Billet du lundi 30 septembre 2024 rédigé par Jean-Philippe Duranthon, membre du Conseil d’administration et membre fondateur de Geopragma.

Les tentatives de séduction, les portes qui claquent et les accusations d’infidélité, dignes de Feydeau, qui ont caractérisé le choix du Premier Ministre puis la formation du gouvernement, ont éclipsé l’annonce de la composition de la nouvelle Commission européenne : celle-ci a été à peine évoquée dans la presse et est restée absente des déclarations des responsables politiques. Elle est pourtant riche d’enseignements sur l’influence que la France a désormais au sein de l’Union Européenne et vis-à-vis de la Commission.

Quatre faits sont troublants.

1/ Thierry Breton a eu l’élégance de déclarer qu’il n’était plus candidat, ce qui a arrangé tout le monde, mais en précisant qu’Ursula von der Leyen avait réclamé son départ ; il a ensuite affiné son propos en indiquant que celle-ci avait placé Emmanuel Macron devant un choix : « ou bien c’est Thierry Breton mais avec un plus petit portefeuille, ou bien c’est un autre, mais avec un plus gros portefeuille ». Une forme de chantage, donc. Le propos n’est pas ici de dire qui, d’Ursula von der Leyen ou de Thierry Breton, avait raison dans les différents débats qui les ont opposés ces derniers mois ; il est de remarquer que la présidente de la Commission s’est permise de récuser un candidat présenté par la France et que le président de la République s’est plié à cette étrange initiative. On peut en déduire que le rapport de forces entre ladite présidente et ledit président n’est pas en faveur de ce dernier, à qui pourtant elle doit son poste, et que le poste de président de la Commission a pris une stature nouvelle, qui le place au-dessus des chefs d’Etat, ces derniers fussent-ils d’un grand pays.

2/ La « grosseur » du portefeuille alloué au commissaire français peut être discutée. Celui-ci est en charge de « la prospérité et la stratégie industrielle » : « vaste programme ! », pourrait-on s’exclamer, tant ces deux thèmes, et surtout le premier, sont vastes. Mais ils sont aussi bien vagues !  Cette imprécision autorise tous les débordements mais permet aussi une « cornérisation ». D’ailleurs, d’autres commissaires ont en charge « la transition » (climatique, peut-on supposer), « la souveraineté technologique », « l’économie et la productivité », « l’énergie », « la recherche et l’innovation », concepts qui sont beaucoup plus précis ; peut-on agir pour « la prospérité » et définir la stratégie industrielle de l’Union sans s’intéresser à ces domaines qui sont en d’autres mains ? L’action de « notre » commissaire sera donc conditionnée par celle de ses collègues compétents pour les mêmes problématiques.

On pourrait se rassurer en notant que le commissaire français fait partie des quatre « vice- présidents exécutifs » de la Commission. Mais le titre est plus honorifique que fonctionnel (la précédente Commission comportait huit vice-présidents exécutifs, chiffre élevé qui amène à relativiser l’importance du rôle) car leurs titulaires ne bénéficient d’aucun pouvoir hiérarchique sur les commissaires « de base » ; il ne peut d’ailleurs pas en être autrement puisque les décisions de la Commission sont collectives et que, juridiquement, chaque commissaire dispose du même poids que les autres. En outre, les trois autres vice-présidents exécutifs sont les commissaires présentés par l’Espagne, la Finlande et la Roumanie : difficile d’en déduire que le titre reflète l’importance du pays au sein de l’UE.

Le portefeuille confié au commissaire français est-il vraiment « un plus gros portefeuille » comme l’avait promis Ursula von der Leyen ?

3/ Le choix de Stéphane Séjourné peut surprendre. Il ne s’agit pas ici de discuter des mérites et des limites d’une personne mais seulement de noter que le nouveau commissaire français n’a ni la personnalité, ni l’expérience longue et multiple de son prédécesseur. Il est peu probable qu’il ait rapidement le même poids que lui au sein des instances européennes.

Les mauvais esprits pourraient penser qu’au moment où, en France, se met laborieusement en place une vraie-fausse cohabitation, son choix résulte avant tout de la volonté du président de la République d’avoir à Bruxelles un commissaire qui lui sera personnellement fidèle, de montrer que le choix du commissaire et les relations avec la Commission font partie du « domaine réservé » qu’il n’entend pas partager. Si cela était vrai, il faudrait en déduire que les vicissitudes de la politique intérieure ont le pas sur la défense des intérêts du pays au sein de la Commission.

