Billet du Lundi du 1er avril 2019, par Christopher Th. Coonen*

L’investigation byzantine du Procureur spécial et ancien directeur du F.B.I. Robert S. Mueller III a accouché d’une souris. Des dizaines de millions de dollars dépensés dans son investigation de six cent soixante-quatorze jours, dix-neuf avocats, quarante agents du F.B.I. et des analystes de renseignement salariés, cinq cents témoins interviewés et treize gouvernements sommés de verser des documents au dossier. Tout cela pour conclure qu’il n’y a pas eu d’interférence avérée de la Russie dans l’élection présidentielle de 2016 ni aucun lien illégal entre les équipes du candidat Trump et les autorités russes. Pour prouver une conspiration, l’équipe de Mueller devait démontrer que M. Trump et ses associés avaient donné leur feu vert à la Russie pour interférer dans l’élection au travers d’espionnage électronique, numérique et à l’utilisation illégale de médias sociaux ou d’autres moyens criminels afin de nuire au camp adverse de Hillary Clinton.

Que de temps gâché pour l’intérêt national américain, russe et de ce monde! Un reset des relations entre les Etats-Unis et la Russie n’a jamais été aussi nécessaire qu’aujourd’hui. En 2008 Barack Obama avait déjà fait campagne en mettant l’accent sur cette nécessité. A la fin de son second mandat en janvier 2017, rien n’avait été fait. Tant de sujets géopolitiques bénéficieraient pourtant d’une telle refondation de la relation Washington-Moscou : l’Iran, la Syrie, les relations avec l’Europe et la Chine, le désarmement, la lutte anti-terroriste a minima.  Le nouveau président américain a été empêché pendant les deux premières années de son mandat de mettre en œuvre ce reset, par l’establishment washingtonien et l’appareil d’Etat. Le Pschitt magistral de l’enquête Muller va lui permettre enfin de pouvoir s’attaquer à cet objectif et souhaitons-le, de rebattre les cartes avec son homologue, le président Poutine.

Pour mesurer l’envergure d’une telle manœuvre en politique étrangère, il est important de reprendre le contexte historique de la relation entre les deux premières puissances nucléaires, riche d’étapes depuis le 19ème siècle. L’histoire commence en 1867, lorsque les Etats-Unis achètent l’Alaska à la Russie pour $7.2 millions de dollars. Le moyen pour la jeune République d’incarner sa « Manifest Destiny », celle d’une expansion toujours plus gourmande vers l’Ouest. Les Russes eux occupaient l’Alaska depuis 1725, quand Vitus Bering, dépêché par le Tsar Pierre le Grand, avait planté le drapeau russe sur des terres qui se révélèrent bien trop lointaines de Saint-Petersbourg. Le paiement tomba à pic pour renflouer les caisses de l’Etat. Etats-unis et Russie devinrent des voisins séparés d’une distance de 82 kilomètres par ce détroit éponyme.

Il s’ensuivit une collaboration étroite pendant la deuxième Guerre mondiale, depuis le programme de ravitaillement américain Lend-Lease dès l’invasion de l’URSS en juin 1941 par les Nazis, jusqu’à la défaite du Troisième Reich à Berlin. Même pendant la Guerre Froide, les deux adversaires se concertèrent régulièrement et négocièrent des traités de désarmement nucléaire importants : SALT I & II, le traité ABM (missiles anti-balistiques) abandonné par Washington récemment comme une provocation supplémentaire à l’égard de Moscou, le traité de Non-prolifération… Malgré leurs crises les plus graves (Berlin, Cuba, guerres du Vietnam et d’Afghanistan), les deux titans se parlèrent et cherchèrent des aménagements à leur rivalité leur permettant aussi d’affirmer leur domination conjointe aux dépens des rivaux potentiels Chinois et européen.

