Article rédigé par Maurice-Yves Oberreiner et Gerard Chesnel*
Comme le veau d’or, la Chine, malmenée par la crise du coronavirus née sur son propre sol, est toujours debout, et plus agressive que jamais. La réunion annuelle de l’Assemblée Nationale Populaire, qui vient de s’achever, a été l’occasion pour elle de contre-attaquer sur deux de ses terrains de prédilection : le statut de Hong Kong et celui de Taiwan.
A Hong Kong, la situation, qui était devenue pendant un temps quasiment incontrôlable, s’était calmée avec le retrait du projet de loi sur l’extradition et surtout avec l’interdiction des rassemblements en liaison avec la pandémie de coronavirus. Mais le problème de l’autonomie de la Région Administrative Spéciale (S.A.R.) n’était pas réglé pour autant et les troubles pouvaient renaître à tout moment. Avec l’adoption, le 28 mai, de la nouvelle loi sur la Sécurité Nationale, c’est chose faite. Cette loi remet en effet entre les mains de Pékin la responsabilité du maintien de l’ordre dans la S.A.R. et déclare notamment « criminels » les actes et activités liés à la sécession, à la subversion, au terrorisme et aux agissements de forces étrangères présentes à Hong Kong, chacun de ces « actes criminels » donnant, au demeurant, lieu à interprétation. Ainsi la « rule of law » héritée de l’ère britannique fera place à la règle du Parti.
Pékin a, dans cette affaire, tiré argument du fait que le gouvernement de Hong Kong n’avait pas été capable, depuis le retour à la Chine en 1997, de mettre en œuvre l’article 23 de la Loi Fondamentale (i.e. la Constitution) l’obligeant à promulguer sa propre loi sur la sécurité. Une première ébauche avait été présentée en 2003 mais jugée par une majorité de la population comme liberticide. Ce que Pékin propose (impose) aujourd’hui va encore plus loin et on peut dire qu’à force de procrastiner les Hongkongais, qui avaient laissé le problème en suspens depuis dix-sept ans, ont tendu à la Chine une perche que celle-ci n’a pas manqué de saisir.
Pourquoi la Chine a-t-elle ainsi pris le risque de faire repartir les protestations et l’instabilité ? Il lui fallait bien, de toute manière, restaurer son autorité qui avait été bafouée depuis plusieurs années. La non-application de l’article 23 lui a fourni le prétexte qu’elle cherchait, tout en profitant du contexte national (nécessité de donner des gages à son opinion publique) et international (la pandémie). Et pour les Hongkongais, les choses risquent d’aller de mal en pis. Le statut dont ils jouissent est provisoire puisqu’en principe la S.A.R. doit être intégrée dans le territoire de la République Populaire en 2047 et l’on pourrait certes imaginer une évolution lente qui avec le temps permettrait d’égaliser les législations et les modes de vie de Hong Kong et de la RPC. Mais ceux qui, en Grande-Bretagne ou ailleurs, lorsque fut signé le traité sino-britannique de 1984 sur le retour de Hong Kong à la mère-patrie, avaient misé sur une évolution de la Chine vers plus de démocratie, avaient sans doute fait preuve d’un excès d’optimisme. La Chine de Xi Jinping ne semble pas, en effet, partir dans cette direction. Qu’en sera-t-il dans vingt-sept ans ? Rien ne devrait nous inciter à un optimisme béat.
Les Hongkongais, dans cette affaire, ont tendance à reprocher aux Occidentaux la mollesse de leurs réactions. La Grande-Bretagne en particulier, qui devrait pourtant se sentir concernée au premier chef, n’a jusqu’à présent émis que quelques timides protestations. Ce n’est pas le cas des Etats-Unis, qui ont voté, le 10 octobre dernier, le « Hong Kong Human Rights and Democracy Act » par lequel ils s’arrogent le droit d’évaluer la situation de la démocratie et des droits de l’Homme dans le territoire et, éventuellement, si celle-ci n’est pas jugée satisfaisante, de prendre des sanctions. Mais c’est là une arme à double tranchant car si Hong Kong, par exemple, devait perdre son statut de place financière internationale, beaucoup d’entreprises américaines, et non des moindres, seraient les premières à en pâtir.
Que doivent donc faire les Hongkongais ? L’alternative est simple : se soumettre ou partir chercher fortune dans des pays, comme le Canada, où d’importantes communautés chinoises pourraient les aider à se réinstaller, les Cantonais constituant une des composantes les plus importantes des « hua qiao » (Chinois d’Outre-mer). Ou même tenter leur chance à Taiwan, où certains responsables des manifestations de l’an dernier se sont déjà réfugiés. Perspectives sans doute peu réjouissantes mais leur sort n’était-il pas déjà inéluctablement réglé depuis l’accord de 1984 ?
Mais Taiwan connaît ses propres problèmes et subit ses propres menaces. C’est ainsi que, dans le rapport annuel présenté par le gouvernement chinois à l’Assemblée Nationale Populaire la semaine dernière, la mention de « réunification pacifique » de la patrie a, pour la première fois depuis le consensus de 1992, été omise. Le Premier ministre Li Keqiang a mentionné d’éventuelles « activités séparatistes visant à l’indépendance de Taiwan » et souligné que Pékin s’y opposerait résolument. Il ne pouvait, de toute façon, pas dire autre chose mais cette expression sonne également comme un avertissement pour Hong Kong.
Les dernières déclarations de la présidente taïwanaise, Tsai Ing-wen, selon lesquelles le consensus de 1992 ne servirait jamais de base aux relations entre les deux rives du détroit, n’ont rien fait pour arranger les choses. Aussi bien, l’absence du mot « paix » dans le rapport de Li Keqiang peut signifier que Pékin envisage la réunification de la patrie par la force autant que par des moyens pacifiques.
Et les Etats-Unis, bien entendu, attisent la discorde. Le Secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, a chaudement félicité Tsai Ing-wen à l’occasion de l’inauguration de son second mandat présidentiel, le 20 mai. Et Washington a annoncé en juillet dernier la vente à Taipei de 108 chars de combat M1A2 Abrams et de 250 lance-missiles sol-air Stinger, pour un montant total de 2,8 Milliards de dollars. La France, quant à elle, emboîtant le pas à Washington, a déclaré qu’elle allait moderniser le système de lanceurs de leurres Dagaie MK2 équipant les six frégates La Fayette qu’elle avait vendues en 1990.
Tous ces événements se situent dans le contexte des relations de plus en plus détestables qu’entretiennent Pékin et Washington depuis l’arrivée de Trump au pouvoir, aggravées encore par les accusations du Président américain rendant la Chine responsable de la pandémie de COVID 19. L’escalade verbale se poursuit : le Ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, en est venu à parler de « virus politique » et à faire référence à la guerre froide.
A l’heure qu’il est, tout le monde campe sur ses positions et rassemble ses forces. Washington vient de rappeler Londres à l’ordre à propos de l’ouverture de son réseau 5G à Huawei : cela pourrait avoir des conséquences sur le futur traité commercial américano-britannique, essentiel pour le Royaume-Uni depuis le Brexit. La guerre est bel et bien engagée et elle n’est pas si froide que ça. Qui, du panda ou du pygargue à tête blanche, l’emportera ? On ne le saura pas avant plusieurs années. Mais rappelons-nous que la Chine, avec ses 5 000 ans d’histoire, a l’habitude de prendre son temps, même si l’on assiste actuellement à une accélération spectaculaire : on est passé du moderato à l’allegro vivace.
*Gerard Chesnel, trésorier de Geopragma