Veille effectuée par Edmond Huet*
24/05
- Nicolás Maduro célèbre l’arrivée d’un premier pétrolier iranien.
25/05
- L’état d’urgence est levé au Japon, synonyme de reprise de la consommation et de la demande.
26/05
- Un deuxième pétrolier iranien arrive au Venezuela.
- Face aux difficultés de stockage du pétrole, et malgré les risques environnementaux, la Commission des chemins de fer du Texas autorise l’enfouissement des produits pétroliers sous terre.
27/05
- Les Etats-Unis annoncent envisager de nouvelles sanctions contre le projet Nord Stream 2.
- L’Ukraine déclare viser une augmentation de ses importations de gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance des Etats-Unis.
28/05
- L’OPEP et la Russie envisagent le maintien des coupes dans leur production pétrolière jusqu’à la fin de l’année 2020.
- Le président Erdogan, dans une discussion au téléphone avec le Président algérien, appelle à la fin des hostilités en Libye.
Évolution des cours du lundi 18 mai au mercredi 27 mai :
- Le baril de Brent était à 34,74$ à la clôture du 27/05, soit une évolution de -0,2% par rapport au 18 mai.
- Le baril de West Texas Intermediate (WTI) était à 32,81$ à la clôture du 27/05, soit une évolution de +3,04% par rapport au 18 mai.
Analyse de l’actualité du secteur pétrolier
Cette semaine a marqué la fin de l’optimisme sur la hausse des prix du baril. Si les cours n’ont pas chuté et se sont maintenus à leur niveau, l’espoir d’un baril à 40$ s’est en revanche dissipé sous l’effet de plusieurs annonces :
- La décision chinoise de ne pas se fixer d’objectif de croissance pour l’année 2020.
- Le regain des tensions entre les Etats-Unis et la Chine sur le statut de Hong Kong.
- Enfin, l’incertitude quant au maintien des coupes de production de l’OPEP+. La Russie en particulier, par la voix de son ministre de l’Énergie Alexander Novak, s’est montrée confiante sur un retour à l’équilibre du marché dès le mois de juin : plusieurs observateurs en ont déduit que la Russie pourrait relancer sa production dans les semaines à venir. Une telle relance aurait pour effet de faire chuter à nouveau le cours, et inquiète à ce titre beaucoup de pays producteurs.
Sauf événement majeur, tel qu’une reprise de la production par un pays de l’OPEP+, le cours devrait se maintenir à son niveau actuel dans les semaines à venir. Au-delà de l’évolution du cours, plusieurs événements de la semaine méritent une attention particulière.
Premièrement, l’arrivée des premiers pétroliers iraniens dans les eaux vénézuéliennes. Nicolás Maduro s’en est félicité haut et fort, mais son enthousiasme devrait vite s’estomper : le pétrole iranien permettra probablement d’apaiser la situation sociale pendant quelques semaines mais ne suffira pas à résorber à long terme la pénurie de carburant qui touche le Venezuela. Cette coopération, si elle s’avère durable, sera en revanche l’occasion pour les producteurs pétroliers iraniens – sanctionnés par les Etats-Unis – d’obtenir de nouveaux débouchés pour leur production. Le rapprochement entre l’Iran et le Venezuela se nourrit donc de leur aversion commune pour les Etats-Unis. Lors des négociations sur le nucléaire iranien en 2015, il était notable de constater que l’Iran, dans un souci d’afficher sa bonne volonté, avait pris ses distances avec le Venezuela. Mais ces ces scrupules n’ont plus lieu d’être depuis le retrait par Donald Trump de l’accord de Vienne sur le nucléaire : l’Iran et le Venezuela ont ainsi repris leur coopération.
Par ailleurs, les récentes déclarations de la Russie sur l’espoir d’un retour à la normale ont fait craindre une relance anticipée de la production russe. Une relance prématurée de la production pourrait provoquer une nouvelle guerre des prix, même si ce risque semble globalement faible : jeudi 28 mai, l’OPEP et la Russie auraient discuté d’un prolongement des coupes dans leur production jusqu’à la fin de l’année 2020. Une nouvelle guerre des prix reste donc une hypothèse encore vague mais néanmoins prise au sérieux par de nombreux pays producteurs, étant données ses conséquences. Une grande partie du secteur pétrolier américain serait en effet incapable de se relever en cas d’une nouvelle chute du cours. Le gouvernement américain ne pourrait probablement pas venir au secours des compagnies pétrolières touchées par la crise : la survie des entreprises américaines dépendrait alors d’investissements venant de l’étranger, et en premier lieu de la Chine. La souveraineté énergétique des Etats-Unis repose sur des piliers gravement fragilisés par l’épidémie du coronavirus.
