Article de Emmanuel Goût. Ancien conseiller de la Fondation Communication et Culture et de la Conférence Épiscopale Italienne et membre des Comités scientifiques de Géopragma et FareFuturo.

      Depuis le début du conflit, fidèle à sa Foi, le Pape François n’a jamais manqué d’évoquer la paix alors même que la seule évocation de celle-ci fut très tôt considérée, d’abord en Ukraine et en Occident, mais aussi par la suite en Russie, comme une forme de faiblesse, voire de trahison.

      Voir les morts s’accumuler de part et d’autre ne peut laisser indifférent le chef de l’Église catholique ni celui de ce micro-État – le Vatican – à propos duquel Staline ironisait « le Vatican, combien de divisions ? ». Mikhail Gorbatchev, contraint d’abord de voir les satellites de l’URSS se libérer de la tutelle soviétique, puis, impuissant, contraint d’assister à l’écroulement de l’URSS, aura pu mesurer l’importance du Pape polonais dans la géopolitique mondiale. 

      Comment s’expliquer dès lors les critiques peu discrètes à l’encontre des aspirations pacifiques du Pape et de ses initiatives, comme la récente visite du Cardinal Zuppi à Kiev et bientôt à Moscou ? On en sait plus en lisant les « confidences papales » du Président de l’Union des Vieux Croyants Leonid Sevastianov (*) qu’à la lecture des communiqués du Vatican. Que se passe-t-il derrière les remparts qui entourent le Vatican ?

(*) Les Vieux croyants naissent en 1666 d’un schisme au sein de l’Église orthodoxe. Dans leur histoire, souvent contrainte à la clandestinité (comme les populations juives) pour éviter les pogromes, on compte traditionnellement de nombreux intellectuels et des représentants du monde économique. Aujourd’hui ils se sont constitués aussi en union et peuvent s’enorgueillir d’une réelle indépendance vis-à-vis des pouvoirs temporels.

      Récemment, un politique italien déclarait que face à cette situation, le pape Jean Paul II aurait saisi la Kalachnikov pour défendre le peuple ukrainien. Le Pape François ne cesse d’appeler, lui, au dialogue, à la cessation du conflit et des morts, et à la reconstruction de la Paix. Il n’est pas pour autant naïf, n’ignore pas la complexité d’un dossier désormais exacerbé par les egos occidentaux qui chaque jour entretiennent l’irréversibilité des situations ou pire encore pourraient générer une véritable catastrophe par la constante surenchère. (Il convient ici de rappeler que le premier pays à avoir évoqué l’arme nucléaire après le 24 février 2022 fut… la France, et que s’il fallait une preuve à l’inefficacité des dix premières vagues de sanctions, ce serait la nécessité de cette dernière onzième vague: allez visiter Moscou en ce moment, elle n’a jamais été aussi belle, comme le décrit en partie Benjamin Quenelle dans La Croix du 15.06.2023).

      Voici plusieurs mois que François confie sa foi en la paix et que l’écho qu’en donne Leonid Sevastianov en Russie ne manque pas de générer curiosités, intérêts, jalousies et condamnations (au moment où j’écris ces lignes, le Métropolite Leonid Gorbatchev de l’église orthodoxe appelle à son arrestation).

      Mais le Pape aujourd’hui est aussi vu en Russie comme un interlocuteur très important – cf les récentes déclarations du Vice-ministre des Affaire Étrangères russes, Alexander Glushko.

      De sérieuses réserves persistent cependant, de part et d’autre, qui ont deux origines : l’église orthodoxe d’abord, les tensions au sein du Vatican enfin.

      L’Église orthodoxe a toujours craint le possible prosélytisme de l’Église catholique même si, couronnant les efforts des diplomaties ecclésiastiques, accompagnées efficacement en coulisse par le Métropolite Hilarion et Monseigneur Paglia, de la Communauté de San Egidio, le Patriarche Kirill et le Pape finirent par se rencontrer à Cuba (Il n’est pas inintéressant de constater la présence à ce sommet de Leonid Sevastianov). 

      Aujourd’hui, l’Église orthodoxe est revenue à ses craintes immémoriales et freine les initiatives papales, alors que le Patriarche Kirill et surtout l’Église orthodoxe  elle-même  dans son ensemble devraient voir dans une visite papale en Russie, la possibilité de reconstruire une légitimité mise à mal par des déclarations belliqueuses en contradiction avec la mission de guide spirituel. Mais aussi par la disparition d’un quorum nécessaire à la succession de Kirill, l’Église orthodoxe ukrainienne qui restait fidèle à Moscou ayant pris ses distances : un « détail » technique qui bloquerait le mécanisme de succession au Patriarche s’il venait à manquer.

