Billet du lundi 15/06/2020 par Christopher Coonen*
L’Histoire repose par essence sur des faits : dès l’avènement des anciennes civilisations grecque, babylonienne, perse et romaine, l’esclavage en a fait intégralement partie. Il a été ensuite suivi par la Traite des Noirs du 17ème au 19ème siècle, dont les acteurs principaux furent européens. Nul ne le conteste. Mais nous assistons depuis plusieurs semaines à un révisionnisme planétaire de cette Histoire qui voudrait culpabiliser les Blancs contemporains et les autres détenteurs du « pouvoir » par rapport à des pratiques anciennes et caduques. Quitte à déboulonner des statues d’illustres chefs d’État tel Winston Churchill, ou à renommer rues et avenues par réaction épidermique et vengeresse, en jetant par la fenêtre ne serait-ce qu’un minimum de bon sens.
Tout a commencé avec la mort de Georges Floyd par étranglement aux États-Unis lors de son arrestation par quatre policiers blancs. La vidéo de son arrestation, relayée massivement sur les réseaux sociaux, a choqué le monde entier. De là est parti un mouvement mondial avec des défilés comportant des manifestants agenouillés, portant leurs poings fermés vers le ciel, comme si nous revivions la protestation visuellement très marquante des deux athlètes américains Tommie Smith et John Carlos aux Jeux Olympiques de Mexico en 1968, en plein mouvement des droits civiques aux États-Unis. Objectivement, la situation des afro-Américains a évolué de manière positive pour eux depuis lors, même si la ségrégation entre Blancs et Noirs y est encore très répandue dans de nombreux états américains, alors que la France est beaucoup plus assimilée et métissée. Les manifestations et certains contenus médiatiques contribuent malheureusement à tout un amalgame néfaste et contre-productif aux États-Unis, en Europe, et notamment en France à travers l’affaire Adama Traoré. Calquer en France l’affaire Floyd est donc complètement illogique, anachronique et permet juste l’instrumentalisation de ces deux cas par des groupes extrémistes qui recherchent un état de non-droit et l’anarchie.
Puisque l’Histoire repose sur des faits, examinons-les. Georges Floyd a connu plusieurs démêlés avec la justice pour des accusations de trafic de drogue et de vol à main armée. Le Département de la Justice américain a publié ses statistiques qui rapportaient, dans la période allant de 1980 à 2008, que les afro-Américains étaient responsables de 52,5% des homicides, alors que les Blancs étaient comptables de 45,3%, mais que la grande majorité des homicides avait affecté la communauté noire. On peut faire ici un triste parallèle avec le terrorisme islamique qui fait majoritairement des victimes musulmanes.
De ce côté-ci de l’Atlantique, la famille d’Adama Traoré, notamment ses frères et sœurs Bagui, Yacouba, Youssouf, et Serene, a été impliquée et condamnée dans de multiples délits, y compris pour l’incendie d’un bus et pour violences avec arme. Comment dès lors, peut-on sérieusement escamoter tous ces faits pour porter aux nues la cause noire et la lutte contre le racisme ?
Nous marchons véritablement sur la tête, à tel point que des gouverneurs et maires aux États-Unis, et le Ministre de l’Intérieur en France, ont ordonné l’arrêt du plaquage au sol lors de l’interpellation de voyous ! Lorsqu’il s’agit d’arrêter des délinquants, les forces de l’ordre doivent pouvoir utiliser tous leurs moyens pour les neutraliser et assurer leur mission première qui reste celle du maintien de l’ordre et de la protection des citoyens innocents. Après tout, c’est pour cela que nous appelons les policiers les forces (de maintien) de l’ordre et les gardiens de la paix.
