Billet du lundi 10 janvier par Pierre de Lauzun, membre du Conseil d’administration de Geopragma.

 

      Le poids des minorités militairement supérieures est une constante de l’histoire. L’archétype en est donné par les invasions barbares au Ve siècle : ces ‘barbares’ étaient considérablement moins nombreux que les habitants de l’Empire romain ; mais il y avait longtemps que ce dernier n’arrivait plus à susciter de façon suffisante les troupes aptes à le défendre. Et il recourait de façon croissante à des mercenaires, barbares justement. Il y avait donc une capacité très supérieure des barbares à fournir des guerriers ou soldats. Et cela leur a permis de s’emparer de l’empire, en Occident du moins.

      On retrouve des faits analogues ailleurs ; le cas le plus proche est celui de la Chine, envahie et occupée successivement par les Mongols au XIIIe siècle et par les Mandchous au XVIIe, là aussi donc par des peuples numériquement très inférieurs au départ, mais militairement supérieurs au moins pendant un temps. Mais l’invasion arabe fulgurante du VIIe siècle repose sur un principe analogue ; elle a permis de battre les deux grands empires de la zone, faisant même disparaître l’un d’eux (en Perse), et s’emparant d’un territoire allant du Portugal à l’Inde. On peut voir encore des faits analogues dans des révolutions menées par des minorités parfois faible, le cas le plus évident étant la révolution d’Octobre 1917.

      Or, quand on parle dans ces cas divers de supériorité militaire, cela ne recouvre en général pas une supériorité intrinsèque : certainement pas du nombre comme on l’a dit, mais pas non plus de l’armement, de la tactique ou de la stratégie. Bien sûr il y a eu des facteurs conjoncturels ou, cas par cas, une habilité tactique plus grande. Mais le fait de base est la capacité de se battre et plus encore la volonté de se battre, la détermination des chefs et des troupes.

      Le verdict de l’histoire est donc clair : ce n’est pas le plus civilisé qui gagne, ni celui qui est porteur de plus de valeurs ou de savoir-faire, encore moins d’avenir : c’est en termes brutaux le meilleur guerrier. Pas le chevalier Bayard, pas non plus le plus expert techniquement : mais celui qui veut se battre et gagner. Cela ne veut évidemment pas dire que les autres facteurs (armement, tactique, qualité du commandement etc.) n’ont que peu d’importance. Mais ils ne suffisent jamais.

      Quelle conclusion en tirer pour notre époque ?  D’abord, que pour être vainqueur, ou tout simplement survivre et persévérer dans l’être, on ne peut se reposer exclusivement sur des facteurs de civilisation ou de richesse, sur une supposée supériorité morale, encore moins sur une légitimité démocratique quel qu’en soit le sens. Ces facteurs sont importants s’il y a volonté de se battre : celle-ci existait à l’évidence en 14-18, des deux côtés d’ailleurs. Mais en eux-mêmes ils ne suffisent pas, parce qu’ils ne répondent pas à la question, qui n’est pas idéologique mais guerrière. On se rappelle en sens contraire les scandaleux gauchistes allemands proclamant ‘besser rot als tot’ (mieux vaut être rouge que mort) face à l’URSS ; fort heureusement il n’y a pas eu de vérification des conséquences d’un choix aussi lâche, mais il est clair que celui qui pense ainsi a perdu d’avance.

      Allons plus loin. Les migrants qui affluent à nos frontières ne sont évidemment pas techniquement des envahisseurs au sens guerrier du terme. Mais ils veulent obtenir ce que nos lois leur refusent en principe : entrer chez nous et s’y installer. Et sur ce plan ils gagnent. Parce qu’ils sont plus déterminés. Et de plus en plus, ils cherchent à maintenir leur spécificité une fois installés, à nouveau avec détermination. Et de plus en plus ils y arrivent. On n’est plus dans le domaine guerrier certes ; peut-être y viendra-t-on (les sociétés multiculturelles sont conflictuelles) ; mais en tout cas une question de conflits de volontés est ici aussi clairement posée.

      En définitive donc, on aurait tort de limiter les questions de défense aux menaces classiques (les grandes armées du monde) ; ou aux menaces nouvelles de type terroriste. Il est parfaitement possible à des gens plus déterminés et mus par un esprit plus combatif ou tout simplement plus déterminés de nous imposer leur volonté, et éventuellement de nous conquérir, par des voies assez diverses. Il est donc vital de cultiver et développer un esprit de combat, une volonté de se battre quand c’est nécessaire, en tout cas de savoir lutter pour ce que l’on estime bon ; pas nécessairement de façon active pour ce qui est du gros de la population, mais par un déploiement de moyens suffisant (armés ou pas, selon la question), ce qui suppose que cela soit nourri et soutenu par la population.  Ce peut être dans le champ militaire ; mais aussi voire surtout dans d’autres domaines : police, justice, voiture, éducation ou économie. Dans son champ, notre armée paraît avoir encore cet esprit – sinon les moyens et la taille ; mais la question posée est bien plus vaste.

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1 Comment

  1. Répondre

    C’est tellement vrai!
    Mais pour éviter le troupeau de moutons que nous sommes devenus ,bien au chaud pour le plus grand nombre d’entre nous quoiqu’on en dise ,d’un consumérisme réducteur,aseptisé,anesthésiant en les cachant la maladie,la souffrance ,la vieillesse,la mort (cf réactions de l’hygiénisme moderne face au Covid),vantant le principe de précaution ,c’est le goût du risque inhérent à la vraie vie qu’il faut arriver à instiller..Oser ,oser encore ,oser toujours ,oser déjà les couleurs de sa vie ( même si ça fait très Benetton!)
    Mais pour cela il faut du sens !Si tu veux ,tu peux ,si tu peux ,tu dois encore faut il avoir une vision y compris personnelle ,bref un et du sens!
    Hors la vraie crise que nous vivons est une crise du sens car nous sommes non pas en changement de société type 1789 ,1848,1945 voir 1968 mais nous vivons bien un changement de civilisation à l’échelle mondiale .sans boussole ,laissant chacun dans nos sociétés occidentales vieillissantes « au bricolage de soi-même » ou à « la fatigue d’être soi »
    Accoucher d’une nouvelle civilisation mue entre autre par une technologie délirante et incontrôlable (les valeurs traditionnelles y compris religieuses de tout acabit qui s’extremisent coups d’épée dans l’eau ,devant leur impuissance face à cette transformation exponantielle)
    va prendre au moins un quart de siècle.
    Devenons donc simplement ,au jour le jour des porteurs et apporteurs de (bon) sens pour doter les très jeunes générations nées depuis 2015 d’une colonne vertébrale humaine ,humaniste face au Metavers ou autre ,car c’est cette génération qui trouvera les solutions idoines aux questions fondamentales qui commencent à se poser .
    Aidons les à « s’incarner »et à forger leur volonté de toujours respecter l’autre ,les autres ,non pas « l’ami Facebook ou l’Avatar » mais mon voisin bien réel lui ,sans le considérer comme une menace voir un ennemi s’il ne pense pas comme moi comme dans certains jeux vidéos .
    Ça va prendre beaucoup de temps
    Nous vivrons hélas des crises de mutation ,difficiles parfois à imaginer .

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