Billet du lundi 11 octobre 2021 par Patricia Lalonde, vice-présidente de Geopragma.

 

 

      Les aveux du chef d’état-major américain, le général Mark Milley, devant les commissions des forces armées et des Affaires étrangères du Sénat et du Congrès américains sur le retrait brutal et catastrophique d’Afghanistan ont fait l’effet d’un tremblement de terre.

      Le général Mark Milley a en effet affirmé qu’il avait conseillé au président Biden dès le début de son mandat, de laisser 2500 militaires en Afghanistan afin de s’assurer que les négociations entamées à Doha aillent à leur terme en liaison avec les autorités afghanes.

      Il a affirmé que ces mêmes pourparlers de Doha, entamés en février 2020, sous la présidence de Donald Trump par Zalmay Khalilzad, l’envoyé spécial américain en Afghanistan, sans y convier les autorités afghanes, avaient creusé la tombe de l’armée afghane en la démoralisant car ces négociations, sans toutes les parties prenantes, laissaient supposer que l’Amérique avait décidé de livrer l’Afghanistan aux Talibans.

      Il a affirmé avoir été totalement surpris de la rapidité avec laquelle les Talibans s’étaient emparés du pouvoir et par le fait qu’ils avaient visiblement un autre agenda que celui de Doha.

      Et « last but not least », il a accusé les Talibans de n’avoir pas coupé les liens avec Al Qaïda, Daesh et autres groupes terroristes. Il resterait trois mille combattants de ces groupes sur le terrain.

      Le général Milley a donc avoué que les Américains avaient fui sous la panique, en livrant les Afghans et les Afghanes aux différentes factions talibanes.

      Le moins que l’on puisse dire, est que le comportement de ces Talibans depuis leur arrivée au pouvoir prouve qu’ils n’ont aucunement l’intention de se « civiliser » plus que lors de leur dernière prise de pouvoir dans les années 96 :

Le ministère de la Femme a été remplacé par le ministère du Vice et de la Vertu.

Les filles ne vont plus à l’école.

La chasse à ceux qui ont collaboré avec les Occidentaux s’organise ; l’ordre a été donné de couper les mains aux voleurs et, afin d’effrayer la population, des corps d’Afghans exécutés sont pendus dans Kaboul, Kandahar et Jalalabad.

Même la sécurité que beaucoup en Occident avancent comme prétexte pour justifier le retour de la société civile afghane à l’âge de pierre, n’est pas assurée. La recrudescence des attentats en témoigne ; les Talibans, Daesh, ISIS Khorassan s’en attribuant mutuellement la responsabilité. Le dernier en date, revendiqué par ISIS, ayant visé une mosquée chiite à Kunduz et fait plus de 50 morts parmi les Hazaras et une centaine de blessés.

      Il n’est pas étonnant, dans ce contexte, que la communauté internationale rechigne à reconnaître ces nouveaux venus à Kaboul qui se comportent comme des barbares et semblent vouloir laisser proliférer les réseaux terroristes. C’est pourquoi les Nations Unies ont refusé que l’envoyé des Talibans vienne s’exprimer à l’Assemblée générale.

      Le Haut représentant de l’UE aux Affaires étrangères, Josep Borrell, a mis en garde contre une reconnaissance des Talibans. Le ministre allemand des Affaires étrangères de l’ex-gouvernement Merkel, Heiko Maas, a même été très clair : il est hors de question que l’Allemagne reconnaisse les Talibans.

      La Russie qui a été partie prenante dans les négociations, critique dorénavant sévèrement les premiers pas de ces nouveaux venus. Des pourparlers ont eu lieu plus ou moins secrètement entre Russes et Américains pour autoriser ces derniers à partager leurs bases militaires au Tadjikistan afin de se préparer à une éventuelle recrudescence du terrorisme dans la région.

      Les Iraniens ont également mis en garde contre toutes opérations menées par des groupes terroristes à leur frontière.

      Quant à La Turquie, qui semblait travailler main dans la main avec le Qatar sur le dossier taliban, elle refuse de prendre en charge l’aéroport de Kaboul si des femmes ne sont pas nommées dans le gouvernement !

