Billet du lundi du 13/07/2020 par Ghislain de Castelbajac*

Le Pape Jean-Paul II avait coutume de dire que le Liban n’était pas un pays, mais un message. 

Le diable étant dans les détails, il n’avait pas précisé que le messager est trop souvent l’un de ces cavaliers de l’Apocalypse que les Écritures citent dans toutes les religions monothéistes.

La situation économique, politique et sociale du Liban n’a jamais été aussi comparable à celle de l’Apocalypse pour ce pays aux frontières artificiellement créées par la France et le général Gouraud voici exactement cent ans.

Ces cavaliers de malheur sont connus de tous les Libanais : caste politique corrompue, gangs mafieux, système confessionnel à bout de souffle, puissances régionales – d’Israël à l’Iran en passant par la Syrie et les Etats du Golfe – se servant sur la bête depuis 1969, c’est-à-dire depuis les Accords du Caire qui permirent aux camps de l’OLP de s’armer, source de la première plaie du Pays du cèdre.

Le Liban n’est pas et ne fut jamais la Suisse du Proche-Orient. Même Hitler, Mussolini ou Staline n’ont jamais attaqué leur propre banque.

Le Liban lui, fut foulé aux pieds par tous, sucé jusqu’au sang par l’armée israélienne qui se fit un plaisir, dès la frontière enfoncée en 1982, de détruire les plantations d’agrumes qui lui faisaient concurrence, puis pillé et désossé par l’armée syrienne qui volait tout ce qui lui passait sous la main avec la complicité de politiciens vendus, quelle que soit leur religion, à un envahisseur soi-disant pacificateur. 

Aujourd’hui, c’est l’Iran qui est aux commandes avec un gouvernement pro-Hezbollah qui utilise le Liban comme plateforme de tous les trafics entre Caracas, Damas et Téhéran : trafics de faux médicaments en Amérique du Sud avec la complicité de quelques familles expatriées libanaises pro-Hezbollah au Venezuela et dans la zone des trois frontières de Foz da Iguaçu; trafics de drogue, d’essence, d’armes et de cigarettes avec la Syrie grâce aux Jaafar et Amhaz, les deux clans chiites tout puissants qui sévissent dans la Bekaa; blanchiment d’argent et usage sans limite du hawala avec Téhéran. 

Tout cela n’excuse pas le clan pro-sunnite des Hariri, qui mit en place un système pyramidal de type Ponzi qui fit de l’Arabie Saoudite et ses serfs du clan Hariri les actionnaires de banques libanaises. Un système qui vit d’ailleurs l’autre clan mafieux des pro-Hezbollah s’empresser de créer ou de devenir à leur tour actionnaires de banques libanaises pour mieux blanchir et servir leur maître à Téhéran.

Et la France dans tout cela ? 

Depuis le Pacte de Saint-Louis en passant par la création du Grand Liban par la France en 1920, puis les vaines promesses d’intervention mitterrandiennes et de bombardes contre les troupes de Damas par François Léotard en 1986, la France fut toujours présente dans le jeu d’ombres libanais, parfois avec panache et discrétion, parfois avec héroïsme, parfois avec honte et agitation.

Aujourd’hui, la marée basse libanaise propose à la France un véritable boulevard pour revenir par le haut sur la scène, tant le jeu du pourrissement par tous les acteurs, de Téhéran à Washington en passant par Ankara, Damas et Ryad, crée un consensus de charognards tournant autour d’une bête agonisante.

Le diagnostic est posé, la crise bien réelle qui prive la population de son argent – impossible à retirer des guichets des banques et ne valant plus rien -, de son travail et de sa dignité. 

La Tahwra (révolution) libanaise n’est plus la fête urbaine aux tags poétiques et érudits de l’automne 2019. Elle s’inscrit aujourd’hui dans une douleur sourde, celle des ventres affamés des fellaghas du Chouf et de la Bekaa, celle d’une jeunesse qui ne rêve que de passeports canadien ou australien; celle d’un peuple qui ne veut plus rejouer le cirque confessionnel qui lui fut offert comme un hochet empoisonné depuis le Pacte National de 1943, revisité par les puissances sunnites régionales des Accords de Taëf en 1990.

