Billet du lundi 13 mai 2024 rédigé par le Général Jean-Bernard Pinatel, Vice-président de Geopragma.
Il voudra probablement s’inscrire à jamais dans l’histoire de la Russie, le 9 mai 2025, 80ème anniversaire de la fin de la « grande guerre patriotique » et de la victoire contre le nazisme, en célébrant aussi la « libération » complète des 4 oblasts annexés en mars 2022.
Général (2s) Jean-Bernard Pinatel
Vladimir Poutine a été « inauguré », mardi 7 mai 2024, pour un cinquième mandat de Président de la Fédération de Russie dans la salle dorée du palais du Kremlin où les tsars russes étaient traditionnellement couronnés.
Alors que le Président Poutine se prépare à former son nouveau gouvernement, le ministère russe de la Défense a annoncé qu’il organiserait des exercices de missiles nucléaires non stratégiques (tactiques) dans un proche avenir, accusant les responsables occidentaux d’escalade rhétorique dans la guerre en Ukraine. Le ministère russe des Affaires étrangères a également convoqué les ambassadeurs britannique et français pour une réprimande et leur transmettre un message ferme sur « le durcissement de la position de la Russie envers l’Occident[1] ».
Le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a déclaré que ces exercices étaient une réponse aux déclarations françaises et britanniques sur la guerre en Ukraine.
Rappelons que le président français Emmanuel Macron, le 26 février 2024, avait fait l’unanimité contre lui des alliés de l’OTAN en déclarant qu’il « refusait catégoriquement d’exclure l’envoi de forces terrestres en Ukraine ». Le 11 mai, répondant aux questions des internautes sur twitter, il a atténué pour la première fois sa position en déclarant : » j’espère de toutes mes forces qu’on n’aura pas à partir en guerre« , ce qui a été perçu par les observateurs comme un pas en arrière. Et notamment par le général Christophe Gomart[2] candidat aux élections européennes sur la liste des Républicains qui a déclaré : « Le chef de l’État a eu tort d’évoquer une fois de plus cette option. L’ambiguïté stratégique consiste à laisser des options en suspens, pas à commenter ses propres réflexions. Au lieu de préserver l’unité européenne et l’unité de l’OTAN dans le cadre d’un soutien en équipements et matériels à l’Ukraine, une telle annonce suscite des réactions contraires qui risquent de donner une impression de division. Je pense que ça n’était ni opportun, ni réaliste ».
Bien plus menaçante et plus crédible pour Moscou est la déclaration du ministre britannique des Affaires étrangères, David Cameron, qui a affirmé que la Grande-Bretagne a donné à l’Ukraine l’autorisation d’utiliser les armes britanniques pour frapper le territoire russe, ce qui a été clairement perçu par Moscou comme une escalade intolérable. En effet, il est fort probable que des pertes civiles importantes dans la profondeur du territoire de la Russie conduiraient Vladimir Poutine à céder à son aile politique radicale qui depuis plusieurs mois souhaite accélérer la fin du conflit en le nucléarisant.
Je rappelle que depuis février 2022, chaque fois que les anglo-saxons ont fait un pas supplémentaire dans l’aide à l’Ukraine et ou dans l’escalade verbale, Vladimir Poutine ou son ministre de la Défense ont rappelé la détermination de la Russie à nucléariser le conflit si son territoire était menacé, y compris par des armes classiques.
Dans ce contexte, Il est fort probable que les Etats-Unis qui dirigent l’OTAN sans partage, exigeront des ukrainiens qu’ils renoncent à des frappes dans la profondeur du territoire russe car le Pentagone est convaincu qu’une telle escalade conduirait Poutine à nucléariser le conflit.
