Billet d’humeur par Emmanuel Goût, membre du Comité d’Orientation Stratégique de Geopragma.
Le renforcement de notre démocratie passerait-il par la case « vote blanc » ?
Il n’y a aucun doute sur la corrélation entre l’inutilité du vote blanc et l’abstentionnisme croissant. A quoi sert le vote blanc, l’enveloppe vide, si tant son décompte que son compte-rendu sont absents de la publication médiatique des résultats électoraux.
Les modalités d’expression du désintérêt pour la vie politique et/ou la condamnation de ses acteurs et de ses institutions sont de trois ordres :
- Le vote contestataire, aux extrêmes de gauche et de droite, ou de formations thématiques (écologistes, chasseurs,…)
- L’abstention
- Le vote blanc
Si la grande majorité des électeurs du vote aux extrêmes sont sûrement des personnes qui y voient une solution politique, il n’en reste pas moins qu’une proportion non négligeable est constituée d’électeurs qui refusent un système politique dans son ensemble, en particulier parce qu’il apparaît à leurs yeux immuable : leur vote est un vote purement contestataire (voir les résultats Mélenchon-Le Pen aux dernières élections présidentielles).
Mais les dernières élections régionales ont paradoxalement confirmé la banalisation du Front National, aujourd’hui Rassemblement National, par son résultat décevant, lié à un taux d’abstention élevé. Une partie des électeurs n’y a plus vu la possibilité d’exprimer un vote antisystème.
Le vote blanc n’apportant aucun recours dans sa forme actuelle, il ne reste de fait que l’abstention pour exprimer sa contestation, son refus, sa volonté de changement.
Cette constatation nous donne déjà peut-être un premier élément d’explication au phénomène Zemmour qui, au-delà de chasser avec succès sur le terrain du Rassemblement National et du Parti Républicain, voit un nombre croissant de jeunes, aujourd’hui principale source de l’abstentionnisme, s’impliquer dans la chose politique soit en annonçant une participation aux prochaines élections « pour la première fois », soit en contribuant aux « prétentions candidates» d’un Zemmour en quête de devenir le « grand remplaçant ».
Ma génération se souviendra du slogan « voter blanc, c’est voter rouge », aujourd’hui voter blanc, c’est voter inutile. Par conséquent, conférer au vote blanc une pleine reconnaissance apparaît désormais comme une nécessité absolue pour servir notre démocratie, car favorisant ainsi la diversité des opinions et le respect de la « chose politique ».
Mais comment une telle révolution dans la pratique électorale est-elle possible ? Quelle solution pourrait conduire le vote blanc à devenir un vote sanction reconnu mais constructif pour notre vie politique et institutionnelle ?
Dressons un scénario concret par l’application de nouvelles règles électorales :
Si à une élection, quelle qu’elle soit, le vote blanc devient le « premier parti » en obtenant le plus grand nombre des suffrages exprimés d’une élection, cette élection est annulée.
Ce vote blanc, « premier parti » constitue objectivement un désaveu général de la classe politique représentée à cette élection.
Par conséquent, de nouvelles élections seraient organisées six mois après l’élection « gagnée par le vote blanc » mais avec interdiction pour tous les candidats ayant participé à l’élection annulée de se représenter à cette nouvelle élection.
Dans la terminologie du jeu de l’oie, ces politiques sautent leur tour…
Durant cette période supplémentaire de six mois, l’équipe en place gère les affaires courantes.
On réalise immédiatement que, par cette modalité, la possibilité est offerte au vote blanc majoritaire de devenir un outil ou une arme, en fonction de sa propre sensibilité, contre un establishment indéboulonnable. Une circulation des élites est ainsi institutionnalisée.
Cependant, lors de cette seconde élection, et afin de ne pas risquer de paralyser nos institutions par la répétition d’un succès du vote blanc, de nouveaux résultats en faveur du vote blanc nécessiteraient que ce dernier obtienne la majorité absolue de l’ensemble du corps électoral. Dans ce cas – « extrêmement extrême » – uniquement, ce mécanisme se répèterait.
Dans le cas contraire, s’appliquerait à cette nouvelle élection les règles électorales traditionnelles pour les partis et les candidats, ces derniers ayant dû se renouveler grâce au mécanisme d’interdiction de se représenter, appliqué à tous les candidats battus par le vote blanc ; le vote blanc deviendrait ainsi un véritable booster de renouvellement de la classe politique.
C’est malheureusement pour cette raison qu’il y a fort à croire que la classe politique – les législateurs d’aujourd’hui – s’opposera à cette idée de réforme profondément démocratique mais qui, indéniablement, mettrait en péril leur possible réélection.
Pour sauver sa place, le législateur semble préférer courir le risque d’un désintéressement général pour la vie politique ou, pire encore, de laisser se créer les conditions d’un vote massif en faveur des extrêmes, jouant avec la démocratie comme avec le feu : à défendre sa place, il pourrait finir par perdre la tête.
Philippe RAMBURE