Billet du lundi 08 septembre 2025 rédigé par Caroline Galacteros, Présidente de Geopragma.
Même le ou la plus intellectuellement intransigeant (e) des géopoliticiens réalistes (qui ne sont pas légion) conserve secrètement une once d’espoir sur la marche du monde et la nature des hommes. Ce biais idéaliste modère et même parfois altère un peu la lucidité de son analyse chirurgicale, la colorant d’un voile d’espoir. Et si le pire n’était pas sûr ? Et si l’ultra cynisme et le goût pour la violence et l’injustice radicale n’étaient pas une fatalité ? Et si les peuples comptaient aux yeux de leurs dirigeants ? Et si certains acteurs de poids sur la scène internationale souhaitaient enfin autre chose que des victoires par soumission totale, et qu’ils recherchaient des formes de cohabitation et de rivalité moins sanglantes ? Et si Donald Trump voulait réellement la paix en Ukraine ? Et si Vladimir Poutine souhaitait juste mettre son pays à l’abri des bases de missiles de l’OTAN à ses frontières et en finir avec cette dispendieuse opération militaire spéciale ? Et si l’UE comprenait, sans pouvoir encore l’admettre publiquement, qu’elle a tout à perdre à jouer la haine et la vengeance contre Moscou et ses puissants alliés d’Eurasie ?
Je ne parle évidemment pas ici des dirigeants dont tous les efforts sont tournés vers l’ultra violence radicale, la destruction par le feu de toute récalcitrance humaine à leur soif de prédation et de domination territoriale et politique. Suivez mon regard… Ceux-là ont un trou béant à la place du cœur depuis trop longtemps. Un trou dont les bords sont racornis et les parois ne se rapprocheront plus. Leur guérison est impossible. Il faut que le reste du monde les empêche de nuire ou accepte sa complicité muette et veule devant l’innommable. Même cela parait pourtant impossible face à la puissance des intérêts ligués pour faire le Mal en toute conscience, permettre le pire et faire taire les voix dissidentes qui pourtant forment cohorte de plus en plus massive devant l’inacceptable. Car il reste encore d’innombrables humains humains. Qui hurlent leur dégout et leur peur, qui dénoncent les amalgames odieux et destructeurs. Ce sont les « Justes » de notre sinistre époque. Les courageux de tout acabit qui donnent de la voix et sont pour cela menacés, « invisibilisés » ou carrément éliminés. La prochaine Assemblée générale des Nations Unies sera à cet égard décisive… si elle se tient à Genève, car à New York, la délégation palestinienne n’y sera pas représentée. Scandale ultime permis par la Maison Blanche. L’effacement total est promis à tout un peuple. Effacement concret, effacement symbolique. Indifférence générale. Si rien n’est fait à haut niveau pour arrêter l’horreur et contourner les pressions et les intimidations, alors il faudra bien reconnaitre notre complète faillite morale collective.
La seule consolation est que ce scandale et le total mépris du droit international qu’il manifeste, n’aideront pas à la perpétuation de l’ordre ancien occidentalo-centré que veulent tous ceux qui croient encore pouvoir l’emporter par la brutalité et l’injustice. Tout au contraire. Cela va formidablement renforcer la « récalcitrance ». Un vilain mot pour une bien belle chose. Car la bascule du monde, que j’annonce depuis plus de 10 ans maintenant, vient de connaitre une nouvelle accélération puissante avec le sommet de Tianjin de l’Organisation pour la Coopération de Shanghai puis les célébrations grandioses de la fin de la deuxième guerre mondiale et de la victoire contre le Japon à Pékin voici quelques jours. Cette séquence a vu s’affirmer la réconciliation entre la Chine et l’Inde (qui devrait nous réjouir !), se renforcer le trio que forment ces deux puissances avec la Russie et la cohorte nombreuse des pays qui saluent cette alternative conquérante porteuse de multipolarité et d’équité. Sans même parler du gigantesque accord énergétique entre Moscou et Pékin qui, par le gazoduc « Power of Siberia 2 », va durablement assurer la croissance chinoise et condamner celle de l’Europe. L’Europe qui sort de l’Histoire mais ne semble toujours pas s’en rendre compte…
L’accord était si j’ose dire « dans les tuyaux » depuis longtemps, mais Vladimir Poutine retardait sa signature formelle, laissant probablement encore une chance à la restauration d’une relation américano-russe normale et à un déblocage consécutif du bourbier ukrainien. Peut-être était-il lui aussi, le grand politique et stratège, trop optimiste une fois encore, voulant donner à D. Trump une chance de faire taire les chiens de guerre qui l’environnent et les jappements de leurs versions européennes réduites et pathétiques. C’est là qu’il ne fallait pas rêver sans doute. Trump lui, misait, via les entretiens Witkoff-Dmitriev, sur un grand « deal » énergétique avec Poutine qui offrirait à la Russie l’occasion d’équilibrer sa dépendance économique à la Chine et de se montrer conciliante sur le dossier ukrainien. C’était être trop gourmand et surtout ne décidément rien comprendre à la réalité des préoccupations sécuritaires russes qui ont conduit V.V Poutine à prendre le risque de l’affrontement armé en février 2022. En outre, la guerre douanière d’un autre âge du président américain et sa tendance à toujours préférer le bâton à la carotte et à s’imaginer puérilement pouvoir impunément menacer des puissances telles que la Chine, l’Inde ou la Russie, sont pleinement responsables de son triple fiasco stratégique : rapprochement sino-indien, consolidation russo-chinoise et raidissement russe en Ukraine. Trois mouvements qui le défient désormais ouvertement, sans parler du fait que la Chine (et la Russie) prend la main dans la proposition des grands principes d’une nouvelle gouvernance mondiale, façon de coaliser derrière elle et pour l’avenir, nombre d’États en mal de respect et d’équité. Une sorte d’ONU-bis prend corps sous nos yeux impuissants mais coupables.
L’Occident se suicide moralement et politiquement en ne voulant pas comprendre et maitriser ces évolutions. Sans respect ni dialogue, rien ne peut s’améliorer. Le raidissement russe en Ukraine, après les espoirs liés au retour de Donald Trump aux affaires, traduit la reconnaissance par Moscou qu’en dépit de la probable volonté pragmatique du président américain de rechercher un accord global avec la Russie, la puissance des intérêts coalisés de tous ceux qui veulent la poursuite de la guerre l’emporte, en tout cas pour l’instant. Moscou devra donc démontrer sa victoire sur le terrain, ce qui évidemment est une très mauvaise nouvelle pour la population ukrainienne prisonnière d’un pouvoir qui ne pense qu’à survivre et s’enrichir sur la dépouille de ses soldats. Sauf miracle, l’Ukraine sera très probablement sacrifiée sans scrupules non par la Russie, mais par ses propres marionnettistes ivres de convoitise pour les richesses russes et plus encore fous de rage face à cet État, ce pouvoir et ce peuple qui ont relevé la tête, leur tiennent la dragée haute et font des émules.
L’hégémonie occidentale -morale, politique et économique- est bel et bien morte. Notre arrogance, notre indécence et surtout nos actes nous ont perdus pour très longtemps aux yeux des peuples du monde. Le drame palestinien nous enveloppe chaque jour plus étroitement d’un discrédit moral colossal, toge sanglante dont nous aurons le plus grand mal à nous débarrasser. Et de nouveaux champions entrainent États et peuples vers la restauration d’un modèle de relations et de développement moins inique et plus digne.
Pour le coup je ne crois pas en disant cela me montrer optimiste, mais tristement lucide.
Pierre Hougardy
pat
Vladimir Tchernine
Hugues Sumac
Igor