Par Caroline Galactéros, présidente de Geopragma

Chers Adhérents et Amis de GEOPRAGMA, 

Chers Tous,

Dans quelques heures, une année nouvelle s’ouvrira sur une page dont la blancheur est déjà ternie par les objectifs, calculs et arrière-pensées de ceux qui fourbissent plus que jamais les armes de leurs vengeances absconses, ceux qui ne veulent pas que les temps changent, ni que l’apaisement enfin se fasse jour sur notre splendide et si malmenée planète.

Certes, tout n’est pas encore écrit de ce qui adviendra mais des lignes sont lancées, des tendances s’affirment, des contre-feux s’allument, des emballements dangereux se profilent. 

Faire le bilan exhaustif de 2023 n’aurait qu’un intérêt limité. On peut néanmoins sans grand risque, dire que 2024 devrait voir la consolidation des tendances observées cette année. Ce n’est pas une bonne nouvelle du point du vue de notre Occident plus que jamais enkysté dans sa pensée magique, ses prophéties autoréalisatrices et son raidissement face aux coups reçus de toutes parts. Des coups de boutoir venus de toutes les autres parties du monde, qui défient désormais sans inhibition un hégémonisme américain anachronique et un suivisme européen plus suicidaire encore. Car en Europe, nous sommes stratégiquement et diplomatiquement autistes et fiers de l’être. En France plus encore qu’ailleurs probablement. C’est tragique pour notre pays, mais personne n’est prêt à l’entendre, encore moins à en tirer des conclusions dynamiques et constructives. La France et les Français souffrent, mais nos gouvernants n’en ont cure et comme leurs homologues européens, croient encore pouvoir, à marche forcée, rétablir leur crédibilité et mettre au pas le reste du monde mais aussi leurs propres peuples, masses de « déplorables » récalcitrants qui ne comprennent rien à l’avenir fédéraliste radieux qu’ils leur préparent… Cela augure des surprises dans le scrutin européen à venir. 

Car face à l’absurdité et à la légèreté des décisions prises « en haut », « le bas » se rebiffe. Le bon sens se réveille. La folie de la guerre menée par l’Otan à la Russie aux dépens du malheureux peuple ukrainien mais aussi de la prospérité européenne elle-même, apparait en pleine lumière. Le fiasco militaire ukrainien et ses tombereaux de morts inutiles sacrifiés sur l’autel d’un anti-russisme pathologique devrait pourtant, à ce niveau de désastre, imposer l’urgence d’un cessez-le-feu, d’une négociation intelligente… tant qu’il y a quelque chose à sauver de la malheureuse Ukraine. Sans même parler de la sécurité européenne, en miettes, qui doit impérativement être refondée, même si l’objectif américain de séparation de la Russie de l’Europe a été atteint par Washington. Raison de plus me direz-vous. 

Mais ce serait trop simple. Pourquoi être logique, raisonnable, pragmatique ? L’OTAN fait comme si de rien n’était, et se prépare désormais à un assaut final frontal contre « le dictateur Poutine ». L’homme à abattre. La paix n’est pas au programme et l’on a bien l’intention à Washington comme à Bruxelles de poursuivre le harcèlement sécuritaire russe. Jusqu’à l’effondrement… et même si cela doit prendre des années. De toute façon, « à quelque chose malheur est bon » ! Pendant que l’Ukraine se meurt, le complexe militaro-industriel américain remplit ses carnets de commandes, la classe politique américaine se finance et s’enrichit outrancièrement, et l’Europe s’affaiblit économiquement et politiquement, tout en acceptant de payer pour que se poursuive la boucherie et que se construise ce nouveau rideau de fer entre l’Union européenne… et le reste de l’Eurasie, bien au-delà de la Russie. On veut faire entrer l’Ukraine dans l’UE en dépit de l’état de son économie, de son système politique. Pour la galerie ? Pas seulement ! Pour les garanties de sécurité liées à l’adhésion, qui font que les pays membres de l’UE et de l’Alliance lui devront assistance…

