Veille effectuée par Marc Adan Ourradour*
Les évènements de la semaine :
17/04
- Le GUN impose un couvre-feu pour dix jours dans les régions qu’ils contrôlent.
- Bombardement de la base d’Al Watiya par le GUN.
- Le ministère de la défense déclare « Nos avions de l’armée de l’air effectuent des entrainements en Méditerranée avec nos navires. »
- Crash d’un drone turc à 80 km sud-ouest de Bani Walid.
18/04
- Les forces du GUN ont lancé une attaque sur Tarhounah, une des principales villes de l’ANL à l’ouest. Reprise de plusieurs villes, matériel et combattants capturés.
- L’ANL lance des roquettes sur Tripoli.
- Le porte-parole de l’ANL annonce avoir infligé de lourde perte sur l’axe Al-Hirah.
19/04
- Bombardement du GUN à l’ouest de Sirte.
- Destruction d’un drone du GUN à Abu Grein
- Des renforts du GUN arrivent dans le district de Tarhounah..
20/04
- Passage en force de la frontière tunisienne par des tunisiens qui travaillaient en Libye et étaient bloqué dans la zone frontalière.
- Bombardement du GUN sur Ain Sharshara au nord de Tarhounah.
- L’ANL bombarde un stock de munition à Zouara, combat au Sud d’Al jamil, un porte-parole annonce la reprise de la localité Al-Aqrabiyah.
21/04
- Un porte-parole de l’ANL annonce la destruction d’un drone du GUN à Ain Sharshara.
- Entretien téléphonique entre Poutine et Erdogan.
- Combats au sud d’Al-Jumayl.
22/04
- Tirs d’artillerie de l’ANL sur Tripoli.
- Combats à Ain Sharshara.
- Le porte-parole de l’ANL déclare que l’intervention turque devient une occupation de la capitale.
- Entretien téléphonique entre M. Poutine et Mme Merkel, le sujet de la Libye a était discuté.
23/04
- L’ANL bombarde des positions des forces du GUN à Abu Qurain et sur la route menant à Misrata.
- Le ministre de l’intérieur du GUN accuse le groupe Wagner d’utiliser des armes chimiques.
- La mission des Nations Unies pour la Libye appelle à cesser les combats à l’approche du début du Ramadan.
- L’ANL annonce avoir repoussé une offensive du GUN dans la zone d’Ain Zara et Casirma, les affrontements se poursuivent. Déclaration affirmant que la Turquie pourrait menacer l’Europe si elle s’emparait des côtes libyennes.
- L’ANL annonce avoir capturé une quinzaine de combattants de nationalité syrienne.
- Le GUN bombarde les positions de l’ANL à Tarhounah.
Analyse :
Il y a un an débutait l’offensive du maréchal Haftar et de son Armée Nationale Libyenne (ANL) contre Tripoli, capitale du Gouvernement d’Union Nationale (GUN). Il profitait de son avantage — militaire, alliances tribales, soutiens étrangers — pour étendre sa zone d’influence et tenter de conquérir l’ensemble du territoire libyen. La semaine dernière, le GUN a réussi, pour la première fois depuis le début du siège de Tripoli, à lancer une contre-offensive qui s’est concrétisée par la reconquête de territoires à l’est de Tripoli (villes de Sabratha et Sorman). Cette semaine, souhaitant garder l’initiative, le GUN a lancé une grande offensive dans le district de Tarhounah. Le GUN profite largement de l’aide turque qui a incontestablement modifié le rapport de forces. D’une manière générale, nous pouvons remarquer que les attaques sont presque systématiquement précédées de bombardements aériens. Le contrôle et l’utilisation de l’espace aérien sont des enjeux majeurs pour décider de l’issue du conflit. Cet espace stratégique permet aux troupes au sol de progresser. Loin de tout débat éthique, nous observons une systématisation de l’utilisation des drones, que ce soit pour reconnaître ou pour bombarder une position. Alors que nous pourrions avoir l’image erronée d’un petit conflit statique, l’arsenal utilisé et les nombreux mouvements de troupes nous démontrent le contraire. Il s’agit bien là d’une guerre opposant deux camps, qui contrôlent des territoires et des villes bien identifiés, et mènent des opérations planifiées soutenues par du matériel moderne. Malgré la menace du COVID-19 qui pèse sur le pays, les combats continuent et les populations subissent les conséquences de la guerre. Il ne se passe pas une semaine sans combats et tirs d’artillerie sur la capitale libyenne, en état de siège depuis plus d’un an. Il n’est pas nécessaire de comparer la situation d’aujourd’hui avec celle qui prévalait sous Mouammar Kadhafi, mais on peut difficilement ne pas se pencher sur les mystérieuses raisons de l’intervention française en Libye. De son côté, la mission des Nations Unies pour la Libye appelle à cesser les combats à l’approche du début du Ramadan. Énième tentative qui se soldera très probablement par un échec. Il faudrait adopter une stratégie « des petits pas » qui commencerait par la nomination d’un médiateur impartial pour la Libye. Le post est vacant depuis la démission de M. Salamé survenue le 2 mars 2020.
Si le GUN lance des offensives, la guerre est très loin d’être gagnée. Le maréchal Haftar reste celui qui contrôle la plus grande partie du territoire. L’ALN tient ses positions au nord de Tarhounah et lance même une offensive à l’Ouest dans la région de Zouara. L’ALN menace encore Tripoli et Abu Grein, ville stratégique située sur l’axe Syrte – Misrata. Ainsi malgré l’aide d’Ankara, nous ne pouvons pas dire que nous assistions à un réel retournement de situation. Les prochaines semaines pourraient être décisives. Ankara continue en effet de transférer des mercenaires de Syrie en Libye. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, plus de 5 000 combattants auraient ainsi été transférés. Il ne s’agit pas d’une aide ponctuelle, mais bien d’un désir de participer durablement au conflit. Nous nous retrouvons avec des pays de l’OTAN qui ne soutiennent pas les mêmes camps. Ankara peut se targuer de soutenir le camp reconnu par « la communauté internationale », un camp très largement appuyé par des milices islamistes celles-là même qui tiennent sous leur contrôle le chef du GUN. Par ailleurs nous ne pouvons que nous inquiéter de l’arrivée des mercenaires ; beaucoup d’entre eux appartiennent à des groupes radicaux. La Libye est avant tout un pays tribal et nous ne voyons pas comment ces tribus pourraient voir d’un bon œil l’arrivée de mercenaires étrangers alors que la lutte s’intensifie pour l’affectation des ressources et richesses du pays. Sur le long terme, comment le GUN peut-il espérer trouver enfin une légitimité autre que de papier. Le camp du maréchal Haftar possède également ses mercenaires. Le groupe russe Wagner combat aux côtés de l’ANL et ses liens avec le pouvoir russe ne sont plus à démontrer. Moscou veille, comme en témoignent les échanges téléphoniques que M. Poutine a eu avec M. Erdogan et Mme Merkel. Vigilance assez logique considérant les intérêts stratégiques russes sur ce territoire, mais qui évidemment déplait fortement à d’autres. On vient d’accuser le Groupe Wagner d’avoir utilisé des armes chimiques… Le parallèle avec la Syrie est facile à faire. S’agit-il d’une tentative de déstabilisation des positions russes ou d’une accusation bien fondée ?
*Marc Adan Ourradour, stagiaire chez Geopragma