Par Renaud Girard*, publié dans le Figaro le 10/02/2020
Portant un masque sur le visage comme la plupart de ses compatriotes, Xi Jinping a, le lundi 10 février 2020, enfin rendu visite à un hôpital traitant des malades atteints par la nouvelle grippe. Il aura fallu plus de cinq semaines au président chinois pour montrer un peu de compassion à l’égard des victimes du coronavirus et pour encourager sur le terrain les professionnels de santé s’efforçant d’endiguer l’épidémie qui paralyse son pays depuis le début de l’année. C’est pourtant un homme qui ne craint pas de se montrer en public, notamment lors des grandes manifestations de l’Armée populaire de libération.
Depuis qu’il a accédé à la fonction suprême en 2012, Xi Jinping n’a eu de cesse de renforcer son pouvoir personnel ainsi que l’encadrement de la population par le parti communiste. Ce retour à un certain autoritarisme maoïste ne causait pas de problème tant que Pékin engrangeait les succès économiques et géopolitiques de sa stratégie des nouvelles routes de la soie. Mais les conséquences sociales de l’épidémie actuelle risquent de tout changer. Le martyre du docteur Li Wenliang a profondément choqué les Chinois, et provoqué leur questionnement quant à la pertinence de l’autoritarisme du système communiste. Qu’un jeune médecin de l’hôpital de Wuhan, épicentre de l’épidémie, ait été harcelé par la police pour avoir dûment alerté ses confrères sur la dangerosité du nouveau virus, que des considérations de « stabilité sociale » propres aux autorités communistes aient pris le pas sur la science et sur la protection de la population, est quelque chose qui ne passe pas en Chine.
Dans la Chine du début du XXIème siècle, le docteur Li Wenliang est devenu une icône aussi mobilisatrice que le fut le capitaine Alfred Dreyfus dans la France de la fin du XIXème siècle. Neuf grands intellectuels chinois viennent d’adresser une pétition à l’Assemblée nationale du peuple à Pékin (qui se réunit normalement au début du mois de mars) pour demander à ce parlement de rappeler la liberté d’expression inscrite aux articles 35 et 51 de la Constitution chinoise, d’exiger des autorités qu’elles la respectent, et de faire du 6 février (date de la mort du docteur Li) la « journée de la liberté d’expression ».
Les réseaux sociaux chinois sont en ébullition. La police de la Toile ne sait plus où donner de la tête, tant les internautes chinois sont inventifs pour contourner sa censure. Les Chinois ne sortent pas dans les rues mais ils protestent quand même, en masse, armés de leurs seuls ordinateurs et smartphones. Ils ne supportent plus qu’on étouffe la vérité. Ils ne font plus confiance au parti pour les gouverner. L’autorité absolue de son chef, le président Xi, est désormais remise en cause.
Xi Jinping a-t-il perdu le mandat du Ciel ? C’est une question que de plus en plus de Chinois se posent. Le mandat du Ciel est un concept apparu sous la dynastie Zhou (1122 av. JC à 256 av. JC), qui a permis d’affirmer la légitimité des Empereurs de Chine. Il est fondé sur l’approbation que le Ciel accorde aux dirigeants sages et vertueux, approbation qui cesse quand ceux-ci se mettent à mal gouverner ou à être corrompus. A la différence avec la notion de monarchie de droit divin de notre Ancien Régime, le mandat du Ciel peut être retiré aux souverains qui agissent mal ou qui perdent toute mesure dans l’usage de leur pouvoir. Ce concept est central dans la pensée politique de Mencius (372-289 av. JC), le plus grand philosophe chinois après Confucius.
Xi Jinping a-t-il perdu toute mesure dans l’usage de son pouvoir ? Il a inscrit sa pensée dans la Charte du parti communiste au côté de la pensée de Mao Zedong et de la théorie de Deng Xiaping. Il a aboli la limite des deux mandats présidentiels. Il a rendu caduc l’exercice collégial du pouvoir au sein du Comité permanent du bureau politique du parti (sept membres).
Or cette concentration des pouvoirs ne l’a récemment pas beaucoup aidé : l’intimidation des résidents de Hong Kong n’a pas marché ; l’ingérence dans la campagne électorale à Taïwan a été contreproductive ; le bras de fer commercial avec les Etats-Unis n’a pas été gagné.
Pour sauver son avenir, le parti communiste chinois est-il prêt à lâcher du lest ? Va-t-il obliger Xi Jinping à revenir à un exercice plus collégial du pouvoir ? Va-t-il encourager une décentralisation qui soit fondée sur un réel Etat de droit ? Va-t-il enfin appliquer les droits de l’homme et du citoyen prévus dans la Constitution ? Va-t-on au contraire assister à un durcissement du régime, une fois passée l’alerte de l’épidémie ? Xi Jinping est aujourd’hui confronté à un choix crucial.
Combien de temps peut survivre un régime ayant perdu le soutien sincère de son peuple ? En Russie, le léninisme survécut plus de soixante ans à son assassinat de la démocratie.
*Renaud Girard, membre du Conseil d’orientation stratégique chez Geopragma