Il est évident aujourd’hui que le système électoral et politique complexe basé sur le communautarisme a fait son temps. Si l’on peut craindre à juste titre un affaiblissement encore plus fort du rôle des Chrétiens au Liban, il ne faut pas oublier que le bilan de ce communautarisme issu du Pacte National n’apporta pas aux Chrétiens la prospérité tant les guerres, les crises, les exodes massifs et les divisions internes des clans chrétiens firent de cette communauté l’une des plus touchées par la crise actuelle.

La France peut donc être une force de proposition tant dans le besoin de réforme politique du pays, que pour apporter sa médiation entre les bailleurs de fonds du FMI (10 milliards sont demandés par Beyrouth).

Mais Paris ne pourra agir sereinement si les Libanais ne se débarrassent pas de leur caste de prébendiers pour proposer de nouvelles têtes, sans doute issues d’une élite technocratique expatriée, tels que le Dr Nasser Saïdi, ancien banquier central et directeur du Centre financier de Dubaï, le jeune Rashid Mikati à Abu Dhabi, et le jeune Samy Gémayel, président du parti Kataëb et petit-fils de son fondateur, issu de l’une des plus grandes familles féodales chrétienne maronite…et marié à une sunnite convertie. 

L’idée d’un état laïc faisant son chemin parmi la population, sa mise en place sera la première étape d’une longue et douloureuse réforme de fond pour la création d’un véritable Etat libanais fort, appelé de leurs vœux par les quelques « alliés » historiques que le Liban compte encore sur les doigts d’une main, mais aussi par un peuple libanais pourtant schizophrène. 

Premiers à dénoncer la corruption, les Libanais sont en effet de grands consommateurs du Wasta’ (réseau/corruption) qui leurs permettent d’avoir une place en école privée, un lit à l’hôpital, ou une « précieuse » plaque d’immatriculation à quatre chiffres…

Le chemin vers la construction d’un véritable Etat au Liban sera long et périlleux, tant le mandat français eut un goût inachevé. Il ne faut pas avoir peur des mots et l’on peut regretter que le Liban ne puisse de nouveau être mis sous mandat neutre et bienveillant, du moins pendant un temps. 

C’est ce que les Libanais veulent secrètement sans jamais l’avouer. Un mandat français est bien entendu impossible aujourd’hui. Un mandat de l’ONU n’aurait plus la même valeur ni la même efficacité qu’auparavant. Les règles du FMI sont strictes. L’Iran et ses alliés refuseront toujours d’abandonner leur nouveau pré-carré. Il faut donc un acteur fort et déterminé avec une vision de long-terme pour mettre Téhéran out, Riyadh down et les Européens in.

La position stratégique de Beyrouth et des ports de Tripoli et Saida pourrait créer la tentation, pour une administration américaine bien inspirée (rêvons un peu) de s’allier aux capitales européennes pour faire le ménage au Liban et aider les différentes composantes des peuples (au pluriel[1]) libanais à se fédérer de nouveau autour du plus petit commun dénominateur, à savoir un Etat de droit neutre et laïc à l’occasion d’un référendum organisé sous l’égide de l’ONU. 

Cent ans après la création du Grand Liban contre l’ancien Mont Liban, alors refuge des minorités chrétiennes aux frontières réduites et héritier d’un Sandjak de l’empire ottoman, il serait intéressant de savoir si les Libanais ont depuis été touchés par l’envie de créer un Etat fort, ou s’ils préfèrent se séparer dans des frontières plus adaptées aux désirs de chaque communauté et aux intérêts de Damas et d’Ankara.


[1] Cf Richard Haddad « Deux peuples ne font pas une Nation » Ed. Godefroy de Bouillon

 

* Ghislain de Castelbajac est membre du Conseil d’administration de Geopragma


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