Bref, la diplomatie a déserté les chancelleries occidentales, l’analyse est présentée comme de la complaisance, l’intelligence de situation a vécu, le dialogue revient à souper avec le Diable. On est au niveau d’un film de Disney, avec le charme et la Happy end en moins. La Russie ne doit pas gagner et l’Ukraine exsangue ne peut perdre. Chouette alors ! La réalité, c’est que l’humiliation politique, militaire et économique vécue depuis deux ans et que l’on ne peut plus cacher à nos « populations » nous est insupportable. C’est la guerre, non la paix qui doit l’emporter, encore et toujours. La construction de l’ennemi systémique russe, sa diabolisation, tout cela rapporte trop pour être abandonné. 

Évidemment plus on creuse, plus on s’enfonce. La négociation n’est plus jugée crédible par Moscou, en position de force sur le terrain, tant la confiance a été brisée. Seul un changement de pied à Washington et le retour d’un Donald Trump pourrait laisser espérer un retour à la raison. Donc tout, absolument tout sera tenté pour l’empêcher de revenir au pouvoir. La Russie, elle, a compris qu’elle devait se préparer à une guerre d’usure qui à un moment donné pourrait impliquer des forces de l’OTAN sur le territoire ukrainien… sous uniforme local le cas échéant. Du côté d’Odessa, pourquoi pas. La folie d’un tel affrontement ne semble pas faire peur à nos stratèges de papier ou de plateau. Ce sont des idéologues. De grands inquisiteurs. Seules comptent les postures martiales …

Bref, on rêve éveillé, on essaie de déstabiliser l’ours russe en Serbie, en Biélorussie, en Moldavie, en Arménie, en Syrie, en Égypte et jusqu’en Inde. On attend qu’il fasse un faux pas qui justifierait la curée. On s’étouffe face au scrutin présidentiel de mars qui paraît couru d’avance. On essaie d’enrayer la formidable dynamique d’intégration eurasiatique, d’enfoncer un coin entre Russie et Inde, Russie et Chine, Russie et Brésil… sans succès. La dynamique est trop forte. Les chiens aboient, la caravane passe… L’intégration des BRICS suit son cours, les accords d’association se multiplient, la part des échanges en monnaies locales explose, les pays du Moyen-Orient comprennent qu’ils ont mieux à faire que de se déchirer éternellement. Bref, l’immense iceberg du « Sud collectif » prépare, lentement mais surement, son détachement du système international dit globalisé « fondé sur des règles » (occidentales évidemment et marquées par un double standard structurel) devenu insupportable à tous. 

Aussi, chaque jour qui passe voit s’étendre notre déconnexion d’avec une réalité internationale de plus en plus indocile, ambitieuse et déterminée à secouer le joug. 

Face à cette évidence nous ne connaissons qu’un seul mode de réaction : la fuite en avant dans l’ethnocentrisme, la rage et l’esprit de vengeance face aux pays qui osent nous résister. Nous creusons notre tombe avec entrain.

C’est aujourd’hui le Moyen-Orient qui concentre l’inquiétude occidentale mais aussi celle des puissances russe et chinoise. Un Moyen-Orient sur une ligne de crête extrêmement dangereuse depuis l’attaque du Hamas en Israël du 7 octobre dernier et la réponse ultraviolente et indiscriminée de l’État hébreu qui cherche à mettre le feu aux poudres à l’échelle de la région. Les attaques répétées des Houthis Yéménites contre certains bâtiments en mer Rouge les exposent désormais à des frappes (possiblement britanniques), les assassinats de chefs militaires iraniens annoncent des représailles lourdes de Téhéran, mettent à l’épreuve la « patience stratégique » russe, chinoise, iranienne. Tous ceux-là ont évidemment compris le piège de l’escalade régionale dans laquelle un pouvoir américain en échec en Europe face à Moscou et en panique politique au plan intérieur, pourrait bien vouloir les entrainer. 

2024 sera donc sanglante en bien des endroits du monde, ce qui me rend la tâche difficile pour vous exprimer des vœux de santé et de joie qui ne paraissent pas trop dérisoires face à un tel niveau de tragique. 

