Billet d’humeur rédigé le 12 avril 2024 par Philippe Legrand pour Geopragma.
Un peu d’histoire récente
Le 1er février 2021, l’armée birmane a fait un coup d’Etat et renversé le gouvernement dirigé de facto par Madame Aung San Suu Kyi.
C’était le troisième coup d’Etat depuis l’indépendance après ceux du général Ne Win en 1962 et du général Saw Maung en 1988. Dans la même période, la Thaïlande voisine en a connu quinze, mais la comparaison doit être prudente, les circonstances et les motivations n’étant pas similaires.
En 2021, c’est le commandant en chef de l’armée le « senior » général Min Aung Hlaing qui a pris la décision de remercier le gouvernement, conformément à la constitution qui, a-t-il rappelé, prévoit ce type d’intervention de l’armée dans des conditions qu’elle ne précise toutefois pas clairement.
Le coup d’Etat de 1962 avait placé en première ligne le général Ne Win qui a dirigé le pays jusqu’en 1988 en instaurant un socialisme à la birmane, fondé sur des préceptes quasi-écolo-religieux qui ont résulté en une catastrophe économique pour le pays au moment où ses voisins entamaient un développement industriel qui les a largement sortis de la pauvreté, tandis que les Birmans s’enfonçaient dans une économie de la pénurie. La raison de l’intervention de l’armée en 1962 était d’une manière générale le délitement du régime du Premier ministre U Nu qui ne contrôlait plus rien et des menaces précises d’ambitions séparatistes des Shans, la principale minorité de l’est du pays.
Après le coup d’Etat du général Saw Maung de 1988, et le remplacement de ce général par le général Than Shwe en 1992, le pays a tenté d’aller vers une modernité capitaliste, a encouragé l’entreprise privée, mais s’est heurté aux sanctions et aux boycotts qui ont freiné les initiatives qui nécessitaient des capitaux privés et publics. Aung San Suu Kyi, alors égérie de l’Occident, avec ses soutiens américains et européens, a tout fait pour bloquer le pays, tandis que le régime lui rendait la vie difficile en l’assignant à résidence jusqu’en 2010. Than Shwe a finalement décidé de rendre le pouvoir à un gouvernement élu à la fin des années 2000, non à cause des sanctions, mais parce qu’il comprenait que le pays vivrait mieux et accessoirement qu’il était bon de ne pas se reposer exclusivement sur le grand voisin chinois, la seule des grandes puissances à soutenir son gouvernement.
Les dix années qui ont suivi représentent ce qu’on peut appeler une transition vers la démocratie, les cinq premières sous la direction du président Thein Sein, ancien numéro trois du régime militaire, qui a conduit beaucoup de réformes et resteront comme une période imparfaite mais excitante pour les Birmans qui retrouvaient goût aux projets et à une existence améliorée. Les cinq années suivantes, de 2016 à 2021 ont vu le pouvoir basculer vers l’opposition aux militaires avec la victoire aux élections de la National League for Democracy d’Aung San Suu Kyi. Le parti de Thein Sein et les militaires ont accepté de bonne grâce leur défaite, non sans arrières pensées sans doute, mais avec un formalisme que le monde a salué.
Au début de cette cohabitation entre le parti d’Aung San Suu Kyi et les militaires, lesquels conservent 25 % des sièges dans les parlements nationaux et régionaux, tout allait pour le mieux. Aung San Suu Kyi se rappelait qu’elle était la fille du général Aung San, en quelque sorte fondateur de l’armée moderne du Myanmar. L’économie n’allait pas trop mal. Le premier accroc fut le renouveau du conflit avec les Rohingyas en 2018, lorsque la faction armée de ceux-ci, l’Arakan Rohingya Salvation Army (ARSA) attaqua simultanément une trentaine de postes de police dans l’Etat aujourd’hui appelé Rakhine et anciennement, l’Arakan. La police, et l’armée (au Myanmar, la police est administrativement une division de l’armée) réagirent brutalement, supplées occasionnellement par des habitants originels de l’Etat Rakhine (habituellement des adversaires de l’ethnie principale birmane du pays, et donc de son armée) et qui sont les principales victimes de la présence croissante des Rohingyas, originaires du Bangladesh voisin, et à la croissance démographique étonnante (50 000 Rohingyas au Myanmar en 1945 et 2 000 000 en 2015). Aung San Suu Kyi a plus ou moins défendu l’action de l’armée, y compris au tribunal international de La Haye instrumentalisé par la communauté musulmane, mais d’une manière qui a fortement déplu aux chefs de l’armée.