4/ Le choix des commissaires et la répartition des rôles entre eux ne sont pas toujours favorables aux intérêts français. Ainsi, les deux commissaires qui seront en première ligne sur les questions énergétiques sont de fervents adversaires du nucléaire : l’Espagnole Teresa Ribera Rodriguez,

« vice-Présidente exécutive à la transition juste, propre et compétitive », et le Danois Dan Jorgenson, « commissaire à l’énergie et a au logement ». Il est étrange que, s’agissant d’un sujet aussi important et sensible, qui fait l’objet de fortes oppositions au sein de l’Union, la France n’ait pas pu éviter que les deux commissaires en charge de cette politique fassent l’un et l’autre partie du camp hostile aux orientations qu’elle défend.

Plusieurs conclusions peuvent être tirées de ce rapide examen :

1/ Le poids de la France dans l’UE se réduit. L’époque où les pays fondateurs pilotaient le processus est bien fini, la France n’est plus qu’un pays comme un autre, l’élargissement a fait son œuvre. La Commission s’est émancipée et le « couple franco-allemand » n’est qu’un souvenir.

2/ Le Commissaire français aura bien des difficultés à défendre, dans le cadre des orientations communautaires, nos intérêts nationaux. Il disposera de bien peu de leviers pour son action au sein des institutions communautaires.

3/ Alors que chaque renouvellement de la Commission est toujours l’occasion, pour chaque pays, de pousser ses pions, les dirigeants français ont fait preuve d’une grande légèreté (naïveté ou impuissance ?). Ils n’ont pas cherché à, ou su, résister aux pressions de leurs homologues ou de la présidente de la Commission. C’est surprenant compte tenu de l’importance que tient l’Europe dans leurs discours.

Tout se passe donc comme si la France se désengageait involontairement du pilotage des institutions européennes, Une sorte de Frexit institutionnel, en quelque sorte. Etonnant !

Jean-Philippe Duranthon

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4 comments

  1. armelle de Maynadier

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    merci pour ce billet/ quand il s’agit des « performances » de Thierry Breton, cela laisse rêveur : chez ATOS notamment…
    la SOLUTION : le FREXIT. Nous continuons à payer les errances de nos gouvernants depuis plusieurs décennies. Ils sont à l’abri, mais la « faute » est rejetée sur les français par Michel Barnier . Il fallait bien trouver une bonne raison et les faire « payer » .Avons nous des nouvelles de la centrale nucléaire EPR ? Nous devrions avoir des notes d’électricité moins élevées, eh bien non , les taxes sur l’électricité vont augmenter dans le nouveau budget….

  2. MILOR D.

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    Bonjour, vous parlez d’un comportement institutionnel étonnant mais j’ajouterais aussi très inquiétant car on constate bien que l’influence de la France devient marginale dans tous les domaines en Europe et à l’international ! Le plus inquiétant comme expliqué par Fabien BOUGLE est que la politique nucléaire poussée par la France (via le Nuclear Act qui était géré par Thierry BRETON…) risque d’être remise en cause notamment par l’Allemagne qui veut tuer le nucléaire français. La nomination des nouveaux commissaires Européens est largement défavorable au développement du nucléaire français dans les années à venir, pourtant cette production d’énergie largement décarbonée est la seule qui permettra de revenir à des coûts de l’électricité compétitifs en France pour nos entreprises et pour les particuliers. L’avenir économique s’assombrit de nouveau pour la France et le nouveau gouvernement ne me semble pas très ferme pour faire accepter les bonnes orientations à l’ UE…

    • Geopragma

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      Réponse de la part de Jean-Philippe Duranthon : Je ne suis (malheureusement !) pas plus optimiste que vous et, comme vous, considère que « la France se fait… virer de son leadership dans les instances européennes » (pour reprendre votre formulation). Mais je suis frappé de constater qu’elle l’accepte sans mot dire : ses dirigeants auraient pu soutenir T. Breton, ils auraient pu choisir un autre candidat que S. Séjourné, ils auraient pu veiller à ce que le commissaire français ait un portefeuille lui garantissant suffisamment d’influence, etc. Ils n’ont rien fait de tout cela. Cette capitis deminutio ne résulte donc pas, vous avez raison, d’une « volonté délibérée », mais est acceptée sans résistance. C’est sur cette acceptation que j’ai voulu insister en choisissant le titre de l’article.

  3. M RICARD

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    Le sens que vous donnez à la dynamique de ce « frexit institutionnel » est très optimiste car il suppose une volonté délibérée de la France d’abandonner son rôle moteur en Europe. A mon avis, c’est moins glorieux : la France se fait tout simplement virer de son leadership dans les instances européennes. C’est normal pour un pays quasiment ruiné, désormais doté d’une puissance économique modeste et précaire, diplomatiquement marginal et à l’influence déclinante. Ce fut un grand et beau pays mais çà, c’est le passé…

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