Veille effectuée par Edmond Huet*
29/05
– La Turquie annonce qu’elle prévoit commencer le forage d’hydrocarbures en Méditerranée orientale d’ici trois ou quatre mois. La Grèce condamne immédiatement cette annonce décrite comme une « nouvelle provocation ».
01/06
– Abbas Mousavi, porte parole du ministère iranien des Affaires étrangères, annonce que l’Iran est prêt à envoyer de nouveaux pétroliers au Venezuela si Nicolás Maduro le demande.
– Selon le Kremlin, Donald Trump et Vladimir Poutine se sont appelés pour discuter du prolongement des coupes de l’OPEP+, qu’ils ont tous les deux reconnu nécessaires pour la stabilisation du marché pétrolier.
– Le Premier ministre de la Bulgarie Boyko Borissov et le Président de la Serbie Aleksandar Vucic se sont rendus sur le chantier de Balkan Stream, la branche du Turkish Stream en Bulgarie.
02/06
– Richard Grenell, ambassadeur des États-Unis en Allemagne, annonce sa démission. Farouche critique du projet Nord Stream 2, il pourrait rejoindre la campagne de réélection de Donald Trump.
– En Libye, le gouvernement d’union nationale (GUN) et l’armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Haftar ont accepté la reprise de pourparlers dans le cadre de la commission mixte militaire proposée fin février.
03/06
– L’Arabie Saoudite et la Russie s’accordent sur le principe d’un renouvellement des coupes pour un mois supplémentaire.
– Fayez al-Sarraj, dirigeant du GUN, atterrit à Ankara, pendant que son vice-premier ministre Ahmed Maetig rencontre à Moscou le ministre russe des Affaires étrangères.
Évolution des cours du jeudi 28 mai au mercredi 3 juin :
– Le baril de Brent était à 39,79$ à la clôture du 3 juin, soit une évolution d’environ +15,5% par rapport au 28 mai.
– Le baril de West Texas Intermediate (WTI) était à 37.29% à la clôture du 3 juin, soit une évolution également prononcée d’environ 14,5% par rapport au 28 mai.
Analyse de l’actualité du secteur pétrolier
Le début du mois de juin sourit aux marchés pétroliers. Le cours du baril a gagné 15% en une semaine, le baril de Brent dépassant même la barre symbolique des 40$ l’espace d’une matinée, avant de se stabiliser légèrement en dessous. Le jeu de l’offre et de la demande bat son plein : alors que la demande reprend progressivement dans le monde, l’offre reste régulée par les accords de l’OPEP+, qui sont par ailleurs en bonne voie d’être prolongés. Mercredi 3 juin, l’Arabie Saoudite et la Russie se sont mises d’accord sur le principe d’une reconduction des coupes – sous réserve cependant que tous les pays jouent le jeu, ce qui n’est pour l’instant pas le cas de l’Irak et du Nigeria.
Au-delà de l’évolution du cours, l’actualité pétrolière est indissociable du développement de la situation en Libye, dont on connaît les immenses réserves d’hydrocarbures. Le Gouvernement d’union nationale (GUN) et les forces du maréchal Haftar ont accepté cette semaine la reprise du dialogue dans le cadre de la commission mixte militaire (CMM), où un premier dialogue avait eu lieu, sans succès, en février. Cette semaine a été aussi l’occasion pour les deux camps de prendre le temps de consolider leurs alliances respectives et d’évoquer, avec leurs alliés, l’avenir du conflit. Le maréchal Haftar s’est ainsi rendu en Égypte, en même temps que le dirigeant du GUN, Fayez al-Sarraj, rendait visite à son sponsor turc. Plus intéressante cependant est la rencontre ce mercredi du vice-premier ministre du GUN Ahmed Maetig avec le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. Cette rencontre, qui pourrait sembler surprenante quand on sait que la Russie cache à peine son soutien au maréchal Haftar, s’inscrit justement dans un effort de reprise du dialogue entre les camps opposés.
Analyse de l’actualité du secteur gazier
Alors que les dernières veilles ont surtout été consacrées aux développements du projet Nord Stream 2, l’actualité de ces derniers jours nous emmène vers la mer Noire. Sous cette mer existe aujourd’hui le gazoduc Blue Stream, par lequel transite du gaz russe vers la Turquie. En 2009, on apprend que Blue Stream doit être complété par un nouveau gazoduc : le South Stream, partant de la Russie, traversant la mer Noire jusqu’en Bulgarie, puis remontant l’Europe par la Roumanie, la Hongrie et enfin l’Autriche. Mais l’UE s’oppose au projet. Elle accuse d’une part Gazprom ne pas respecter les règles européennes de la concurrence, et fait d’autre part pression sur la Bulgarie, membre de l’UE, pour qu’elle refuse de laisser le gazoduc passer sur son territoire. Cela signifiait de facto la fin du projet, qui est alors abandonné.
Quelques années plus tard cependant, le projet est relancé, sous le nouveau nom de Turkish Stream. Il se compose de deux parties : un gazoduc qui relie la Russie à la Turquie par la mer Noire, puis un autre gazoduc, appelé « Tesla Pipeline », qui prend le relais du premier et arrive jusqu’en Autriche par les Balkans. C’est ce qu’illustre la carte ci-dessous :
La première partie du Turkish Stream s’est terminée en novembre 2019 : le gazoduc, en vert sur la carte ci-dessus, a relié avec succès le port russe d’Anapa (situé à l’est de la péninsule de Crimée) à un village côtier turc, situé près d’Istanbul. C’est donc la « Tesla Pipeline », aussi appelée Balkan Stream, qui est maintenant en construction. Cette semaine justement, après plusieurs mois d’inertie suite à l’épidémie de coronavirus, le Premier ministre de la Bulgarie Boyko Borissov et le Président de la Serbie Aleksandar Vucic se sont rendus sur les chantiers du Balkan Stream en Bulgarie.
Il semble que la politique énergétique de la Russie consiste depuis plusieurs années à trouver une solution au problème suivant : comment irriguer l’immense marché européen sans passer par l’Europe orientale ? De nombreux pays d’Europe de l’Est ont en effet souhaité réduire leur dépendance à Moscou, et, pour cela, se sont tournées vers Washington, dont l’objectif est précisément d’isoler la Russie de l’Europe en matière énergétique. Or, seules la mer Baltique et la mer Noire permettent de contourner l’Europe orientale : on comprend ainsi que Nord Stream II et Turkish Stream sont les deux facettes de la politique énergétique russe en Europe. Et on comprend du même coup l’empressement de Washington à sanctionner les entreprises qui participent à ces projets – même lorsque ces entreprises sont françaises.
*Edmond Huet, stagiaire chez Geopragma