Aujourd’hui pour Biden comme pour les stratèges du Pentagone une chose est claire rappelle Foreign Affairs[3] dans son édition du 20 décembre 2023 : « les responsables américains craignent toujours que la Russie utilise des armes nucléaires tactiques sur le champ de bataille. » Bien plus : « Washington ne peut pas dissuader Poutine d’escalader. Les autorités américaines, bien sûr, ne veulent pas que Moscou utilise des armes nucléaires, même si elles ne semblent pas convaincues qu’il le fera. En conséquence, ils ont tenté d’empêcher la Russie d’escalader en menaçant de « conséquences catastrophiques », comme l’a déclaré la Maison-Blanche en septembre 2022, si Poutine utilisait son arsenal. Mais de tels avertissements sont peu susceptibles de dissuader le président russe. Poutine verra cette menace comme un bluff ; il sait que, finalement, Washington ne veut pas risquer un conflit nucléaire pour l’Ukraine. Il est également profondément déterminé à gagner en Ukraine, au point où il pourrait décider d’escalader rapidement même s’il pensait que les États-Unis étaient sérieux sur le fait de répondre avec force. Il douterait probablement de la gravité de toute menace américaine et calculerait qu’en fin de compte, Washington choisirait de faire des compromis plutôt que de lancer des frappes nucléaires contre la Russie elle-même, ce qui pourrait entraîner une réponse nucléaire contre la patrie américaine. La triste vérité est que Washington ne peut pas dissuader Poutine d’escalader au point où il utilise des armes nucléaires à cause de la guerre en Ukraine. Bien qu’il ne prenne pas cette escalade à la légère ou ne rejette pas les risques sérieux pour la Russie, Poutine anticiperait qu’il pourrait gagner la guerre des volontés dans une crise nucléaire. »
Ces déclarations occidentales sont probablement dictées par la crainte des anglais et de la France d’un effondrement prochain du front ukrainien du fait de l’incapacité de l’occident à satisfaire les besoins en équipements et en munitions d’une armée ukrainienne qui a du mal à compenser ses pertes humaines et qui se trouve aujourd’hui plus qu’hier en état d’infériorité en matière d’effectifs et de feu terrestre et aérien par rapport à aux forces russes.
Mon évaluation est que nous sommes pour l’instant dans une gesticulation verbale occidentale qui ne se traduirait sur le terrain par une réelle escalade dans le conflit que dans deux hypothèses. Premièrement, si les ukrainiens, passant outre les consignes de Washington frappaient en profondeur le territoire Russe et causaient des pertes civiles importantes. Deuxièmement, si profitant de l’effondrement du front ukrainien, Poutine ne cherchait pas seulement à terminer la « libération » des quatre oblasts annexés qui est loin d’être réalisée à ce jour et qui semble être son objectif, mais menaçait avec son armée d’autres parties du territoire ukrainien comme au nord Kharkiv puis Kiev ou Odessa au Sud.
Ainsi je pense que, contrairement à ce que déclare l’état-major ukrainien et que relayent ses propagandistes dans nos médias, la pression des forces russes sur l’ensemble du front et en particulier vers Kharkiv ne vise qu’à affaiblir les défenses autour de Sloviansk et Kramatorsk, dernières grandes villes à « libérer » de l’oblats du Donetsk et à achever la conquête du Donbass et notamment celle de l’oblats de Lougansk.
Aussi, nous devrions plutôt assister dans les mois à venir à une manœuvre des forces russes plus en rapport avec cet objectif. Elle viserait à encercler ces deux grandes villes et à les couper de tout soutien logistique venant de l’ouest par une attaque Nord-Sud vers Izioum sur la rive Est de la rivière Donets (qui est la limite géographique de l’Oblats de Lougansk plus facilement défendable face à l’Ouest que sa limite administrative) et par le Sud-Est en suivant la ligne de crête partant d’Avdiivka vers le Nord-Ouest où les forces russes ont avancé d’une quinzaine de kms depuis sa conquête le 16 février 2024.
[1] https://www.washingtonpost.com/world/2024/05/07/vladimir-putin-inauguration-russia-war/
[2] https://www.epochtimes.fr/envoi-de-troupes-en-ukraine-le-chef-de-letat-a-eu-tort-devoquer-une-fois-de-plus-cette-option-declare-le-general-christophe-gomart-2615054.html
[3] [https://www.foreignaffairs.com/ukraine/real-russian-nuclear-threat?utm_ medium=newsletters&utm_source=fatoday&utm_campaign=The%20Real%20Russian%20Nuclear%20Threat&utm_content=20231220&utm_ term=FA%20Today%20-%20112017].
Tchernine Vladimir