Puis il y a eu des offensives multiples contre ce que l’armée représente encore, y compris ses intérêts commerciaux, usines de bière, cimenteries etc., avec la volonté claire de diminuer son pouvoir et son influence. D’où venaient ces offensives ? probablement pas d’Aung San Suu Kyi elle-même, mais plutôt d’une partie de la mouvance qui la soutient et dont l’agenda n’est pas la bonne gouvernance du pays, mais des objectifs plus idéologiques. Quels appuis étrangers venaient alimenter ce mouvement ? Difficile à dire. Mais on note que la fondation de George Soros, ouvrait ses bureaux à Yangon. La guerre était donc déclarée et l’armée s’est sentie agressée.
Les élections de 2021 arrivaient et la NLD, parti d’Aung San Suu Kyi, voulait assurer sa suprématie. Nous étions en plein covid, mais la NLD tenait ses meetings sans contraintes, contrairement aux autres partis qui pour la plupart demandaient un report des élections, ce que l’armée préconisait également. En novembre, les élections se tinrent néanmoins, avec la nette victoire de la NLD. Les partis concurrents notaient de nombreuses irrégularités, non lors du déroulement convenable du vote lui-même, ce qu’ont souligné les observateurs, mais à propos des listes électorales, avec des personnes inscrites deux ou trois fois, et qui ont, pour certaines voté deux ou trois fois. On a cité le chiffre de 11 millions de fraudes de ce type, ce qui, si c’est avéré, est un volume qui ne peut pas être négligé. L’armée a alors demandé un report de l’intronisation de nouveau parlement élu et n’aurait reçu aucune réponse du gouvernement.
Une prise de pouvoir presque constitutionnelle
L’armée avait répété qu’elle ne ferait pas de coup d’Etat. C’était jouer sur les mots, car la constitution de 2008 prévoit en effet, que dans des circonstances exceptionnelles, mais pas très bien précisées, l’armée peut assurer la conduite de l’Etat, ce qu’elle a donc décidé de faire le 1er février 2021.
Il s’agissait pour elle de mettre fin aux pressions exercées contre elle par diverses organisations comme Justice For Myanmar, aux efforts de réduire son activité économique, ainsi qu’à assainir le système électoral. Il ne s’agissait en aucun cas de mener une révolution dans la politique générale de l’Etat, comme l’avait fait Ne Win au début des années 60 qui avait instauré un système étatique quasi communiste, s’il en refusait toutefois le terme, et comme l’avait fait le « State Law and Order Restauration Council » (SLORC), à partir de 1988 qui a peu à peu délaissé le système socialiste pour revenir à l’économie de marché.
Depuis le coup de 2021, les politiques économique, sociale, industrielle, commerciale, en vigueur, n’ont subi aucune modification. Les hauts fonctionnaires qui en étaient chargés ont été invités à continuer et certains sont devenus ministres, comme le très respecté Aung Naing Oo.
Les premiers jours, et l’auteur en a été le témoin étant à Yangon à ce moment-là, voyaient des manifestations de jeunes arborant des tee shirts uniformes assis par terre et criant des slogans sous l’œil débonnaire de la police. L’armée était invisible. Le soir, à huit heures un concert de casseroles éclatait un peu partout pendant un quart d’heure. Les militaires espéraient que tout ça se calmerait assez vite et essayaient d’ailleurs de dialoguer avec les responsables évincés.
Les choses se sont envenimées, sous l’effet de deux facteurs sans doute assez classiques et prévisibles : les opposants ne voulaient pas d’un apaisement, d’une part, les autorités militaires perdaient patience, d’autre part. Sous le jeu des provocations, des erreurs et de l’énervement, les premiers décès ont été enregistrés et ont figé les positions.
Les réactions internationales
Dès le début de l’opération, les réactions internationales ont été conformes aux stéréotypes que l’on pouvait attendre. Le camp occidental a condamné le coup d’Etat, exigé la libération « immédiate » des anciens dirigeants, en premier lieu Aung San Suu Kyi, et demandé le respect du résultat des élections qu’il a jugées crédibles. Certaines ambassades, dont la nôtre, se sont montrées à la pointe d’un activisme politique destiné à soutenir la démocratie.
Le reste du monde, et notamment les pays d’Asie ont pris acte, fait très peu de déclarations mais ont agi localement pour analyser les conséquences, notamment pour leurs ressortissants, le commerce bilatéral et d’une manière générale les intérêts de leurs pays.