Depuis la dislocation de l’Empire soviétique en 1991, les Etats-Unis ont eu tout d’abord une attitude arrogante, suivie d’une volonté d’affaiblir la Russie et l’Europe via l’élargissement de l’OTAN jusqu’aux frontières russes, allant même jusqu’à vouloir faire basculer dans le double giron atlantique et communautaire l’Ukraine, berceau historique de la Russie même, un état tampon qui n’aurait jamais dû cesser de l’être. Puis le président Obama initia la mise en place de sanctions économiques de concert avec l’Europe au prétexte du rattachement de la Crimée à la Russie. A ce jour, tout cela est un échec patent qui ne fait que cristalliser la rancœur russe et nourrir la popularité de celui qui résiste à ce « containment ». A croire que Washington cherche à pousser la Russie dans les bras de Pékin et surtout loin de ceux d’Europe…Ça marche. A nos dépens ultimes évidemment, même si nous persistons à ne rien comprendre à l’intérêt stratégique de notre Vieux Continent. La Russie s’affirme en outre de plus en plus sur des théâtres lointains comme le Venezuela et la Syrie. Nos deux grands chiens de faïence auraient plutôt intérêt à se transformer en chair et en os pour collaborer.

L’investigation de M. Mueller a donc marqué un contre-temps très inopportun. Le rappel des faits :

  1. En mars 2016, des agents des services du GRU (le service de renseignement de l’armée russe) infiltrent le compte du directeur de campagne de Hillary Clinton, John Podesta, et celui du Comité national du Parti Démocrate, accompagné par une société privée de St Petersbourg, « Internet Research Company », afin de décrédibiliser la candidate qui au fil du temps faisait pâle figure face au candidat Trump qui lui exprimait clairement sa volonté de trouver un rapprochement avec la Russie.
  2. En juillet 2016 (quatre mois avant l’élection du président Trump), le F.B.I commence à examiner des liens possibles entre l’équipe de campagne du futur président et la Russie, à la suite de fuites via WikiLeaks concernant 20 000 emails du Comité national du Parti Démocrate. L’Agence ouvre une enquête nommée « Crossfire Hurricane » pour examiner les connections entre les associés de Trump et la Russie, se focalisant sur MM. Manafort, Flynn et Page.
  3. En décembre 2016, M. Flynn, le futur Conseiller national de la sécurité rencontre l’ambassadeur russe à Washington afin de discuter d’une levée des sanctions dans le contexte d’un « deal » portant sur les incursions russes en Ukraine. Certains membres de l’entourage d’Obama croyaient alors qu’une levée des sanctions aurait constitué la contrepartie d’un soi-disant soutien russe pendant l’élection.
  4. En janvier 2017, les directeurs des services de renseignement américains briefent le président élu sur l’interférence russe ; mais Trump n’est pas convaincu, allant jusqu’à douter d’eux et notamment du directeur du F.B.I d’alors, James B. Comey.
  5. En mai 2017, président Trump démet de ses fonctions M. Comey, ce qui entraîne la nomination de M. Mueller quelques jours plus tard. L’étendue de l’investigation de M. Mueller était la suivante : les dimensions de l’interférence russe dans l’élection américaine y compris avec la complicité d’associés du président Trump, l’obstruction faite par le Président à la justice (par l’élimination de Comey auquel il avait demandé de faire cesser l’enquête sur le Général Flynn) et l’évaluation de son statut -volontaire ou involontaire- d’agent russe … !
  6. En juin 2017, président Trump critique publiquement son ministre de la Justice, Jeff Sessions, et l’investigation de M. Mueller, qualifiant l’exercice de « chasse aux sorcières » et donnant l’impression qu’il avait l’intention de faire dérailler ou du moins d’interférer dans les travaux de M. Mueller.
  7. En octobre 2017, l’investigation de Mueller s’accélère en poursuivant des personnes clés de l’entourage de Trump : son directeur de campagne M. Manafort et son bras droit M. Gates, son premier conseiller de sécurité nationale M. Flynn et bien d’autres. 
  8. En février 2018, M. Mueller accuse treize citoyens ainsi que trois sociétés russes d’avoir monté une campagne frauduleuse via des réseaux sociaux. Il poursuit aussi certains agents du GRU pour le hameçonnage des ordinateurs du Comité national du Parti Démocrate. Ceci sape les assertions à répétition du président Trump selon lesquelles personne ne sait en fait vraiment si la Russie est responsable d’une interférence.
  9. En avril 2018, l’équipe de M. Mueller élargit son investigation au-delà de la « Russia Connection » à des soupçons de violation de règles de financement de campagne présidentielle, entraînant la révélation de paiements de l’ancien avocat de Trump, M. Cohen, à deux maîtresses pour leur silence. Entre temps, M. Manafort est jugé coupable dans un dossier séparé portant sur des fraudes financières et la transmission de données d’opinion publique liées à l’élection de la part de M. Kilimnik, l’un de ses proches associés, suspecté d’avoir des liens de longue date avec les services de renseignement russes.
  10. En décembre 2018, M. Cohen affirme que M. Trump avait poursuivi tout au long de la campagne des négociations en Russie pour y développer une « Trump Tower » contrairement à ses dires. Il est de nouveau entendu en février 2019 devant la Chambre des Représentants sur les paiements aux maîtresses et les dissimulations fiscales du président. Et l’un de ses proches confidents, M. Stone, est poursuivi pour avoir menti au Congrès sur ses contacts avec WikiLeaks pendant la campagne.
  11. En mars 2019, le verdict tombe : Il n’existe aucune preuve matérielle sur une interférence russe, ou sur une collusion entre les équipes de Trump et l’Etat Russe, pas plus que sur une obstruction de justice. M. Mueller annonce qu’il ne compte plus demander des poursuites dans cette investigation russe.

