S’il est rarissime que la Chine présente officiellement ses excuses à un pays tiers, les adresser aux Etats-Unis dans le contexte actuel paraît d’autant plus étonnant. L’explication est sans doute à trouver dans l’absence de coordination au sommet de l’Etat chinois, l’un des quatre « U » caractérisants, d’après l’ancien Premier ministre Wen Jiabao, la situation du pays : « unstable, unbalanced, uncoordinated, and unsustainable ».
Car l’épopée du ballon « météorologique » chinois dans le ciel américain fait en réalité apparaître au grand jour le manque de cohésion de Pékin, dû à l’opposition toujours vivace entre deux Chine qui continuent de s’affronter, même après la tenue du XXe Congrès du parti communiste chinois. D’un côté, cette Chine du peuple sans doute le plus entrepreneurial au monde qui, tel un canard à qui l’on aurait coupé la tête tout au long de l’année 2022, se remet à courir comme un lapin dès janvier 2023 ; une Chine réenclenchant sa croissance économique avec une célérité surprenante, comme pour mieux tordre le cou au scepticisme des experts occidentaux ; une Chine emblématiquement représentée à Davos par le brillantissime ministre de l’Economie, Liu He, venu tenter, lors d’un dernier tour de piste avant son éviction du gouvernement, de convaincre l’Occident que le capital privé a encore une place dans le futur en Chine. De l’autre côté, la ligne dure du Parti, grande gagnante du XXe Congrès, rétive à tout compromis dans la lutte pour la désoccidentalisation du monde, prête à s’opposer à toute tentative de réchauffement, même passager, dans les relations avec les États-Unis.
Météo houleuse. Les « pleins pouvoirs » conférés récemment au Président Xi ne paraissent alors plus « sans limite », tel qu’on le perçoit en Occident. Sur sa droite, la contrainte économique s’est rappelée à son bon souvenir de manière vengeresse en décembre dernier ; la baisse de la consommation de pétrole en 2022 laissant envisager que le pays ait pu connaître une réelle contraction de PNB durant l’année, imposant le virage à 180 degrés de la fin de la politique du « zéro Covid ». Sur sa gauche, les partisans du « lénino-marxisme à caractéristiques chinoises » semblent avoir rapidement perdu patience en entendant le gouvernement promouvoir, à juste deux mois d’intervalle, la nécessité d’une politique pragmatique, à l’inverse de la propagande idéologique vantée lors du XXe Congrès.
Ce sont ces « vieux compagnons de route » qui, à travers un simple ballon au-dessus des Etats-Unis, certes militairement peu offensif mais symboliquement explosif, cherchent à tempérer notre enthousiasme face aux bienfaits de la reprise économique chinoise, laissant entrevoir un après-2023 beaucoup moins favorable.
Ce ballon aura donc bien moins renseigné la Chine sur les Etats-Unis sur le plan militaire – tel que le gouvernement américain l’a reconnu publiquement – qu’il n’aura renseigné politiquement l’Occident sur l’état de la Chine post-XXe Congrès. Les quatre « U » de Wen Jiabao ont bien survécu au « zéro Covid » et annoncent une météo houleuse pour cette seconde guerre froide entre les Etats-Unis et la Chine. Les tensions qui vont en résulter affecteront de plus en plus le quotidien des Européens.
Chevrotin
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