Je forme donc celui que la raison, le goût du dialogue, du respect, l’appétence pour la paix ou à tout le moins l’apaisement, réinvestissent les esprits et animent les ambitions de ceux qui président à nos destinées. 

Je souhaite à notre pays de sortir de l’ornière de discrédit et d’inutilité à laquelle il paraît désormais réduit. Tout est question d’état d’esprit et de volonté. 

Je souhaite enfin à chacun d’entre vous, outre la santé, des joies intimes renouvelées — les plus sûres sans doute —, et des succès divers, discrets ou éclatants. 

Caroline Galactéros, présidente de Geopragma

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7 comments

  1. Jerzy Jan Nizinski

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    Chère Présidente,
    Meilleurs vœux pour cette nouvelle année 2024.
    Merci beaucoup pour votre article roboratif et brillant.
    Félicitations pour votre initiative de mettre en place votre propre chaîne d’information.
    Bien à vous. Très cordialement
    JJNizinski

  2. Comte Dominique

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    Magnifique analyse de la géopolitique actuelle. Intelligente parce que réaliste. Mais Ô combien trop rare !
    Puissent les puissances invisibles vous entendre, pour le bien de notre humanité !

  3. Répondre

    merci pour cet article toujours a la pointe de vérités. bravo encore pour une telle clarté dans les propos vous êtes un génie Madame Galacteros. heureusement qu’il existe des cerveaux telle que le votre; peut-être qu’en viendra le salut: en attendant, je vous souhaite longue vie et bonne année 2024. cordialement.

  4. GOURRET

    Répondre

    Bonne année 2024 à votre édition en espérant que la compréhension et la paix revienne dans les pays en guerre. La tâche sera difficile mais pas insurmontable. BLOAVEZ MAD EVIT 2024.

  5. Florentin

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    Oui, oui, oui : c’est beau, quand la forme sert à ce point le fond, depuis l’oxymore génial…
    Votre style frise celui de Nietzsche philosophant avec un marteau !
    Avec vous, cela produit des étincelles de jubilation sur mon cœur, mon esprit, éveillant pour le coup dans mon âme un immense espoir pour l’Afrique dont je suis originaire, pour cette pauvre France mourante, servile de l’État profond via Washington, les chiens de garde médiatique et ces intellectuels de plateaux, des coulisses et des cabinets du pouvoir, qui semblent avoir fait des études pour fonder leur cynisme, etc., une intelligence au service du mal !
    Un bol d’air pour moi cet article : pour 2024, Mme, mes meilleurs vœux à vous et à votre équipe si éclairée, si éclairante… Vivement une relation apaisée, parce que respectueuse, entre la France et l’Afrique : fin des sucettes pour bébés de toutes sortes et vive les pataugas pour marcher droit, grandir, avoir une colonne vertébrale, devenir des adultes qui sachent bien vieillir !
    Heureuse année à vous.

  6. M RICARD

    Répondre

    La situation est assez désespérante en effet puisqu’aucun revirement de stratégie ne sera pas même envisagé par nos «  dirigeants ». Et pour cause, leur mandat terminé, ils espèrent tous un beau point de chute sous bannière américaine. On parle de l’OTAN pour von der Leyen ; peut-être Macron espère une grande banque US comme Barroso. Bref, rien à attendre d’eux et de tous ceux qui les suivent aveuglément pour une promotion professionnelle bien rétribuée ou une légion d’Honneur.
    Pourtant, je crois que vos écrits et vos interventions reçoivent un écho de plus en plus important mais vos lecteurs et vos auditeurs ont très peu de poids car vus comme d’affreux complotistes et presque aucun « dirigeant » européen ne vous écoute a priori ni même n’oserait confesser qu’ils l’ont fait.
    Ne serait-ce pas préférable finalement de faire traduire vos textes en russe et en chinois et de les adresser aux vrais dirigeants du Monde multipolaire ?..

    Bonne année également !

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