La différence de réaction illustre la différence de conception des relations internationales et de la diplomatie, en tous cas, telles qu’elles sont conçues et pratiquées dans les temps modernes. L’occident se considère comme chargé d’une mission de civilisation fondée sur les droits de l’homme, la démocratie et l’Etat de droit, tandis que beaucoup de pays, notamment en Asie, se fondent sur la non-ingérence, les négociations discrètes et en fin de compte leurs propres intérêts.
Il faut mentionner une petite discordance au sein de l’ASEAN, avec les pays musulmans, Indonésie et Malaisie plus exigeants à l’égard des militaires, (on retrouve là la question des Rohingyas), Singapour arrogant en façade, mais en fin de compte enclin au « business as usual ». Quant au Cambodge de Hun Sen, il s’est distingué par une fermeté inhabituelle à l’encontre des militaires birmans. Il est vrai que Hun Sen avait trouvé là une occasion de prétendre s’afficher du côté de la démocratie, sachant qu’il est souvent accusé de ne pas la pratiquer véritablement. Les Chinois n’ont jamais coupé quelque pont que ce soit, les Indiens non plus. Quant aux Russes, assez peu actifs historiquement au Myanmar, ils ont saisi l’occasion pour marquer quelques points diplomatiques et commerciaux.
Pour la petite histoire, le mot démocratie n’existait pas en langue birmane, il a fallu créer un mot ad hoc, copié phonétiquement de l’anglais et pourrait s’écrire avec nos lettres « dé mo ka ya si ». Cette anecdote illustre le peu d’intérêt des Birmans pour le concept, alors même que leur histoire est d’une grande richesse.
Les organisations contre l’armée
L’opposition aux militaires se forme autour de plusieurs organisations, le « National Unity Government (NUG) », qui essaiera de fonctionner comme un gouvernement de l’ombre ou en exil, avec beaucoup de gesticulations et peu de crédibilité en essayant de se faire considérer comme le vrai gouvernement du pays, à l’instar de l’ambassadeur du Myanmar à l’ONU qui n’a pas démissionné comme certains de ses collègues fondamentalement opposés aux militaires et a continué de représenter son pays au grand dam des nouvelles autorités.
La seconde organisation, politique également, est le « Committee Representing Pyidaunsu Hluttaw (CRPH), Pyidaungsu Hluttaw étant le nom de la chambre basse, sensée conserver les députés élus autour d’un semblant de parlement. Mais ses membres s’étaient dispersés et on n’en entend plus parler.
Enfin, la troisième organisation, armée, celle-là est la « People’s Defense Force (PDF) », chaîne plus ou moins organisée qui a conduit les assassinats et les attentats comme mentionnés par ailleurs. Ses méthodes ont été particulièrement controversées, y compris parmi les sympathisants opposés à l’armée. Certains de ses membres se comportent en mercenaires, comme cela a été probablement le cas lors des attaques contre les intérêts chinois dans une zone industrielle près de Yangon, qui semblent avoir été commandées et rémunérés, par des sources étrangères non encore identifiées.
Certaines rébellions ethniques ont en outre saisi l’opportunité de reprendre des actions armées tentant de profiter des quelques financements que les PDF pouvaient sécuriser.
Où en est-on au début de 2024 ?
Sur le plan sécuritaire, des confrontations armées se produisent dans diverses régions, le nord-est notamment, ainsi que la région de Sagaing, dans le centre-nord ; ailleurs, c’est plus sporadique. L’opposition a réduit ses actions de terrorisme et d’assassinats, près de 10 000 selon le gouvernement, qui, outre les personnels en uniforme, ciblaient des civils, professeurs refusant de faire grève, indicateurs (avérés ou non), personnes prises au hasard (plus de 100 enfants), des moines et des professionnels de la santé qui ne voulaient pas s’arrêter de travailler. Ces assassinats devenaient par trop impopulaires.
La presse parallèle et les réseaux sociaux accusent régulièrement l’armée de commettre des exactions. Le gouvernement a pris parti, depuis peu, de réfuter ces accusations qu’il considère mensongères. Le public n’a aucun moyen de vérifier.