L’évolution du conflit libyen mérite enfin plusieurs commentaires, étant données les conséquences énergétiques de cette guerre civile. La Libye est aujourd’hui le théâtre d’affrontements entre le Gouvernement d’Union Nationale (GUN) et les troupes du Maréchal Haftar. La guerre civile libyenne intéresse directement trois puissances majeures : la Turquie, la Russie et les Etats-Unis. La Turquie mise sur une entente avec le GUN, avec qui elle a conclu l’année dernière un accord sur l’exploitation des gisements gaziers en Méditerranée. Cette politique ambitieuse s’est attiré la méfiance de Moscou, qui souhaite conserver son influence dans la région et appuie ainsi le maréchal Haftar, sans avouer ce soutien officiellement. De leur côté, les Etats-Unis sont avant tout préoccupés par l’influence russe en Méditerranée : s’ils appellent officiellement la Turquie à chercher une résolution pacifique au conflit, ils comptent en même temps sur Erdogan pour préserver un équilibre dans une région qu’ils ne souhaitent pas voir exclusivement dominée par Moscou.
Or, cette semaine, Erdogan a justement appelé à un cessez-le-feu en Libye. Une telle annonce semble paradoxale : la Turquie n’a-t-elle pas contribué à alimenter le conflit par son soutien militaire au GUN ? En réalité, on peut supposer que cet appel au cessez-le-feu est motivé par une entente récente entre la Russie et la Turquie. En début de semaine, les mercenaires du groupe russe Wagner ont été retirés de Libye en même temps que les frappes de drones turcs se sont interrompues. Quel serait l’intérêt de cette entente ? La Russie et la Turquie veulent d’abord éviter toute confrontation directe entre leurs armées, mais cherchent surtout à se tailler des sphères d’influence en Libye. Cet arrangement constituerait alors un véritable revers pour Washington, qui serait exclu des négociations sur l’avenir de la Libye et verrait, impuissant, la Turquie et la Russie asseoir leur influence en Méditerranée. Les Etats-Unis ont ainsi changé leur fusil d’épaule et apporté leur soutien au GUN, en condamnant par ailleurs l’engagement russe en Libye. Assiste-t-on à une « syrianisation » de la Libye, comme l’affirme Jean-Yves Le Drian ? En tout cas, l’antagonisme entre Moscou et Washington bat son plein, et la Turquie exploite intelligemment cet antagonisme en jouant sur les deux tableaux : elle sait que les Etats-Unis comptent sur son rôle d’État « pivot » pour modérer les ambitions de la Russie, et tend en même temps la main vers Moscou pour s’entendre sur un partage des richesses – notamment pétrolières et gazières – de la Libye.
Analyse de l’actualité du secteur gazier
Le secteur gazier fait l’objet d’un véritable jeu géopolitique qui oppose les Etats-Unis et la Russie sur le théâtre européen. Cette semaine a été l’occasion de le constater à nouveau.
Les Etats-Unis, par la voix de leur ambassadeur en Allemagne, ont annoncé envisager de nouvelles sanctions contre le gazoduc Nord Stream 2. Leur contenu est cependant inconnu : on suppose que ces sanctions pourraient prendre la forme de tarifs douaniers imposés aux entreprises qui participent au projet, ou encore des sanctions adressées directement aux pays qui choisiront d’acheter le gaz transitant par Nord Stream 2.
Le même jour, le gouvernement ukrainien a donné son feu vert à l’importation de gaz naturel liquéfié (GNL) américain. La semaine dernière déjà, l’Ukraine recevait une livraison de pétrole américain dans son port d’Odessa. La logique est la même : en diversifiant son approvisionnement, Kiev cherche à diminuer sa dépendance au gaz du voisin russe. Dans cette politique, qui n’est pas à proprement parler une politique d’indépendance car elle consiste simplement à réévaluer les pays dont elle souhaite dépendre, l’Ukraine ne fait pas cavalier seul. La Pologne s’est également tournée vers les Etats-Unis pour son approvisionnement en gaz, certainement au grand bonheur de Washington qui, ainsi, réussit à éloigner un petit peu plus la Russie de l’Europe tout en trouvant un débouché à son GNL.
*Edmond Huet, stagiaire chez Geopragma