Ce révisionnisme sans fondement est d’autant plus insupportable qu’il cherche à miner la reconnaissance, d’ailleurs toujours majoritaire dans la population, que la France doit à se forces de l’ordre, dernier rempart de l’ordre civil, en première ligne tous les jours, à toutes heures, pour protéger nos concitoyens et faire respecter la loi dans un contexte de plus en plus dangereux et dans une atmosphère délétère où l’idée même d’autorité parait complètement démonétisée politiquement. Aux États-Unis comme en France, les politiques, les « influenceurs » comme les médias, ignorent par complaisance ou autocensure cette différence de statut réduisant de fait la police à une « communauté » comme les autres qui affronterait en abusant de son pouvoir la communauté noire. Comme si l’on pouvait finalement mettre sur un pied d’égalité délinquants et policiers dans l’usage de la force. Cette équivalence implicite nourrit la délégitimation progressive des forces de l’ordre abondamment reliée par les médias sociaux et par incidence celle de l’autorité de l’Etat. Les grandes chaines de télévision ou de radio, publiques ou privées, ne questionnent plus les faits ni les messages, et encore moins les messagers, mais deviennent chaque jour d’avantage les simples relais officiels des spasmes sociétaux divers que portent les réseaux sociaux. Sans filtre analytique, sans recoupement bien souvent, sans mise en perspective.
Le racisme existe malheureusement partout dans le monde. Une infime minorité d’officiers de police peut parfois abuser de son pouvoir ou l’outrepasser contre des Noirs ou des Blancs qui ont en commun de contrevenir à la loi. On ne peut tolérer que l’on instrumentalise ces quelques écarts ou manquement pour jeter l’opprobre sur des personnels qui dans leur immense majorité exercent leur monopole de l’emploi de la force légitime avec discernement et proportion et assurent le respect de l’autorité étatique, et la permanence de nos institutions au bénéfice ultime de tous. Ces hommes et ces femmes ont joué un rôle premier lors des attentats terroristes sur notre territoire, et ont été très largement remerciés et applaudis. Cela rend d’autant plus inquiétants et impardonnables les récents propos de leur propre chef entre complaisance pour « l’émotion au-dessus de la Loi » et désaveu de ses troupes. On voudrait pousser à la guerre civile que l’on ne s’y prendrait pas autrement. Comme si l’Etat lui-même cherchait à hâter son propre effondrement. Comment expliquer à un bistrotier parisien qu’il ne peut toujours pas rouvrir son commerce alors que le samedi 13 juin, 15 000 manifestants peuvent eux se rassembler place de la République à Paris pour un défilé interdit mais toléré sous forme statique, en complète contravention de la Loi d’Urgence sanitaire et des précautions liées aux gestes barrières que l’on rabâche aux Français ordinaires depuis trois mois ? Les groupuscules extrémistes se servent de ce révisionnisme ambiant afin de déstabiliser nos institutions en créant un climat quasi-insurrectionnel et de guerre civile. Il devient urgent de retrouver une autorité de l’Etat sereinement assumée et bien comprise d’un journalisme éclairé et équilibré afin de mettre en juste lumière les faits.
C’est l’évidence même : ces événements qui semblent n’avoir qu’une portée « domestique » ont une résonnance géopolitique dans un contexte de crise des démocraties occidentales et d’affirmation de nouveaux modèles de puissance. Ce sont en effet, dans divers pays, les Etats eux-mêmes, leurs institutions, leurs frontières, leur volonté d’assurer une harmonie civile et d’imposer des normes de comportement qui sont clairement ciblés par ces hordes hurlantes et violentes. Cette vague déstabilisatrice entraine aussi des jeux de communication entre chefs d’Etat. Si un État n’est lui-même pas convaincu de la justesse de ses principes de gouvernance interne et accepte l’affaiblissement de ses institutions et l’insécurité de se concitoyens, comment peut-il prétendre légitimement se projeter efficacement militairement, économiquement, et culturellement à travers le monde ? Le Président Poutine, dans une interview sur la chaîne de télévision Rossiya 1 ce week-end, a jugé de façon critique les désordres causés par la mort de Floyd et les a reliés à la réponse de Washington à la pandémie de la COVID : « Les efforts liés au combat contre le coronavirus ont mis en lumière des problèmes plus larges (aux US). Alors que la Russie en sort progressivement avec des pertes minimales, cela n’est pas le cas aux États-Unis. »
Tolérer aujourd’hui que les citoyens du monde soient accusés ou pris en otage pour des faits qui remontent à des centaines d’années ou à de millénaires serait tomber dans un trou sans fin dénué de sens, sans possibilité d’action concrète et vecteur d’anarchie. Il serait judicieux de se focaliser sur les conditions d’une progressive harmonie raciale au lieu d’abreuver les divisions que le monde entier voudrait voir disparaître. Et pour cela, les Etats, leurs institutions et leur autorité assumée sont plus utiles que jamais.
*Christopher Coonen, Sécrétaire Général de Geopragma