Billet du lundi 5 avril 2021 par Patricia Lalonde, vice-présidente de Geopragma
Les négociations sur le nucléaire iranien patinent. Les Etats-Unis comme les Iraniens restent sur leurs positions, chacun attendant que l’autre fasse le premier pas ; Antony Blinken a été très clair : pas le moindre geste financier ne sera fait avant d’engager des négociations avec l’Iran.
Après avoir tenté de tenir le rôle de médiateur, l’Union Européenne s’est malheureusement résolue à s’aligner sur les positions de l’administration Biden…
Les Etats-Unis voudraient juste faire comme si rien ne s’était passé au Moyen-Orient depuis que Donald Trump a décidé de sortir de l’Accord en infligeant des sanctions strictes au peuple iranien, incompréhensibles en pleine période de pandémie…
Les conflits menés au Moyen-Orient par les Occidentaux ont évidemment donné l’occasion aux Iraniens d’affirmer leur puissance notamment en augmentant leurs capacités balistiques.
Il semble qu’il y ait un puissant lobby et un relatif consensus à Washington pour faire échouer ces négociations alors même qu’en Israël, selon le journal américain « The Hill », certains militaires et membres des services auraient une attitude plus pragmatique et estimeraient que le retour à l’Accord tel qu’il a été signé en 2015, même s’il n’est pas parfait, reste la seule solution pour protéger Israël.
Un consensus pour s’entêter à ne pas voir que les guerres menées en Syrie et au Yémen ont abouti exactement à l’inverse de ce que les Occidentaux espéraient : un renforcement des positions russes et iraniennes en ce qui concerne la Syrie, iraniennes dans la guerre déclenchée contre les Houthis au Yémen par l’Arabie Saoudite et la Coalition qui la soutient.
Il n’est pas exagéré de dire que ces deux guerres ont été un échec politique pour les Occidentaux doublé d’une véritable catastrophe humanitaire.
Au Yémen en effet, Ansarullah est en passe de reprendre la ville pétrolière de Marib, malgré l’envoi des mercenaires d’Erdogan et l’aide apportée par Al Qaïda à la Coalition, mercenaires qui se sont infiltrés dans les camps de réfugiés, et pourraient préparer une opération sous « faux drapeau » qui serait mise sur le dos des forces yéménites d’Ansarullah et permettrait des « représailles ».
Le Gouvernement de salut national estime que c’est à elles de mener les négociations à Sanaa pour aboutir à un gouvernement d’Union nationale et obtenir que les forces étrangères quittent le pays comme le réclame une récente résolution votée au Parlement européen.
L’allié américain est ainsi mis dans l’embarras alors même qu’il avait tenté d’apaiser la situation en retirant les Houthis de la liste terroriste et en nommant un Envoyé spécial, Tim Landerking pour entamer des négociations… Celui-ci vient de revenir bredouille de Mascate, les Houthis ayant refusé les conditions saoudiennes.
Nous assistons donc à un changement de rapport de force aux Proche et Moyen-Orient.
L’accord de partenariat stratégique qui vient d’être passé entre la Chine et l’Iran va permettre à celle- ci de sortir de son isolement diplomatique et sonne comme un sévère avertissement pour les Etats-Unis et leurs alliés européens.
La crise qui s’est ouverte entre la Chine et les Etats-Unis, à propos des Ouïgours illustre le « ras le bol » de certains pays face aux immixtions inadmissibles des Occidentaux dans leurs affaires intérieures au motif de la défense des droits de l’Homme. la Chine ne s’est pas privée de répondre en critiquant « ironiquement » la politique répressive envers les « Black Lives Matter » aux Etats-Unis ainsi que la violence de l’assaut du Capitole… Cela a valu quelques sanctions aux dirigeants américains ainsi qu’à certains parlementaires européens qui s’acharnent à critiquer la Chine sur le sort des Ouïgours.
La stratégie de Joe Biden du grand retour de l’Amérique dans les affaires internationales et de l’affrontement entre démocraties et régimes autocratiques semble mise à mal. Nos valeurs occidentales de démocratie sont désormais remises en cause par les guerres dévastatrices que nos pays ont menées et leurs cohortes de malheurs pour les populations civiles… Le cynisme ne paie plus.
Quant à l’Union Européenne, elle a sans doute raté le coche d’un rapprochement avec la Russie en reprenant depuis l’arrivée de la nouvelle Administration américaine sa politique du « business as usual », prenant le risque de diviser les Européens comme on a pu le voir au sujet du vaccin russe Sputnik V, ou encore sur le dossier Nord Stream 2, cher à Angela Merkel mais que la France demande d’abandonner pour complaire à l’allié américain.
On a le sentiment que les Européens font tout pour conforter un axe Russie – Chine – Iran, « les alliés de la souveraineté » qui sonnerait définitivement la fin d’une Europe indépendante.
Revenir dans le JCPOA – version initiale, en levant les sanctions contre Téhéran – les Etats-Unis et l’Europe ne peuvent plus se permettre le bras de fer version Trump – reste le seul moyen d’éviter un chamboulement géopolitique dangereux au Moyen-Orient dont l’Occident ne sortira pas vainqueur.
En organisant une réunion de la Commission mixte du JCPOA afin d’y mener un dernier effort diplomatique entre tous les signataires de l’Accord (Chine, Russie, Allemagne, France, Angleterre) sans les Etats-Unis, l’Union Européenne tente de peser. Souhaitons qu’elle ait la force nécessaire pour réussir à imposer à une Amérique sous influence le retour plein et entier à l’Accord initial avant qu’il ne soit trop tard..
C’est la seule façon pour les Etats-Unis d’éviter un camouflet et de revenir dans la légalité internationale ; la seule façon pour l’Europe de montrer qu’elle existe ; la seule façon de sauver la paix.
Veronique Chateauneu