      Mais c’est paradoxalement au cœur même du Vatican que l’on pourrait retrouver une certaine symétrie belliqueuse aux propos de Kirill quand son discours guerrier contredit sa mission spirituelle. Afin de le déstabiliser, c’est du Vatican que filtre aussi l’idée que le Pape serait prorusse : possible nouvelle interprétation des rivalités entre Opus Dei – dont le Pape allemand Benoit XVI était bien plus proche – et les Jésuites ? La remise en ordre des finances et de certains privilèges au Vatican ne laisse pas indifférents les « courants » plus « économistes » que d’autres.

      C’est dans ce contexte, que le Pape François – jésuite – a chargé le Cardinal Zuppi – personnalité diplomatique incontournable et indiscutable de la Communauté de San Egidio (une autre composante des sphères d’influence au sein de l’Église catholique) –  d’explorer, de discuter et de proposer des bases de solutions, d’abord avec Zelenski – qui, de fait, lui donna une fin de non-recevoir – et prochainement avec la Russie, où il convient cependant de rappeler que le Nonce Apostolique du Vatican à Moscou a pour numéro deux un prélat polonais…

       Une feuille de route diplomatique par conséquent semée d’embûches en tous genres que seule l’extrême sensibilité de l’émissaire Zuppi aux enjeux du monde et aux personnalités des protagonistes, devrait permettre de contourner pour tenter au moins un pas en avant vers une solution à ce conflit fratricide.

       La démarche papale témoigne d’une Foi vécue et d’une approche pragmatique inspirée exclusivement par cette dernière. Elle n’en reste pas moins originale au sein du Vatican. En effet il convient de rappeler que le Pape François est le premier Pape non européen, qu’il succède à deux Papes dont les populations – polonaise et allemande- ont souffert des Soviétiques quelles qu’en soient les raisons. François arrive à diriger l’État du Vatican et à être le guide de l’Église catholique tout en ayant été témoin des exactions de l’extrême gauche en Argentine et des massacres qui suivirent, orchestrés par des généraux soutenus financièrement par les Services américains. Et enfin des différentes crises financières, en partie conditionnées par les grandes institutions mondiales sous tutelle occidentale.

      Il est de fait la première incarnation d’un monde multipolaire, probable unique solution à la reconstruction d’équilibres où les solutions pacifiques prévalent sur les conflits sanglants.

       On assiste donc à une véritable coalition contre le Pape, au sein du G7, avec la probable complicité de pouvoirs forts au sein même du Vatican. Mais le Pape n’est pas le Pape des BRICS+, c’est ainsi qu’il conviendrait aujourd’hui, à la veille de leur prochain sommet en Afrique du Sud, d’appeler les BRICS, en ajoutant, pourquoi pas, une dimension quantitative face au G7: BRICS+, quota 3,3 milliards de personnes!

      Car pour ceux qui ont eu la chance d’échanger avec sa Sainteté sur ce conflit, ils savent qu’elle « se limite » à sa Foi, à sa vocation spirituelle, et entend les mettre exclusivement au service de la Paix et du respect des peuples.

      Les Russes devraient comprendre qu’ils peuvent trouver en lui un interlocuteur qui puisse légitimer une solide réflexion sur la Paix dans un monde qui ne sera plus jamais le même. Libre à chacun d’y voir une opportunité ou une faillite.  

      Les Occidentaux devraient, eux, comprendre que la solution ne sera pas militaire comme en témoigne les déboires d’une contre-offensive qui a été annoncée pour le printemps… mais engagée l’été, et qui maintenant semble être en voie de redimensionnement pour être relancée l’été prochain. Décidément quand la communication l’emporte sur l’action et la conditionne, les morts se comptent par dizaines de milliers.

      Le Pape n’est pas « prorusse » mais Russes, Ukrainiens et Occidentaux feraient mieux d’être à l’écoute de son discours de paix, dont on sait que ce qui nous sépare irrémédiablement de son application ne sont que le temps et le nombre de victimes. 

      A moins que, cyniquement, l’Occident n’attende la fin de François et ne « s’investisse » dans le conclave pour tenter d’en faire sortir un successeur plus docile, non un Pape incarnant trop bien un monde multipolaire encore en devenir. 

Emmanuel Goût. Conflit OTAN Ukraine – Russie : le Pape François est-il prorusse ?

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1 Comment

  1. FERRANT

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    A rechercher dans les archives … le pape François n’a pas été surpris par le déclenchement de la guerre en Ukraine ; il a révélé que des diplomates occidentaux l’avaient averti bien avant février 2022 que la guerre se préparait et allait avoir lieu : Ce qui explique sans doute sa déclaration dans une interview en italien à la télévision suisse : « Il y a en Ukraine des intérêts impériaux, pas seulement de l’empire russe, mais des empires des autres parties. C’est le propre d’un empire de mettre les nations au second plan», Dans le même entretien, François critiquait le rôle de l’OTAN dont les « aboiements aux portes de la Russie » auraient poussé le chef du Kremlin à passer à l’action militaire. Inaudible en Occident collectif même si les efforts du Vatican pour aller vers la Paix sont réels et que le Pape condamne « sans équivoque » une guerre « déclenchée par la Russie », assure le Vatican

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