Quelle sera la suite de ce feuilleton?

Dimitri Peskov, porte-parole du Président Poutine, a réagi en répétant que le président russe maintenait un intérêt constant dans de bonnes relations avec les Etats-Unis mais qu’au vu des actions erratiques des Etats-Unis, la « balle était dans le camp de Washington ».

Le temps est venu pour ces deux grands pays de renouer avec un dialogue ouvert, rapproché et constructif afin de créer un nouveau paradigme géopolitique. Certes des obstacles sont en travers du chemin : l’activité de milices soutenues par les Russes en Ukraine, le retrait des USA de l’accord JCPOA iranien et du traité ABM, le soutien russe au gouvernement syrien de Bachar al-Assad, ou encore à celui du président Maduro à Caracas et la volonté d’ingérence des Etats-Unis au Venezuela.

Mais c’est précisément le rôle que doit jouer la diplomatie : trouver des solutions avec ses adversaires. Le président Trump détient une opportunité historique maintenant qu’il n’est plus sous cette chape pour proposer un agenda de discussions via un « sommet de Reykjavik à la Reagan-Gorbachev ». Peut-être s’y est-il déjà préparé lors de ses discussions avec le Nord-coréen Kim Jong Un : des discussions pourraient être entamées rapidement sur la levée des sanctions, l’expulsion mutuelle et récente de diplomates, la réouverture de consulats et déclarer ensuite que l’Ukraine et le Venezuela seront des états « tampon » sans plus d’ingérence d’aucun côté. Les deux leaders pourraient ensuite examiner ensemble et résoudre des sujets plus importants et stratégiques : le désarmement, y compris avec la Corée du Nord, un nouveau dessein au Moyen Orient qui inclurait l’Iran, la Syrie et l’Irak. Trouver un accord tripartite avec la Chine sur les Iles Spratlys et avec le Japon sur les Iles Kouriles pour un océan Pacifique … apaisé. Et intégrer économiquement de manière forte et durable la Russie européenne avec l’Unioneuropéenne.

Bref, un Reset qui créerait un « New Deal de Bering » diplomatique et géopolitique pragmatique. Un programme bien irénique nous dira-t-on. Mais, si l’on cherche vraiment le bien des peuples et des nations, c’est une feuille de route ambitieuse mais accessible. Il suffit d’être deux à le vouloir et de repousser fermement les fâcheux au large.

* Christopher Th. Coonen, Secrétaire général de Geopragma

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1 Comment

  1. Ribus

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    Vous omettez de dire que cette vaste opération de barbouzerie contre Trump a été montée par la Gauche américaine dénommée ironiquement « les démocrates ». Le président Trump ne va sans doute pas se priver de leur rendre la pareille en ordonnant des investigations sur les turpitudes des Clinton et des Obama. Pas certain qu’ils en sortent blanchis, eux…Les relations entre Russes et Américains vont être plus franches puisque Trump est sorti du piège. Poutine a connu cela aussi quand il est arrivé au pouvoir après cette pourriture d’Eltsine et les difficultés qu’ils ont connu l’un et l’autre pour restaurer l’autorité dans leur pays respectif a créé des liens. Cela ne veut pas dire que les intérêts sont convergents sur tout mais au moins, ils pourront discuter directement entre gens sérieux : des chefs d’État, pas des comiques comme on a chez nous.

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