La situation économique n’est pas bonne sans être catastrophique. Le commerce extérieur, qui connaissait auparavant un quasi-équilibre voit maintenant un déficit d’environ 10 % qui peine à être compensé par d’autres entrées de devises comme le tourisme qui demeure très hésitant. La monnaie locale, le kyat, s’est dépréciée au point de ne plus valoir que le tiers de sa parité en dollars d’avant le coup. Cela s’est traduit mécaniquement par une inflation de l’ordre de 10 % annuellement. Le gouvernement a mis en place des restrictions sur l’usage des devises, notamment celles obtenues par les exportateurs, mais relaxe actuellement ces dispositions, le cap a été visiblement pris de laisser fonctionner le marché, quitte à voir la parité du kyat s’enfoncer de nouveau. Mais ce n’est pas le cas pour le moment, son taux de change étant proche de 3 700 pour un dollar, alors qu’il avait atteint 4 000 en août 2023.
Comme les institutions internationales ne sont plus autorisées à prêter et que les réserves de change (au demeurant assez modestes) ont été gelées par quelques-uns des Etats qui les détenaient, il y a peu d’opportunités de respiration. On ne sait pas si les Chinois ou les Russes ont octroyé quelques facilités ou non. L’équilibre des finances extérieures demeure précaire malgré une tenue correcte des principaux postes des exportations que sont certains produits agricoles exportés principalement vers l’Inde et la Chine, les produits de la confection, le gaz, tous en légère baisse néanmoins.
De nombreux Birmans semblent avoir fait des acquisitions immobilières en Thaïlande, les Birmans formeraient d’ailleurs en ce moment, selon une source, le troisième pays acquéreur à Bangkok. Ce mouvement financier suppose une demande de bahts thaïlandais qui ne peut que se traduire en une pression à la baisse du taux de change du kyat. L’immobilier à Bangkok, sur construit ces dernières années, n’est pas hors de prix, mais comme les copropriétés ne sont pas occupées suffisamment, quelques déboires pourraient advenir sur la question des charges.
L’emploi ne semble pas trop affecté mais la fourniture erratique d’énergie électrique est un handicap usuel, à la fois à cause d’une capacité de production notoirement insuffisante et des quelques sabotages des opposants politiques qui affectent aussi certains moyens de transport, trains et ponts en particulier.
La vie quotidienne ne suggère aujourd’hui pas que l’on vive sous une dictature sanglante, même si, il y a un peu plus d’un an, le pouvoir avait fait exécuter quatre dissidents. L’armée est invisible, la police fait principalement de la circulation et empoche des amendes qui ne finiront pas au Trésor Public. Il y a quelques chicanes devant les écoles et certains bâtiments public, afin de ne pas encourager les tirs d’armes automatiques de véhicules comme certains dissidents l’avait fait, mais chacun vaque à ses occupations sans trop sembler préoccupé par l’évolution politique.
Les jeunes sont toutefois un peu en émoi, le gouvernement venant d’annoncer qu’il allait mettre en vigueur une loi existante sur un service militaire, ce qui démontre la fragilité de l’armée, surtout en matière de technologie puisque ce seraient les professionnels de la haute technologie qui seraient ciblés en premier.
Quelles perspectives politiques ?
Il y a trois forces politiques en présence ou plutôt trois groupes de forces politiques. Le premier, autour de la NLD d’Aung San Suu Ky recueille la moitié des votes, le second autour du parti USDP, proche des militaires, fait un quart des votes, le dernier quart est éparpillé entre les différentes et multiples formations politiques ethniques, shan, karen, rakhine (arakanais) etc. Mais avec le système électoral calqué sur le britannique, à un tour, qui élit le premier, « first past the post », la NLD récupère 90 % des sièges, l’USDP, 10 % et les ethniques trop divisés, presque rien.
La grande erreur des concepteurs de la constitution de 2008 a été d’adopter ce système, sachant que, comme pour le moment, 25 % des sièges des parlements sont réservés à des militaires nommés par l’armée, la NLD dispose au parlement de (90 % x 75 %), soit environ les deux tiers des sièges alors qu’elle ne recueille que la moitié des votes.
Outre le nettoyage des listes électorales, les militaires au pouvoir vont vraisemblablement modifier le système électoral et passer à la proportionnelle. Si comme on peut le penser, la répartition des votes varie peu, l’USDP, avec 25 % des votes aura 25 % des élus, soit 19% des sièges qui viendront s’ajouter au 25 % des militaires nommés, soit 44 % des sièges totaux du parlement. Il suffira alors d’aller offrir quelques perspectives à certains des élus ethniques, qui auront désormais des sièges, pour obtenir une majorité. Ces calculs semblent un peu alambiqués, mais c’est probablement ceux que fait le pouvoir actuel.
