneur », pourquoi prendre un vol « low cost » (souvent prononcé d’ailleurs « low coast » !) quand existent des vols pas chers, à bas coût ? Pourquoi le « sweater » prononcé systématiquement « switer » a-t-il remplacé le bon vieux chandail et le « jogging » le survêtement. On pourrait multiplier les exemples.

L’une des causes de ce mal-parler réside dans l’affaiblissement du niveau des journalistes de radio et de télévision. Jusqu’aux années soixante, ces média faisaient office de bible, s’agissant de la prononciation du français. Ils n’auraient jamais confondu « cote » et « côte ». A cette époque on buvait du côtes-du-rhône et non pas du cotte du ronne, et c’était bien meilleur.

Faudrait-il que l’Académie française se saisisse du problème ? Après tout, elle n’est pas obligée de se limiter à l’écrit. Mais voilà une problématique que beaucoup ne supporteraient pas ?

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5 comments

  1. Patrick André MUNIESA

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    C’est le rôle de l’école de faire aimer la langue française, de faire découvrir les auteurs français, au delà même de l’éducation que les jeunes enfants peuvent recevoir de leurs familles.
    Encore une fois, nous retrouvons l’absence d’autorité et parfois un enseignement en manque de repères au regard des réformes successives. Trop de remises en question ont eu lieu.
    Il ne faut donc pas s’étonner si chez certains maîtres et professeurs, soit par découragement ou lassitude, soit par insuffisance professionnelle la transmission de leur savoir et de leur amour pour tout ce qui fait la beauté de la langue française s’en trouve affaiblie.

  2. Douhéret

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    Pour ce qui concerne l’invasion de l’anglo-américain, il y a la pression du monde de l’entreprise, de la vente et des publicitaires leurs complices, c’est à dire, comme le disait le regretté Michel Serres, les « collabos de la pub et du fric ». Il y a les mondes scientifique, technique et numérique où l’anglais règne. La mode et la beauté, vendues à jamais. Et pire que tout : les responsables publics, petits et grands barons des collectivités territoriales, qui ne croient plus pouvoir être modernes et vendeurs dans leur langue maternelle.
    Aucune loi ni aucun organisme supposé défendre la langue française ne semble à cette heure en mesure ne serait-ce que réduire le volume du robinet. En a-t-on d’ailleurs la volonté ? Et à la racine du mal en effet, l’effondrement de l’enseignement du français. On ne fait plus aimer les beaux textes, jugés trop compliqués, allant même jusqu’à supprimer le passé simple et à aplanir le vocabulaire dans « le club des cinq », en admettant qu’il soit lu. Chateaubriand écrivait :
    Des peuplades de l’Orénoque n’existent plus ; il n’est resté de leur dialecte qu’une douzaine de mots prononcés dans la cime des arbres par des perroquets redevenus libres, comme la grive d’Agrippine qui gazouillait des mots grecs sur les balustrades des palais de Rome. Tel sera tôt ou tard le sort de nos jargons modernes, débris du grec et du latin. Quelque corbeau envolé de la cage du dernier curé franco-gaulois dira, du haut d’un clocher en ruine, à des peuples étrangers à nos successeurs : « Agréez ces derniers efforts d’une voix qui vous fut connue : vous mettrez fin à tous ces discours. »

  3. M RICARD

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    Il est incontestable que notre langue, notre belle langue se dégrade de jour en jour et rien ne semble pouvoir ou même vouloir freiner et a fortiori inverser cette lente et continuelle descente. Je crains fort que l’Académie française ne soit en l’occurrence d’aucun secours. Pour l’heure, l’illusion d’une certaine culture française se maintient vaille que vaille puisqu’on peut encore lire des livres et des articles écrits en bon Français. A l’oral, la qualité de la langue est encore plus rare. Mais quelle est la moyenne d’âge de ceux qui écrivent et parlent encore correctement le Français ? Cette moyenne est sans doute plombée par des vieux comme nous. Le Latin et le Grec ne sont plus enseignés, les écrivains Français ont été châtiés de l’école élémentaire et du lycée, les ordinateurs remplacent les livres : 3 raisons du déclin. Le centre national du livre a souligné récemment la baisse importante de la lecture chez les jeunes. Alors, non seulement, ils ne lisent pas et en plus, ceux qui lisent, lisent des conneries mal écrites. Le résultat est logique et forcément très mauvais. Ce qui nous induit en erreur, à mon avis, c’est que nous partons de très très haut et descendre aussi bas était, par principe, inenvisageable. C’est pourtant ce qui est arrivé. La langue française de Ronsard, Chateaubriand et Proust a été jetée à la poubelle. Le malheur est que c’est irréversible. Cette langue si subtile, raffinée, étonnante risque de devenir un vague sabir sans âme, un truc véhiculaire comme ils disent. Seuls quelques rescapés de la vraie culture resteront sur leur îlot comme des Amish du verbe d’autrefois. Il faut se consoler : nous ne le verrons pas ; c’est pour cela que je suis bien content d’être vieux…

  4. Etienne

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    Bonjour à tous,
    Je trouve Geopragma très bon dans l’analyse géopolitique, moins dans l’analyse sociologique.
    En Inde ou j’habite, beaucoup de mots anglais sont utilisés dans les conversations en Hindi, Marathi Tamoul ou autre dialecte sans que l’amour du pays se sente menacé.
    Plus que le bien parler commun qui a longtemps été un un outil de domination très subtil à l’intérieur du pays ( un peu reproduit d’ailleurs dans cet article,) c’est le socle des valeurs communes qui a besoin d’être retrouvé. Des valeurs universelles et le plus souvent traditionnelles (mariage, famille, respect des aînés, respect des plus jeunes, etc… que des gros mots…).
    Mais par ailleurs, bravo à Geopragma: continuez !!! Le propos ne se veut pas décourageant mais constructif.
    Bien à vous
    Etienne

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