      Dans ce contexte, seuls trois pays semblent s’accommoder de la situation : la Chine, le Pakistan et le Qatar, même si ce dernier commence à se rendre compte qu’il est en train de perdre tous les gains d’image acquis auprès de la communauté internationale et qu’il est urgent de mettre en garde les Talibans…

      Le Premier ministre pakistanais, Imran Khan, pousse à un accord entre Talibans pakistanais (Tehrik-e-Taliban Pakistan) et Talibans afghans, l’occasion étant trop belle pour le Pakistan de transformer ainsi l’Afghanistan en un sanctuaire islamiste sous son autorité, établissant ainsi sa profondeur stratégique face au rival indien.

      Quant à la Chine, toute affairée à conforter sa Route de la Soie « One belt and One road » et déterminée à vouloir piller le sol afghan, elle semble fermer les yeux sur les dérapages de ses nouveaux amis à Kaboul. Mais cet enthousiasme pourrait ne pas durer car les Ouighours n’hésiteront pas à souffler sur les braises du terrorisme pour perturber la présence chinoise en terrain afghan.

      L’axe Pakistan-Chine n’a donc pas que des avantages pour Pékin qui risque de voir dans le succès des extrémistes en Afghanistan une menace pour elle-même. Il serait d’ailleurs ironique de penser que la Chine, qui combat avec la plus grande fermeté les extrémistes sur son sol, s’en accommode fort bien chez son voisin afghan. La récente arrivée d’avions militaires chinois sur la base de Bagram est peut- être le signe d’une volonté de contrôle.

      Dans ce contexte, le Tadjikistan voisin, pays musulman et farouchement laïc, qui a toujours été hostile aux Talibans et a accueilli beaucoup de réfugiés pendant les années de gouvernance talibanne en 97, s’apprête à jouer un rôle de premier plan dans l’organisation de la résistance ; il y accueille l’essentiel des infrastructures de la résistance et du gouvernement en exil dirigé par Amrullah Saleh, l’ancien vice- président, devenu de facto président depuis la fuite d’Ashraf Ghani.

      En effet, son président Emomali Rahmon, réélu depuis quatre mandats, a été le plus dur avec le retour des Talibans à Kaboul, critiquant le rétablissement d’une charia médiévale. Assurant la présidence tournante de l’OCS (Organisation de Coopération de Shanghaï), créée il y a 20 ans à l’initiative de la Chine et de la Russie, le président Rahmon a prédit « qu’au cours des deux ou trois prochaines années, l’imposition de l’idéologie extrémiste en Afghanistan s’intensifiera et la probabilité de l’expansion de ces idées destructrices dans les régions adjacentes se multiplieront. »

      C’est pourquoi la Communauté internationale, préoccupée par le désastre humanitaire, économique et par la recrudescence des groupes terroristes sur le sol afghan, se contorsionne pour implorer les nouveaux maitres de Kaboul de respecter un « savoir-vivre » élémentaire.

      La Grande-Bretagne a dépêché à Kaboul un envoyé spécial, les États-Unis ont rencontré à Doha les Talibans pour faire le point sur la situation humanitaire et économique. Enfin, Moscou organise une conférence internationale sur l’Afghanistan en présence des Talibans le 20 octobre prochain, soit une semaine après la tenue d’un sommet extraordinaire du G20 consacré à la situation humanitaire en Afghanistan. Tous ces mouvements illustrent à quel point la Communauté internationale a été déstabilisée par cette prise de pouvoir brutale. L’apparition de querelles entre factions talibanes révèle le double jeu pakistanais et ouvre ainsi la voie à un vaste mouvement de résistance.

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2 comments

  1. Répondre

    Dans une logique de redistribution des cartes de la géopolitique mondiale, il serait sans doute utile de concentrer les efforts communs de la lutte anti extrémistes islamistes par le biais des trois puissances de proximité concernées : Chine-Russie-Europe afin de définir ensemble un plan de défense concerté pour satisfaire aux intérêts respectifs de la non prolifération de ces mouvances islamistes fortifères.
    L’avenir est sans doute a la résolution des problèmes liés à la proximité géographiques des menaces plus qu’aux alliances pré-définies incertaines. Nouveau paradigme qui donne toute sa place au réalisme.

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