L’état des forces en présence pourrait aussi évoluer : la NLD était une agrégation de personnes et d’idées assez disparates, formée d’anciens communistes, des progressistes et des socialistes, qui avaient en point commun un rejet de l’armée et la présence de la personnalité iconique qu’est Aung San Suu Kyi. Son âge approche les 80 ans et elle a perdu de son aura pendant ses cinq années de pouvoir peu convaincantes. En d’autres termes, si elle était une combattante pour la démocratie, elle ne savait plus trop quoi faire une fois aux manettes. Le parti va-t-il se diviser en de multiples tendances, comme ce qui s’était passé dans les années 1950 ? Il est difficile de faire trop de prévisions. De son côté, l’USDP, s’il a la faveur globale des conservateurs, manque de figures charismatiques. L’ancien président Thein Sein est certes respecté, mais il a aussi près de 80 ans et ne semble plus vouloir s’impliquer dans la politique. Le chef du parti est désormais Khin Yi, ancien chef de la police dans les années 2000 puis ministre de l’Immigration et de la Population, personnage décent mais sans charisme. Quant aux ethniques, rien n’indique qu’ils seront désormais capables de positions unifiées et rien n’indique d’ailleurs que les populations des zones ethniques voteront massivement pour eux, comme on a pu le sentir lors des dernières élections.
Conclusion
On fera le bilan le jour venu de ces événements. On peut déjà retenir quelques lignes de force, parmi lesquelles
- L’armée ne peut pas être ignorée ni méprisée dans ce pays, quelles que soient les positions politiques et les idéologies. Ce sera sans doute le cas tant que les conflits ethniques n’auront pas été résolus. Si l’armée du Myanmar n’a depuis très longtemps mené aucune bataille avec ses voisins, c’est bien un ennemi intérieur qu’elle combat. Tout pouvoir civil qui s’aviserait de vouloir négocier avec les ethnies sans mettre en première ligne l’armée et ses points de vue, irait vers un échec.
- L’armée reçoit des budgets de l’Etat, non négligeables, mais insuffisants pour assurer le train de vie de ses personnels et son équipement. Elle dispose d’avoirs industriels et surtout immobiliers qui compensent ses faibles dotations budgétaires. Le pouvoir civil doit respecter cette intrusion des militaires dans la vie économique. Ils sont généralement assez bien disposés à respecter les règles de droit qui régissent les activités économiques, pour autant qu’on ne cherchera pas à réduire leur patrimoine.
- L’armée n’est pas une caste fermée et beaucoup de familles birmanes ont des parents qui y sont employés. Elle est encore trop peu ouverte aux ethnies, qu’elle utilise plus volontiers comme milices amies et pas encore intégrées dans les rangs réguliers.
- La population au sens large, malgré une frange croissante souvent jeune et généralement urbaine imprégnée par les idées de gouvernance occidentale et tournée vers les méthodes démocratiques, est assez peu mobilisable pour des combats idéologiques. Les notions de droite, de gauche, de libéralisme ou de socialisme sont assez abstraites. Les gouvernements qui seront acceptés sont ceux qui seront raisonnables, quelle que soit la manière par laquelle ils ont accédé au pouvoir.
- Le sentiment nationaliste est fort. Il tend parfois vers la xénophobie et en tous cas un certain protectionniste. Les Anglais en avaient fait les frais lorsqu’ils ont déposé le dernier roi du Myanmar, Thibaw, brutal, erratique et incompétent, croyant que les Birmans allaient se féliciter d’avoir enfin une gouvernance de qualité. De fait, les Birmans n’ont jamais accepté la colonisation, ont fini par s’en débarrasser avec beaucoup d’amertume. A l’indépendance, ils ne sont jamais entrés dans le Commonwealth et plus tard, ont décidé qu’on roulerait à droite et qu’on changerait le nom de « Burma », que les Britanniques leur avaient imposé, en « Myanmar ».
L’interventionnisme de l’Occident s’est traduit par des sanctions économiques qui appauvrissent la population sans impressionner les dirigeants militaires, par un appui plus ou moins déguisé aux actions armées des opposants, qui contribuent aux assassinats, aux destructions d’équipements. L’ingérence se traduira peut-être par un retard du retour à un système parlementaire. Que des jeunes birmans romantiques et convaincus par les idéologies progressistes souhaitent ces ingérences est une grande et ancienne constante de l’Asie du Sud-Est où les ambitions politiques recherchaient systématiquement l’intervention étrangère.
Ce que l’on peut espérer pour ce pays est une plage de stabilité durable qui rassurera les investisseurs, et des gouvernants qui reprendront un dialogue avec les rébellions ethniques. Il faudra pour cela que les diplomaties et les services occidentaux s’en mêlent le moins possible.